BOSNIE :
QUAND L’OCCIDENT AIMAIT
LES JIHADISTES

novembre 2013

Ce n’est plus vraiment un secret, même si nos médias ne s’étendent pas sur le sujet. Au début des années 90, les pays musulmans approvisionnaient les musulmans de Bosnie-Herzégovine en armes pour lutter contre les Serbes. Roumania Ougartchinska, journaliste et enseignante en France d’origine bulgare, donne quelques détails gênants sur la complicité des pays occidentaux (1).

E
n juillet 1991, le ministre de la Défense de Slovénie, Janez Jansa, recevait un rapport l’alertant sur le mystérieux contenu de containers d’aide humanitaire transitant par l’aéroport de Maribor à destination de la Bosnie-Herzégovine.

À l’époque, depuis à peine un an, le pays avait accédé à l’indépendance, quittant la fédération de Yougoslavie et participant ainsi à la lente désagrégation du pays gouverné pendant 35 ans par Tito.

Le 21 juillet, « Jansa envoya ses hommes effectuer des vérifications sur place. L’aide humanitaire avait un drôle d’allure, dit Ougartchinska, 10 000 kalachnikovs, 32 mortiers... sans compter les mines, le petit équipement et les munitions, le tout d’une valeur d’environ 10 millions de dollars ».

Tout ce matériel, découvrit Jansa, avait été commandé par Hasan Cengic à la demande du Président bosniaque Alija Izetbegovic. En tant que vice-ministre de la Défense de l’entité bosniaque, Cengic était dans son rôle quand la guerre faisait rage entre les musulmans et les Serbes. Mais pourquoi passer par la Slovénie ?

L’observation de la carte permet de comprendre. La Bosnie-Herzégovine est enclavée dans les terres, bordée à l’est par les territoires sous contrôle de la Serbie, au nord et à l’ouest par la Croatie, autre territoire qui a pris son indépendance à la Yougoslavie mais entretient alors des rapports tendus avec Sarajevo.

Si la Slovénie n’a pas de frontières communes avec la Bosnie, elle est néanmoins le pays neutre le plus proche en termes de distance. C’est la raison pour laquelle Maribor a été choisie comme base de départ d’un pont aérien vers la Bosnie. Officiellement, il n’était cependant pas question de transport d’armes, ceci d’autant plus que les Nations Unies
avaient décrété un embargo sur tous les équipements militaires destinés aux deux camps en conflit dans l’espace bosniaque.

Non sans une certaine naïveté, Jansa saisit la justice slovène et le procureur de Maribor ouvrit une instruction pour trafic d’armes visant sept personnes dont plusieurs officiers des services de renseignement du pays. Parmi lesquelles, Cengic.

Ce dernier joua franc-jeu. En tant que membre du gouvernement bosniaque, il déclara ce trafic décidé au plus haut niveau entre les responsables bosniaques et slovènes. Il martela devant le procureur : « Ces institutions savaient que nous allions acheminer des armes avec l’aide humanitaire ».

Alors, simple arrangement entre deux parties pour aider l’une d’elle à survivre en temps de guerre ? Pas vraiment ! Les volumes d’armes transférées par Maribor sont tels que tous les services de renseignements dignes de ce nom sont au courant, à commencer par ceux des États-Unis et des pays européens.

Déjà, l’Occident voulait la peau de la Serbie et pour permettre aux musulmans bosniaques de faire face aux forces serbes mieux entraînées et armées, avaient décidé de fermer les yeux sur le viol de l’embargo des Nations Unies. À condition, bien entendu, qu’il ne profite qu’aux ennemis des Serbes. Aussi, finalement complice, le 17 octobre 1994, la cour de Justice slovène abandonna les charges.

Les pays occidentaux auraient pourtant eu des raisons de s’inquiéter. Les armes transitaient sous couvert d’une organisation caritative basée à Vienne, TWRA ou « Third World Relief Agency ». Son patron, un Soudanais du nom de Fatih Al-Hassanein, était très lié à Izetbegovic. Membre du Front islamique national, parti islamiste du Soudan dirigé par Hassan Al-Tourabi (2), il s’était donné pour mission de revivifier l’islam dans les pays d’Europe de l’Est.

Un véritable syndicat de pays islamiques s’était constitué pour financer les activités d’Al-Hassanein en Bosnie. Derrière l’Arabie Saoudite, comme toujours bonne première dans ce type d’opérations, figuraient le Pakistan, la Turquie, le Brunei, la Malaisie et... l’Iran.

