Israël fait l'unité du Liban - Interview de Samir Geagea
 Traduction de
l'interview de Samir Geagea
sur Al Arabyia,
19 juillet 2006
 

 Notre commentaire

En quinze ans d'occupation, les Syriens avaient rassemblé contre eux les sunnites, les chrétiens et les druzes. Aujourd'hui, les Israéliens font l'unanimité de tous les Libanais contre eux. Dans les régions chrétiennes, moins exposées aux tirs israéliens, la population reçoit les réfugiés chiites. Ces derniers sont les premiers surpris de cette solidarité.

Pendant la guerre civile libanaise, Samir Geagea était le chef des "Fl," les milices chrétiennes. Il a donné une interview à la chaîne de télévision arabe " Al Arabyia. " En dépit des différences d'approche avec le Hezbollah, il exprime lui aussi cette volonté d'entente entre tous les Libanais et dénonce fermement l'agression israélienne.

L'interview

Gisèle Khoury : (...) Vous avez fait la connaissance de Hassan Nasrallah lors des sessions de la table ronde (1). Vous ne le connaissiez pas avant. Quelle est sa situation et où se trouve-t-il ?

Samir Geagea, photo après sa sortie de prison

Samir Geagea : Je ne sais pas du tout. Je n'ai pas appelé parce que je sais qu'en pareilles circonstances, pour des raisons de sécurité, lui et ses compagnons ne répondent pas au téléphone. En outre, je n'ai rien à leur dire, compte tenu de la situation, sinon pour leur faire part de ma compassion comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises dans les médias.

G.Kh. : Compassion ! Vous voulez dire qu'il y a une agression contre le Liban ?

S.G. : Oui !

G.Kh. : C'est aussi une position politique.

S.G. : En ce qui concerne l'agression contre le Liban, il est tout à fait naturel que nous ne puissions pas plaisanter avec cela. Quelle que soit l'agression, quel que soit le côté d'où elle vient ou quelle qu'en soit la cause, peu importe comment elle a débuté, il est de (ndt : notre) devoir de tous nous rassembler afin de la repousser. C'est un fait acquis. Le second aspect, le second volet plus exactement, est néanmoins de décider ce qu'il faut faire pour en sortir et y répondre (...)

G.Kh. : (...) Le député Saad Hariri (2) a dit hier " il y a beaucoup de gens qui se sont lancés dans l'aventure. Il faut rendre des comptes. "

S.G. : Le député Saad Hariri parle avec un cœur blessé.

G.Kh. : Cela démontre une certaine divergence au sein du " mouvement du 14 mars (3). " Certes, il y a unanimité contre l'agression mais, à la base, le conflit demeure avec le Hezbollah.

S.G. : Oui et c'est regrettable. Depuis sept ou huit mois, au niveau politique, et deux ou trois mois sous le regard des médias, nous sommes assis autour de la table de négociation. Nous craignions l'éclatement de tels évènements et le disions alors à haute voix (...)

GK : (...) Est-ce qu'il y a des ébauches de solution, des décisions internationales sérieuses ?

S.G. : Cela ne peut rien donner avant qu'il n'y ait ce qu'on appelle en français " un interlocuteur. " De l'étranger on vient visiter le gouvernement mais que peut faire celui-ci ? Rien ! Ce n'est pas lui qui tire et ce n'est donc pas lui qui peut arrêter de faire feu. Ce n'est pas lui qui a capturé les soldats, et ce n'est donc pas lui qui peut décider de leur libération. Il ne peut rien faire. C'est le point crucial, à mon avis, dont doivent discuter les politiques afin de nous mettre d'accord avant tout autre chose. Que nous acceptions l'intervention d'une force multinationale, pour moi ce n'est qu'un pas tactique. Il m'apparaît marginal au regard de la solution globale (...)

G.Kh. : (...) Que vous dit le Monsieur le ministre Sarkis (4) de l'atmosphère régnant au sein du gouvernement ?

S.G . : (...) Il y a un gouvernement qui prend des décisions dans certains domaines mais dans d'autres domaines, ce n'est pas lui qui décide. Après l'éclatement des derniers évènements, le Président Siniora (5) a été clair. Le gouvernement n'était pas au courant, n'a pas participé et n'approuve pas ce qui s'est passé (...)

G.Kh. : Suggérez-vous que le Hezbollah doive remettre les captifs au gouvernement libanais ?

S.G. : Qu'il se soumette en tout à la décision gouvernementale, que ce soit concernant les captifs, le cessez-le-feu, la poursuite des combats, l'acceptation ou non des forces multinationales. Tout doit être décidé par le gouvernement (...)

G.Kh. : (...) Si l'Iran s'affirme la force tutélaire du Hezbollah et dit qu'il n'y a pas de solution alternative, nous demeurons dans l'affrontement militaire. Jusqu'où peuvent allez les choses pour le Liban ?

S.G. : Vu les positions arabes et les positions internationales, vu l'équilibre des forces, si nous continuons dans la logique actuelle, la situation va empirer (...)

G.Kh. : (...) Les Européens soutiennent que l'agression est injuste et sont en faveur d'un cessez-le-feu. Les Américains prétendent qu'une mission doit être accomplie. A votre avis, Israël a-t-elle pour mission de désarmer ou d'éradiquer le Hezbollah qu'elle considère comme organisation terroriste ?

