LES CHINOIS PRÊTS
À REMPLACER LES ÉTATS-UNIS
EN ASIE DU SUD

octobre 2010

Cause principale des guerres anglo-afghanes du XIXème siècle puis, dans les années 80, raison du soutien des États-Unis à la résistance à l’occupation soviétique, pendant deux siècles L’Occident a craint l’arrivée des Russes aux portes du Golfe arabo-persique. Sans bruit, en deux étapes, la Chine a coiffé tout le monde au poteau, en construisant le port de Gwadar, au Pakistan, puis en prenant bientôt le contrôle de sa gestion. Grâce à Gwadar, l’Empire du Milieu est en passe de devenir maître du jeu dans la région formée par l’Inde, le Pakistan, l’Iran et l’Afghanistan.

Début septembre, non sans fierté de voir leur pays ainsi courtisé, la presse pakistanaise annonçait le passage imminent du port de Gwadar sous l’autorité chinoise. Les travaux de construction avaient commencé en 2002 et, certes, les Chinois avaient financé le projet à 85%. Néanmoins, l’exploitation et la gestion étaient assurées par PSA, ou « Port of Singapore Authorithy », un énorme trust privé et international qui a absorbé la Hesse Noord Natie, une importante société belge
(1).

Situé au Baloutchistan pakistanais, à la sortie du Golfe arabo-persique et à 80 km de la frontière iranienne, Gwadar est un port en eau profonde dont la construction avait commencé en 2002. Pour les Pakistanais, plus important que l’aspect économique, après Karachi, il autorise l’ouverture d’une seconde base navale, destinée à leurs navires de guerre, en cas d’attaque de l’Inde.

Pour les Chinois, en revanche, il apparaît comme un moyen d’étendre leur influence dans la région, tout en assurant leurs approvisionnements en matières premières mais, surtout, en pétrole et en gaz. De plus, il permet de réduire la navigation marchande franchissant le détroit de Malacca, zone de piraterie intensive entre Sumatra et la Malaisie.

Mais que serait Gwadar, pour les Chinois, sans une liaison terrestre avec la Chine ? Révélant l’ancienneté des ambitions de Pékin, quand tout le monde croyait le pays endormi, déjà, en 1959, cherchant un accès vers l’ouest du continent, Mao Tsé Toung ordonnait le lancement des travaux de construction d’une liaison routière en coopération avec le Pakistan, sur les traces de l’ancienne Route de la Soie : le « Karakoram Highway ». On est alors au lendemain de l’indépendance et le Pakistan reçoit avec empressement cette « amitié » chinoise quand, à l’est, il se sent menacé par le géant indien.


Pénétration de la Chine sur l’Iran, l’Inde et l’Afghanistan à partir du Pakistan.

Aux efforts déployés, on évalue l’importance que la Chine accorde à l’ouvrage. Il faudra 26 ans pour le terminer, la mort de 82 Chinois et celle de 810 Pakistanais, dans des éboulements et des effondrements de terrain. La route apparaît en effet comme un défi à la nature. La plus haute du monde, à son point le plus élevé, sur la frontière sino-pakistanaise, elle franchit le col de Khunjerab à une altitude de 4693 mètres (2).

En juin 2006, les Chinois et les Pakistanais ont signé un nouvel accord de principe pour l’aggrandir, la faisant passer de 10 mètres à 30 mètres de large, multipliant ainsi par trois sa capacité d’absorption du trafic. En outre, une jonction est prévue avec le port de Gwadar.

Compte tenu de la valeur du « Karakoram Highway » pour les Chinois et de l’importance de l’investissement consenti, on peut se demander pourquoi ils avaient accepté d’en confier la gestion à un groupe singapourien.

Nous ne voyons qu’une réponse : non sans raison, PSA, comme l’État de Singapour, sont considérés comme inféodés aux Américains. Or, il faut se rappeler qu’en 2002, quand les Chinois commençaient la construction de Gwadar, les États-Unis venaient de débarquer en force en Afghanistan.

D’une part, impressionné par la puissance des armes utilisées au cours de l’offensive de Washington, au Pakistan, personne n’aurait alors osé les contrarier. D’autre part, les Chinois n’étaient pas en position pour, inquiétant les États-Unis, afficher des ambitions démesurées. Le choix d’un groupe singapourien sous influence américaine leur permettait de se faire plus discrets, en faisant semblant de se plier à l’ordre mondial voulu par l’Oncle Sam.

A contrario, l’éviction en cours de PSA du port de Gwadar met en évidence la perte d’influence des États-Unis dans la région. En Afghanistan, après neuf ans d’occupation, attendant un départ programmé, tout le monde les joue désormais perdants. Les Chinois préparent déjà le terrain pour les remplacer. Ainsi, au printemps, sous l’égide de l’ISI, les SR pakistanais, une rencontre a eu lieu entre des envoyés de Pékin et les Taliban d’Afghanistan. Les Chinois ont encouragé ces derniers à accentuer leur effort de guerre contre les forces de l’OTAN. Une manière de dire, « nous sommes à vos côtés, ne nous oubliez pas quand les Américains seront partis ».

Il faut savoir qu’ils jouent gros dans ce pays : en mai 2008, ils signaient un énorme contrat sur les mines de cuivre d’Aynak, dans la province du Logar, à quelques dizaines de km à l’ouest de Kaboul. En échange d’une promesse de trois milliards de dollars d’investissements, la « China Metallurgical Group Corporation » (MCC) obtenait un droit d’exploitation de 30 ans sur une réserve évaluée à 11 millions de tonnes de métal. La MCC s’est en outre engagée à créer une ligne de chemin de fer pour relier le Pakistan et le port d’Hairatan, à la frontière de l’Ouzbékistan, traversant ainsi l’Afghanistan tout en desservant les mines d’Aynak.

Ce n’est pas tout. A entendre les Pakistanais, les Chinois envisagent de relier le « Karakoram Highway » à Gwadar et de créer une autre ligne de chemin de fer reliant le port à leur pays en suivant le même itinéraire.

Ils veulent aussi bâtir des raffineries de pétrole et des unités de traitement du gaz dans la zone portuaire. Et là, il faut comprendre de quoi ils parlent. L’Iran, gros producteur d’or noir, détient aussi la moitié du gisement de Pars, un énorme champ gazier dans le Golfe

Fin mai 2010, le gouvernement pakistanais signait un accord avec l’Iran pour la construction d’un gazoduc qui transportera la gaz de Pars jusqu’à la frontière des deux pays. Il est même prévu, certes avec réticences, que l’Inde soit approvisionnée en gaz iranien à travers le territoire pakistanais.

Avec le port de Gwadar, d’une part, les réseaux de communication qu’elle compte construire, d’autre part, on voit la Chine se donner les moyens de s’approvisionner en minerais et en énergie en même temps qu’elle prendra le contrôle de la région par le biais de l’économie. Dans la région, c’est bien la suite, maîtrisée, des Américains qu’elle envisage.

 

Notes

(1) La structure gérant le port de Singapour a obtenu l’autorisation de se donner un statut privé sur décision du Parlement le 25 août 1997. Se donnant une politique ambitieuse, elle gère aujourd’hui 28 ports dans 16 pays dont 7 terminaux portuaires en Belgique et 16 en Chine. PSA gère 20% du trafic de containers du monde et occupe le premier rang mondial dans le domaine.
(2) À titre comparatif, le Mont Blanc, notre plus haut sommet, culmine à 4810 mètres.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 
 
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