On trouvait aussi les noms des généreux donateurs dont celui d’un milliardaire dont la célébrité allait un jour ternir quelque peu l’image de la grande Amérique : Oussama Ben Laden. Ce dernier, faut-il savoir, s’était réfugié au Soudan en 1991. Il y collaborait étroitement avec le régime et Hassan Al-Tourabi, alors Président du Parlement soudanais. Ben Laden ne quitta ce pays qu’en 1996 pour s’établir en Afghanistan (3).

En réalité, la couverture humanitaire de l’ONG TWRA apparaissait un peu mince. Si elle avait créé un club de couture pour les femmes et une ferme d’élevage de poulets en Bosnie, d’après les autorités autrichiennes, entre 1992 et 1995, 350 millions de dollars ont transité par ses comptes pour financer l’aide au camp musulman. Principalement pour importer des armes et recruter des combattants étrangers, des « moujahidine », afin de renforcer l’armée bosniaque.

La mauvaise action commise par nos pays, véritable charge exterminatrice contre la Serbie, ira jusqu’à l’hallali, en 1999, sous prétexte de protéger les Albanais du Kosovo. Quant au prix à payer c’est, aujourd’hui, pour les avoir soutenus, une guerre généralisée contre les « jihadistes » de l’Afghanistan au Maghreb à laquelle nous devons faire face (4).

Les Occidentaux n’étaient cependant pas les seuls à jouer un sale jeu. Parmi les sept personnes incriminées par le juge d’instruction slovène figurait un certain Dieter Hofmann, un Autrichien né en 1942. Il a purgé plusieurs peines de prison en Allemagne, en Autriche, en Suisse et en Hongrie. Les services autrichiens avaient, entre autres, remarqué la fréquence de ses rencontres avec le résident du KGB à Vienne.

Cette relation ne doit pas étonner. C’étaient en effet des avions-cargos russes qui déposaient les containers d’armes destinés aux musulmans à Maribor. Ce n’était pas la seule manifestation d’une intervention des Russes en faveur des musulmans bosniaques.

En effet, sous l’appellation d’Eco-Trend puis d’Aviatrend, une société assurait le transport en hélicoptère de Maribor à des agglomérations bosniaques sous contrôle musulman comme Tuzla. Enregistrée à Gibraltar, Aviatrend appartenait à un certain Valery Tchernyi ou Cherny. D’après les services bulgares, il se ferait aussi appeler Viktor Vassilievich Dudenkov et est de nationalité russe. Sa compagnie achetait les armes en Ukraine et assurait leur affrètement.

Nous ne voulons pas jeter la pierre aux Russes. Au début des années 90, ils faisaient face à l’effondrement de leur empire et à une crise économique sans précédent. La revente des armes et le transport aérien grâce à leur importante flotte d’avions-cargos Antonov, étaient devenus des moyens de s’approvisionner en précieuses devises étrangères. Il convient de rappeler qu’ils se présentaient pourtant comme les « frères » des Serbes, slaves comme eux.


À la lecture de ces lignes, certains vont être tentés de croire à une véritable coopération des États les plus puissants aux dépens des peuples. Ce serait une erreur.

Les États, souvent, se donnent une priorité au nom de laquelle ils oublient les aspects collatéraux. Tous leurs efforts, sont alors conjugués au nom d’un objectif. Sacrifiant à l’efficacité immédiate, ils acceptent des alliances contre nature qui risquent un jour de se retourner contre eux.

Nous avons vu cela en Afghanistan, quand les Américains ont fait venir les islamistes arabes, dans les années 80, ou en Libye en 2011, quand la France voulait la peau de Mouammar Kadhafi.

C’est le même fonctionnement qui a été privilégié en Bosnie, quand la Russie a armé les Bosniaques, les États occidentaux fermé les yeux sur ces approvisionnements destinés aux combattants islamistes. Moscou par intérêt mercantile, nos pays parce qu’ils voulaient détruire la Yougoslavie, réduire ainsi la force serbe considérée comme inassimilable à l’Europe.

Notes

(1) Voir « KGB et Cie à l’assaut de l’Europe », éditions Anne Carrière.
(2) Alain Chevalérias a fait un livre d’interview avec Hassan Al-Tourabi publié chez Lattès sous le titre « Islam avenir du monde ? »
(3) Dans « La Guerre infernale », publié au Rocher, Alain Chevalérias retrace la biographie de Ben Laden jusqu’au 11 septembre 2001.
(4) Voir notre éditorial, sous le titre « La Guerre à nos portes »

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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