S.G. : Pour ma part, c'est la lecture que je fais. De façon globale et sans entrer dans les détails, nous savons tous qu'il y a une situation conflictuelle, au Moyen-Orient, entre un axe syro-iranien, d'un côté, et un axe européo-américain, de l'autre. Même si les Européens tiennent un discours plus courtois, en fin de compte, ils ont la même vision des choses que les Américains, surtout en ce qui concerne le Liban. Dans cette confrontation, l'Occident dispose de ses armes et l'axe syro-iranien des siennes. Les armes de l'axe syro-iranien sont le Hamas et le Hezbollah. Il les utilise avant que l'affrontement n'arrive sur son sol. Dès que le prétexte s'est présenté, que ce soit à Gaza ou au Liban, l'Occident a vu une occasion à exploiter pour casser les outils de la Syrie et de l'Iran (...)

G.Kh. : (...) Si Israël réussissait à désarmer le Hezbollah, en d'autres termes, si le Hezbollah perdait militairement, les Israéliens exigeraient un prix. L'Etat hébreu n'intervient pas pour les beaux yeux des Américains ou de la Communauté internationale. Quel sera le prix exigé du Liban ?

S.G. : Rien, Israël ne pourra rien exiger du Liban.

GK : pourquoi ?

S.G. : Parce que nous refuserons de lui donner quoi que ce soit. Je suis désolé que certains lancent des accusations gratuites que ce soit contre le gouvernement ou contre les partis politiques qui ne partagent par leur avis. Ils se trompent énormément. Personne au Liban n'est prêt à payer quoi que ce soit à Israël (...)

G.Kh. : Si le Hezbollah gagne, que se passe-t-il ?

S.G. : Ce n'est qu'une hypothèse. Si le Hezbollah gagne, chose souhaitable, nous ne serions pas mécontents. Néanmoins, nous ne changerions pas d'avis en ce qui concerne la nécessité de réinstaller l'Etat dans ses prérogatives, ce qui implique qu'il soit parfaitement maître de la décision politique (...)

G.Kh. : (...) Si vous aviez Hassan Nasrallah en face, que lui diriez-vous ?

S.G. : Je lui dirais, Sayyed (6), je vous comprends très bien car moi-même, par certains aspects de ma personnalité, je vois la vie comme vous. Je lui dirais qu'il est important de s'engager, d'être sincère avec soi-même et de se fondre à sa cause avec courage. Mais à un moment, s'il est responsable d'un groupe, l'homme doit prendre ses responsabilités et faire ses calculs. Je souhaite que les calculs aient été faits, sinon l'heure est venue. A un moment donné l'homme a besoin d'une nouvelle dose de courage pour faire des calculs plutôt que de les ignorer. Je lui dirais que ce temps est venu de faire ses calculs.

G.Kh. : Les Forces libanaises vont-elles se réarmer ?

S.G. : Jamais, à aucun moment !

G.Kh. : Même dans le cas de figure d'un retour à la situation d'avant le 12 juillet (7) ?

S.G. : Jamais, que Dieu nous en préserve et d'aucune façon. Sinon nous minerions le programme politique dans lequel nous nous sommes investis et qui nous a coûté si cher depuis 15 ans et encore jusqu'à aujourd'hui.

G.Kh. : L'allié chrétien du Hezbollah, le général Michel Aoun (8), dit que le gouvernement aurait dû protéger le Hezbollah. Il dit que c'est son devoir, car le Hezbollah est une composante de la population. Que répondez-vous ?

S.G. : Comment le gouvernement peut-il protéger le Hezbollah ? Je ne comprends pas. Ce n'est pas lui qui tire, ce n'est pas lui qui peut cesser le feu. Que peut-il faire ?

G.Kh. : Sans doute veut-il dire que l'armée libanaise devrait participer aux combats contre Israël ?

S.G. : Non il ne le faut pas. Si l'armée libanaise se battait contre Israël, elle serait anéantie, malheureusement pour nous, je le dis en toute franchise. L'armée libanaise ne pourrait pas influer sur le cours des évènements. D'un autre côté, sa destruction aurait des conséquences graves pour l'avenir du Liban.

G.Kh. : Avez-vous peur d'une sédition interne ?

S.G. : Non

G.Kh. : Craignez-vous un deuxième Irak ?

S.G. : Non, pas du tout (...)


Notes

(1) Il s'agit des négociations politiques entre les leaders politiques du pays à propos du désarmement du Hezbollah.

(2) Saad Hariri est le fils de Rafic Hariri et le principal leader de la communauté sunnite.

(3) Mouvement de l'opposition libanaise contre la présence syrienne qui regroupait la majorité des chrétiens, des sunnites et des druzes et s'est constitué en mars 2005 à la suite de l'assassinat de Rafic Hariri.

(4) Ministre, Joseph Sarkis fait partie de la mouvance des " Forces libanaises " (Fl).

(5) Siniora est Premier ministre. On lui donne le titre de Président du Conseil.

(6) Titre donné aux descendants de Mahomet.

(7) Le 12 juillet 2006, date de la capture de deux soldats israéliens par le Hezbollah et du début de l'attaque israélienne contre le Liban.

(8) Michel Aoun, ancien ennemi de Samir Geagea dans le camp chrétien, s'est allié au Hezbollah.

Traduction Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com
 
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