Livre: Le Printemps en octobre. Une histoire de la révolution hongroise

Le Printemps en octobre

Une histoire de la révolution hongroise

par
Henri-Christian Giraud

ÉDITIONS DU ROCHER, 814 pages, 24 €

décembre 2006

En octobre 1956, l'agitation de la population hongroise tourne à l'insurrection contre les troupes soviétiques appelées par le chef du parti communiste. Figure de proue du printemps hongrois, Imre Nagy, un temps Premier ministre, sera finalement arrêté, condamné à mort puis exécuté en juin 1958. Ces jours de sang auront fait plus de 10000 morts parmi les hongrois.

Dans " Le printemps en octobre, " Henri-Christian Giraud réalise un véritable reportage dans l'Histoire. Une approche rare, qui nous plonge dans l'intimité de la souffrance du peuple hongrois. Des scènes et d'une passivité de l'Occident, qui nous rappellent un conflit plus récent : l'attaque d'Israël contre le Liban au cours du dernier été.

Nous reprenons ici quelques passages du livre de Giraud.

 " Budapest, en ce lundi 22 octobre 1956, se réveillait d'une longue et douloureuse léthargie... Depuis trois heures de l'après-midi, les bâtiments de l'université polytechnique bourdonnaient d'une rumeur soutenue. Le comité exécutif de la DISZ, la très impopulaire organisation des jeunesses communistes, y tenait une réunion extraordinaire... En d'autres temps, peu d'étudiants s'y seraient rendus, mais un vent nouveau et fort, en provenance de Pologne, balayait peu à peu les distinctions politiques...

(NDLR:Puis les premiers coups de feu éclatèrent).

La fusillade durait depuis un quart d'heure, et de nombreux cadavres gisaient sur les chaussées de la rue Sandor Brody et de la rue Pouchkine, lorsqu'un grondement sourd se fit entendre. Bientôt les camions du troisième bataillon du régiment de Piliscsaba, précédés de trois chars, débouchèrent sur la place, mais au lieu de fuir, la foule, d'un seul mouvement, se porta à leur rencontre...

Soudain, les soldats sautèrent de leurs véhicules et se joignirent à la masse. Ce fut si rapide et si spontané que les manifestants mirent un certain temps à enregistrer le fait. Puis la foule explosa en vivats. " C'est gagné! L'armée est avec nous ! " D'autres chars et d'autres camions arrivaient. Des jeunes gens s'y juchèrent avec des cris de victoire...

Mercredi 24 octobre...

Les premiers chars soviétiques firent leur apparition dans Budapest entre 3 h 30 et 4 h 30 du matin. Ils venaient de leurs bases de Szekesfehervar, près du lac Balaton, et de Cegled, respectivement au sud-ouest et au sud-est de la capitale...

(NDLR : Le préfet de police raconte) que ses hommes et lui virent alors une colonne de T-34 (1) passer à fond de train, tourelles fermées, tirant des rafales de mitrailleuses lourdes sur tout ce qui était éclairé, et qu'ils virent soudain, " glacés d'horreur, " la tourelle du char de tête pivoter vers la façade de la préfecture et la balayer d'une longue rafale de mitrailleuse...

C'est à sept heures exactement, lorsqu'une colonne de chars déchaîna un feu nourri sur des immeubles au coin de l'avenue Soroksari et de la rue Sandor Nagy, que les affrontements entre les forces armées de l'Union soviétique et le peuple hongrois virèrent à la guerre. A la minute même où le présentateur de Radio Budapest annonçait : " Et maintenant, chers auditeurs, nous allons entendre de la musique de danse. " Qui du peuple hongrois ou de l'armée rouge, ferait danser l'autre ?

L'auto-mitrailleuse glissait sur les pavés avec une lenteur de fauve. "Hija de puta !"(2) Comme au temps héroïque de la guerre civile, "l'Espagnol" jura, espérant secrètement que cette verdeur lui redonnerait pour quelques minutes ses jambes de vingt ans.

Le blindé finit par s'arrêter et se poster non loin de la caserne Kilian. Il tenait toute l'avenue Ulloï sous le feu de ses mitrailleuses et durant dix minutes ce fut l'enfer pour les combattants du cinéma Corvin transformé en camp retranché.

Caché derrière une porte cochère, l'homme emplit presque entièrement sa bouteille d'essence et la boucha à demi en entourant le goulot d'un chiffon, puis il inclina la bouteille vers le bas de manière à imbiber le chiffon. Il soupesa ensuite le tout avec un air de satisfaction gourmande et jeta un coup d'oeil dans la rue. Il lui faudrait parcourir une quinzaine de mètres avant de pouvoir lancer son cocktail Molotov sur le réservoir du véhicule, puis encore la même distance pour se mettre à l'abri. C'était beaucoup. Trop ? Pour s'empêcher de réfléchir plus longtemps, il alluma le chiffon avec son briquet. Puis il se précipita de toute la vitesse dont il était capable en direction du véhicule...

