QUI A ENLEVÉ LES OTAGES DU SAHARA?

 

 Les quatorze otages, pour la plupart allemands, enlevés dans le Sahara algérien au début de l'année 2003, ont retrouvé la liberté le 18 août 2003 dans la région de Kidal dans le nord du Mali. Dix-sept autres avaient été libérés en mai par leur ravisseurs, selon les uns, par l'armée algérienne, selon les autres. Le trente deuxième, une femme, est morte d'une insolation pendant sa détention. Le responsable des rapts serait un dénommé "Abderrezak El Para," agissant pour un mouvement islamiste armé, le GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat) dirigé de Hassan Hattab. Alain Chevalérias, consultant auprès du Centre de recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001 a réalisé cette étude en août 2003.

 En réalité la plus grande circonspection s'impose. Abderrazak El Para pourrait obéir à des commanditaires qui n'ont rien à voir avec les islamistes

Plusieurs points motivent notre méfiance.

è La biographie d'Abderrezak El Para.

 Appelé aussi Amari Saïfi, il est né dans l'est algérien et est âgé d'environ trente cinq ans. On s'accorde pour faire remonter sa désertion de l'armée algérienne à 1991. La presse algérienne affirme qu'il a appartenu à la direction du GIA (Groupes islamiques armés) sous Zitouni et qu'il rejoint Hassan Hattab en 1996. Admettons. D'autres informations nous sont cependant parvenues.

D'après les informations collectées, "El Para," ne se signalait pas par un comportement religieux au sein de l'armée et, surtout au 12ème RPC, il participait à des beuveries avec ses camarades.

En dépit des obstacles opposés aux journalistes par les autorités algériennes pour se rendre en Algérie, nous avons vérifié ce que nous avons pu. Aussi livrons-nous ces informations sans pouvoir tout confirmer avec certitude.

Néanmoins, la partie de biographie, dévoilée dans la presse algérienne, suffit à dresser d'El Para un portrait plus proche de celui d'un agent en mission d'infiltration, que de celui d'un déserteur passant à l'ennemi par conviction.

è Les déplacements dans le désert.Très peu de témoignages des otages nous sont parvenus. Les autorités allemandes, semblent-ils, leur ont interdit de vendre l'histoire de leur aventure à la presse. Pour avoir vécu, ou plutôt survécu, en zone désertique, dont celle du Sahara, nous savons que de tels déplacements ne s'improvisent pas.

Au bout de quatre heures de marche sans eau dans le désert, on peut mourir de soif. Il faut connaître les points d'eau, savoir entretenir les véhicules et se dépanner "avec rien." Il faut connaître les chefs de tribus pour s'assurer au moins leur neutralité. Que dire des difficultés d'une unité de guérilla, embarrassée d'un groupe d'Occidentaux et, paraît-il, poursuivie par l'armée!

Pour surmonter un tel défi, et tenir pendant sept mois, un réseau de soutien important est nécessaire.

  ABDERREZAK EL PARA

Abderrezak El Para, selon la presse algérienne, s'appelle en réalité Qessah. Formé en 1987 à l'école des forces spéciales de Biskra (à 350 km au sud-est d'Alger) il y devient sergent. Après sa formation, il est muté au 12ème RPC (12ème régiment de para-commandos), une unité d'élite de l'armée algérienne. En 1992, il déserte de la caserne de Beni Messous (à Alger) pour le maquis. En 1994, cependant, il se rend aux autorités. Pendant deux ans, il aurait été vu à plusieurs reprises au centre de Ben Aknoun, le CPMI (Centre Principal Militaire d'Investigation) en compagnie du patron d'alors, le colonel Tartague, devenu depuis général. Il est envoyé en stage pendant trois ans, avec le grade de lieutenant, à Fort Bragg (USA), le centre d'entraînement des Bérets Verts américains. De retour en Algérie, il est nommé capitaine. Pourtant promis à une belle carrière, il déserte à nouveau en 1997 et rejoint les maquis.

  è L'existence peu crédible de maquis du GSPC de Hassan Hattab dans le Sahara.

Depuis le début de l'Insurrection islamiste en 1992, le Sahara est resté tranquille. D'abord parce que, pour des raisons d'environnement naturel, il y est pratiquement impossible, à des gens du nord, d'organiser une guérilla ou de lancer des raids. Ensuite en raison de la grande densité des barrages de l'armée, dressés pour assurer la sécurité des zones de production d'hydrocarbures.

Ceci explique les propos recueillis, par l'AFP, auprès d'un médiateur malien chargé d'intervenir dans l'affaire des otages, Baba Ould Cheikh. Il a qualifié les kidnappeurs de bandits de longue date au discours islamisé, qui se présentent comme des "moudjahidine" opposés au pouvoir d'Alger. "Des gens de leur groupe avaient pris un de mes véhicules, raconte-t-il, alors je leur ai envoyé un message écrit les menaçant de représailles... Ils ont immédiatement obtempéré parce que je connais bien la zone..."

