Les négociants basés en Suisse vendent-ils du pétrole acheté à Daech ?

février 2016

C'est la question que se pose très honnêtement l'hebdomadaire suisse " Le Matin Dimanche "(1).

En effet, d'une part il est évident que le pétrole exploité par Daech en Syrie va quelque part. D'autre part, il faut savoir, comme dit le journal que " certaines méthodes de raffinerie sont utilisées pour rendre le traçage " de l'origine du pétrole " impossible ". Il reste néanmoins faisable d'identifier le pays d'origine du brut... avant raffinage.

On identifie deux voies de sortie du pétrole de Daech. D'abord la Turquie qui, avec plus de 200 millions de barils consommés par an, peut absorber incognito sur le marché noir, une partie des 25000 barils produits tous les jours par Daech.

Seconde voie, le Kurdistan irakien. Ce dernier est lui aussi producteur de pétrole. Certes, afin de toucher ses royalties, le pouvoir central irakien interdit aux acheteurs de s'approvisionner directement chez les Kurdes. Ces derniers, cependant, contournent l'interdit en offrant des prix alléchants en même temps qu'une qualité de pétrole très appréciée.

Les quantités exportées par le Kurdistan irakien sont d'un autre volume que celles de Daech. On approche les 500 000 barils par jour, 20 fois plus. Facile là encore pour les Kurdes d'absorber la production venue de manière illicite de la Syrie. D'autant plus que les caractéristiques des deux bruts se ressemblent.

Le pétrole repart alors vers la Turquie, mais pour rejoindre les marchés officiels. Il se retrouve, sous le label kurde, mêlé au trafic massif, de 50 millions de tonnes par an, transitant par le port de Ceyhan (Turquie). Il est enfin embarqué sur les pétroliers. Mais, étrangement, dans notre bel univers de transparence pour les revenus des citoyens ordinaires, la destination des tankers est elle inconnue.

Les journalistes du " Matin Dimanche " sont parvenus à en savoir un peu plus en consultant la documentation de la société " Clarcksons Research Services " qui publie des bases de données des professionnels du négoce international, dont beaucoup ont leur siège social en Suisse.

Un certain nombre d'entre eux a acheté récemment du brut sur le port de Ceyhan, qui serait susceptible de contenir du pétrole du Kurdistan irakien. La Litasco par exemple, filiale suisse de la société russe Lukoil. Le 28 mars dernier, elle a affrété à cet usage le bateau " Neverland Angel " pour acheminer 80 000 tonnes. Ou comme la société Glencore, basée à Baar (Suisse). Ou encore Vitol, dont le siège social est à Genève, et Trafigura, installée elle aussi dans la métropole francophone helvétique, dont les deux noms figurent régulièrement dans la presse en tant qu'acheteurs de pétrole kurde.

Les enquêteurs du " Matin Dimanche " ont fait du porte à porte auprès de ces négociants pour en savoir plus. Les plus timides ont refusé de répondre à leurs questions, arguant des " clauses de confidentialité " liées à leur profession. Les autres ont juré la main sur le coeur, que s'ils pouvaient vendre du pétrole kurde, jamais, ô grand Dieu jamais, il n'y avait mêlé du brut acheté à Daech. Conclusion, le pétrole de Daech s'est perdu dans les sables.

Note

(1) Dans la publication du 13 décembre 2015.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

 
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