RWANDA :
Les prérogatives découlant d’un génocide

décembre 2013

Le 13 novembre, la cour d’appel de Paris se prononçait en faveur de l’extradition de deux Rwandais, Claude Muhayimana et Innocent Musabyimana. Ils sont accusés d’avoir participé au génocide de 1994. Nous ne savons rien de la culpabilité supposée de ces deux hommes. En revanche nous avons toutes les raisons de douter qu’ils puissent jouir d’une justice rendue sereinement dans leur pays. N’en déplaise à Jean Bartholin, le président de la cour d’appel, qui a estimé la justice rwandaise offrant des garanties de procès équitable. Au regard de ce qui se passe au Rwanda,
Bartholin écrit une page peu glorieuse pour lui et le justice française.

Nous avons un exemple saisissant du non-droit sévissant au Rwanda à travers le cas de Victoire Ingabire Umuhoza.

Le cas Victoire Ingabire

Cette jeune femme, arrivée aux Pays-Bas en 1994 dans le contexte de la guerre civile rwandaise comme réfugiée politique, poursuit des études supérieures en économie commerciale et se retrouve à la coordination des services comptables d’une entreprise internationale.

Cependant, voyant son pays natal tombé sous l’autorité d’un régime autocratique aux mains d’une minorité ethnique, elle milite au sein d’un parti d’opposition réfugié à l’étranger, le RDR (Rassemblement républicain pour la Démocratie au Rwanda) dont elle devient la présidente en 2000. En 2006 elle fédère trois mouvements sous le nom de FDR (Forces démocratiques unifiées). En 2009, elle se voit élue pour représenter le parti aux élections présidentielles rwandaises.

Elle démissionne alors de ses fonctions professionnelles et, le 16 janvier 2010, débarque à Kigali. Rendant hommage aux victimes du génocide, cependant elle gêne, car évoquant aux côtés des Tutsis les autres ethnies touchées par les massacres, elle entre en conflit avec le dogme officiel. Pire, elle menace le coeur du pouvoir, confisqué par la minorité tutsie et son autocrate Paul Kagamé.

Il faut en effet savoir la classe dirigeante issue de la minorité tutsie (1), réfugiée en Ouganda au cours des années 70 et 80, puis entrée en rébellion armée à partir de 1990.

À la suite du génocide de 1994, la guérilla tutsie profita du délitement de l’État et de l’émotion engendrée par les massacres pour s’emparer du pouvoir. Comme sous d’autres cieux, un génocide, bien réel, devient alors l’acte fondateur du nouvel État, justifiant les injustices et les dénis de droit des nouveaux maîtres.

S’opposant à la doxa officielle et prétendant se présenter en alternative au Président Kagamé, Victoire prend des risques. Le 3 février 2010, 19 jours après avoir posé le pied sur le sol rwandais, elle est convoquée par l’administration.

Étrangement, à son arrivée devant le bureau, elle est agres-sée devant des policiers en faction et ses papiers d’identité dérobés. De manière inexplicable, des informations tirées de ces documents sont alors publiées dans la presse. Puis ces derniers lui sont rendus sans explication par la police.

Le 8 février, Kagamé en personne déclare qu’il va faire ce qu’il faut pour mettre Victoire « hors d’état de nuire ». Le harcèlement monte d’un cran avec une convocation au siège de la police criminelle. Enfin le 23 mars, quand elle va prendre l’avion pour passer quelques jours avec sa famille restée aux Pays-Bas, elle est arrêtée à l’aéroport.

Elle est inculpée, accusée de comploter contre le pouvoir et « d’idéologie génocidaire ». Son avocat américain est empri-sonné et ne retrouve la liberté qu’au bout de trois semaines. Enfin, le 14 octobre, Victoire est arrêtée. Elle ne sortira plus de prison. Le 20 juin 2011, son procès s’ouvre à Kigali. Le 30 juin 2012, elle est condamnée à huit ans de prison ferme. Elle fait néanmoins appel. Le jugement devrait être rendu le 13 décembre de cette année.

Entre temps, détenant la réalité du pouvoir depuis seize ans, Kagamé a remporté les élections présidentielles avec 93% des suffrages exprimés. Ce résultat à la soviétique, dans un pays de plus fortement ethnicisé et où « l’élu » appartient à la minorité, suffit à faire comprendre que le Rwanda n’a rien d’une démocratie modèle.

L’étude des candidatures finit de nous convaincre du peu de légitimité de ces élections. Seuls trois proches de Kagamé, sans représentativité réelle, ont été enregistrés. Quant à Victoire, il lui a été interdit de se présenter sur décision du tribunal.

Aujourd’hui, elle croupit dans une cellule dont la fenêtre a été aveuglée et a été vue le crâne rasé portant des fers aux mains et aux pieds.

Le cas de Victoire apparaît si choquant que le 25 mai 2013, le Parlement européen a voté une motion (2) pour rappeler « aux autorités rwandaises que la démocratie se fonde sur un gouvernement pluraliste, une opposition effective, des médias et un système indépendants, le respect des droits de l’homme et des droits d’expression... »

Plus précisément concernant Victoire, il déclarait faire « part de sa vive préoccupation au sujet du procès en première instance de Victoire Ingabire, qui ne respectait pas les normes internationales, en premier lieu en ce qui concerne son droit à la présomption d’innocence, et était basé sur des preuves fabriquées et des aveux de co-accusés qui ont été placés en détention militaire au Camp Kami, où on aurait eu recours à la torture pour extorquer les dits aveux ».

Plus loin, on lit que « la loi de 2008 sur l’idéologie du génocide utilisée pour accuser Victoire Ingabire a servi d’instrument politique pour museler les critiques du gouvernement » émanant d’une opposante.

Cette phrase est lourde de sens. Elle pourrait, à peine retouchée, servir à qualifier l’instrumentalisation d’autres génocides. En attendant, au Rwanda, c’est bien une mino-rité ethnique qui gouverne. Comme les alaouites en Syrie jusqu’à aujourd’hui. On voit comment cela se termine.

Notes

(1) Les Tutsis ne représentent que 10 à 20% de la population. Les Hutus, l’essentiel du reste de la population.
(2) Elle est enregistrée sous le code 2013/2641(RSP).

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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