"Leur chef, c'est l'émir Abderrezak El Para, confie-t-il au journaliste, c'est un homme grand, très dur et ferme dans les discussions..." Ceci confirme la présence "d'El Para" à la tête des kidnappeurs. "Leur fief, précise Ould Cheikh, est au nord de Gao." Il évoque le secteur de Tessalit, village malien à la frontière de l'Algérie, et l'Adrar des Iforas, une région habitée par les Touaregs.

Or les Touaregs sont les seuls à pouvoir se déplacer en sécurité à travers le désert dans la partie méridionale du Sahara.

Hassan Hattab aurait-il enrôlé des bandits touaregs pour former des maquis sahariens et les placer sous les ordres d'Abderrezak?

 
photo d'el para 2004

 

 

logo GSPC
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

On peut en douter pour trois raisons:

1- D'abord il est basé dans le triangle Jijel, Skikda et Batna, en Kabylie. A 2000 kilomètres de Gao.
2- Ensuite, les groupes de Hassan Hattab, très disciplinés, ont pour ordre de ne pas toucher aux civils que leur chef qualifie "d'innocents." C'est pour cette raison qu'il a fait scission des GIA en septembre 1998. Il ne prend pour cible que les unités de l'armée et les milices, allant jusqu'à les défier dans leurs casernes.
3- Enfin, Hassan Hattab se méfie des déserteurs de l'armée, qu'il soupçonne a priori d'être chargés de mission par les services de renseignements. Une raison pour lui de maintenir ses distances avec El Para.

 èLes moyens de communication dont dispose El Para.

D'après une dépêche de l'AFP du 13 août, et "de source proche des négociateurs," El Para possède "de puissants moyens de transmission." Ces moyens peuvent relever de deux technologies: le satellite ou les communications par radio. Dans les deux cas, le point de départ des émissions est détectable. A chaque fois qu'il émettait, la position d'El Para était donc dévoilée. Pourquoi l'armée algérienne n'a-t-elle pas mis cela à profit pour intercepter le groupe?

èLe lieu de l'enlèvement des otages.

Ils ont disparu dans la région d'Illizi au cours de voyages touristiques en motos et voitures 4X4. Or Illizi n'est pas un lieu anonyme. D'une part, avec toute sa région, cette bourgade est incluse dans le territoire des Touaregs, dont on voit les tentes dressées auprès des points d'eau. Ce n'est pas un hasard si, pour la deuxième fois, nous mentionnons les Touaregs.

D'autre part, dans la même région, aux environs de Djanet, une base américaine est en cours de construction.

èLes propos tenus dans la presse algérienne et par les officiels d'Alger.

Dans "Le Quotidien d'Oran." du 20 juillet 2003, on lit: "Parmi les nombreux projets antiterroristes américains en Afrique, figurerait l'installation d'une base militaire dans le sud algérien..."

Nuance à apporter, la base est en construction depuis au moins trois ans.

"Les services secrets américains, continue l'article, sont en effet convaincus que plusieurs groupes d'Al-Qaïda tenteraient de s'installer en Afrique... La prise d'otages de touristes européens dans la région de Tamanrasset est ainsi imputée à des groupes proches d'Al Qaïda. Cette région frontalière entre l'Algérie et le Niger est considérée comme une zone de non-droit, un endroit idéal pour les éléments d'Al Qaïda..."

 En d'autres termes, l'armée américaine est la bienvenue en Algérie au nom de la lutte contre Ben Laden. Aucune action terroriste n'ayant jamais été signalée dans le Sahara, les enlèvements de touristes étrangers par El Para tombent à pic.

Une dépêche de l'AFP du 20 août enfonce le clou. On lit: "L'affaire des otages européens confirme, selon les autorités algériennes, l'existence d'un sanctuaire d'islamistes liés au grand banditisme dans le Sahara..."

 

NOS CONCLUSIONS

Pour cet ensemble de raisons, nous pensons:

a qu'Abderrazak El Para pourrait avoir organisé la prise d'otages sur les ordres d'un service de l'État algérien,

a qu'il a opéré avec le soutien de bandits de l'ethnie touarègue, eux-mêmes faisant jouer les solidarités tribales.

a que l'opération sert à justifier l'installation d'une base américaine dans le Sahara algérien.

 

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

Abdel Razak le Para (appelé aussi Amari Saïfi); a été livré par la Libye à l'Algérie, ont rapporté les autorités d'Alger le 28 octobre 2004.

Il est retenu dans la caserne de Blida en Algérie. D'après nos sources, il y serait libre de ses mouvements.

 

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