Les flammes coururent sur le blindage et l'explosion, presque immédiate, ébranla le quartier. " L'Espagnol " n'eut pas le temps d'atteindre son abri... Il était 7 h 30, ce mercredi 24 octobre 1956...

Dimanche 28 octobre...

(Imre Nagy (3), à 17 heures, annonce sur la radio nationale) : " Le gouvernement hongrois est parvenu à un accord avec le gouvernement soviétique, en vertu duquel les troupes soviétiques commenceront immédiatement à se retirer de Budapest et quitteront le territoire de la ville au fur et à mesure de la mise sur pied des nouvelles forces de sécurité... "

Charles Bohlen, l'ambassadeur américain à Moscou, ne se laissa cependant pas duper et, au sortir de la réception (4), il câbla à Washington le message suivant : " Sous ce jour, il semblerait que la déclaration de Nagy dans la nuit du 28 concernant le retrait des troupes soviétiques de Budapest n'était qu'une ruse, avec la connivence des Soviétiques, pour imposer le cessez-le-feu aux insurgés. "

L'ambassadeur américain ne se trompait que sur un point : il n'y avait, en l'occurrence, aucune ruse de la part de Nagy et encore moins de connivence avec les Soviétiques...

Mardi 30 octobre...

Budapest s'ébrouait sous un soleil tiède. Il y avait foule sur la place des Héros. Tous les véhicules arboraient le drapeau tricolore hongrois. Chose étonnante, on n'entendait aucun bruit de fusillade ; pourtant, des blindés continuaient de parcourir la ville, mais tout se passait, apparemment, comme si plus personne ne les voyait...

Le calme était trop beau pour durer... Bientôt de violentes fusillades éclatèrent du côté du centre ville. Les combattants de la Liberté s'attaquaient au siège du Comité du Parti pour le Grand-Budapest...

Lundi 5 novembre...

Réveillés par le " grondement meurtrier " des tanks qui arrivaient plus nombreux encore que la veille, les journalistes regardaient, de leurs hôtels, manoeuvrer les chars russes pour entourer la citadelle que formait l'université, près du Théâtre National.

Chaque blindé était accompagné d'un détachement du KGB. " La consigne était d'écraser et d'exterminer, raconte le correspondant de The Observer. Ce fut l'heure de l'horreur et du massacre. Ma fenêtre dominait le boulevard Karoly, qui mène à à l'avenue où les étudiants de Budapest avaient leur bastion. Les tanks soviétiques pilonnèrent sauvagement toutes les maisons de ce boulevard. C'était l'objectif du jour. Les rapports qui affluèrent toute la matinée disaient qu'il en était de même en beaucoup d'endroits. Le soir, il ne restait pratiquement plus une seule maison sur les grands boulevards de Budapest qui n'eût été éventrée par les obus soviétiques... "

" Des fenêtres et des toits des maisons d'habitation, raconte Michel Gordey (NDLR un autre journaliste), les jeunes Hongrois continueraient à tirer sur les Russes, et c'est ici que commença la répression : à chaque coup de fusil, les Russes se mirent à riposter par des obus de tanks. Les chars d'assaut fonçaient, dans un tonnerre de ferraille, vers les maisons d'où partaient les coups de feu, pointaient leurs pièces sur le rez-de-chaussée, puis sur le premier étage, le deuxième, le troisième. Six, huit, dix coups de canon... la maison éventrée s'écroulait : ses habitants morts ou blessés gisaient à terre. On ne tirerait plus jamais de ces fenêtres et de ces toits... "

Mardi 6 novembre...

(NDLR : Une radio libre diffuse) " Nous faisons appel à la conscience du monde !... La perte de liberté d'un petit pays qui, pendant des milliers d'années, a su conserver cette liberté par ses sacrifices et au prix de son sang ne compte-t-elle pas pour le monde ?... Pourquoi restez-vous sourds à l'appel de nos hommes et de nos femmes et de nos enfants?..."

Vendredi 9 novembre...

Les combats cessèrent dans le centre de Budapest.

Dimanche 11 novembre...

L'ambassadeur américain fit connaître à Washington que les troupes soviétiques avaient infligé à Budapest des dommages supérieurs à ceux de la dernière guerre. Le pouvoir communiste s'élevait sur des ruines... "

 Notes

(1) T-34, char soviétique de modèle ancien.
(2) " Fille de pute, " expression espagnole dont l'usage signale un ancien des Brigades internationales.
(3) Imre Nagy, né en 1896, fut nommé Premier ministre en 1953. Il cherche alors à mettre en place une politique libérale. Il suscite ainsi la réaction des durs du parti communiste et l'intervention soviétique. Pendant l'invasion soviétique de la Hongrie, il doit se réfugier à l'ambassade de Yougoslavie. L'insurrection une fois matée, il sera condamné à mort.
(4) A l'ambassade de Turquie à Moscou.

Centre de Recherches sur le Terrorisme Depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com
 
 
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