HISTOIRE
« L’ARMÉE DU CRIME »

Les salles de cinéma projettent un film, « L’Armée du crime », qui relate l’épopée d’un réseau de résistance à l’occupation allemande, formé en majorité de Juifs. C’était le réseau Manouchian, un jeune Arménien originaire de Turquie. A cette occasion, nous republions les principaux passages d’un article écrit par Pierre de Villemarest en juin 1985 sur ce sujet. Nous rappelons que Pierre de Villemarest servait dans la Résistance. Puis il a travaillé comme officier de renseignement aprè s la guerre avant de se consacrer au journalisme.

En 1942, a surgi dans Paris, issu de la M.O.I. (Organisation communiste de la Main d’oeuvre Immigrée) une composante militaire constituée de quatre détachements : le 1er est à prédominance balkanique, le 2ème juif, le 3ème italien et le 4ème d’origines ethniques multiples. Dans tous les cas, la majorité des hommes, des femmes et de leurs réseaux de soutien est d’origine juive. En 1943, le chef militaire s’appelle Missak Manouchian, Arménien né en Turquie.

Depuis le début de l’année, des arrestations ont frappé assez haut. Quelques-uns ont parlé. Quelques cadres estiment qu’assassiner ou saboter n’importe quand et sans objectifs vitaux est insensé. Adam Rayski s’en émeut au nom de la section juive du PCF, dont il est responsable.

Il demande à l’état major national des communistes l’évacuation vers le centre et le sud de la France des groupes d’action manifestement de plus en plus cernés par les recherches allemandes. Pas question ! Ce sont des capitulards répond une « instance supérieure ». Supérieure à l’état-major des communistes en France. Donc l’appareil soviéto-communiste proprement dit.

En quelques mois, c’est l’hécatombe. Aux 140 militants arrêtés fin mars 1943, à deux douzaines ensuite, s’ajoutent cinq autres douzaines jusqu’à novembre. On aurait voulu les sacrifier que l’on n’aurait pas agi autrement. Car les groupes continuaient de tuer et de saboter (14 actions durant les douze premiers jours de novembre 1943). Sur ordre de « l’instance supérieure », Moscou, David était jeté aux lions...

Ici se place un inédit, dont la photocopie se trouve dans mes archives. Il s’agit des consignes clandestines datées du 26 février 1943, d’un certain « F » à un certain Philibert. Nous n’avons pas pu identifier ce « F ». Mais, Philibert, c’est Brossard, arrêté le 27 mars, et à l’époque responsable national des cadres du PC clandestin.

Or que disait « F », un mois plus tôt : « ... Nous ne pouvons pas oublier que la seule façon dont nous puissions utilement intervenir pour hâter la formation du 2ème front, c’est l’action, et notre action contribue à influencer l’opinion publique, tant en Amérique qu’en Angleterre... Tu comprendras mieux aussi pourquoi, dans un autre mot, j’insiste sur la lutte des classes, qui dans le développement de la situation prendra le caractère de la lutte pour la libération nationale ».

Ce document parmi d’autres confirme la thèse d’Adam Rayski (Le Monde du 19 juin 1985) : la direction du PC a carrément sacrifié l’organisation dont Manouchian était le responsable militaire dans Paris en la poussant à des actions spectaculaires pour qu’à Alger et à Londres, les communistes s’imposent comme l’organisation de résistance la plus dynamique en France.

Très étrangement, dans ce cas comme dans beaucoup d’autres, ce sont les Juifs que l’appareil soviétique sacrifiait en priorité.

De plus, d’anciens cadres de la Gestapo et du SD, le Service de Renseignement spécial du parti nazi, m’ont dit entre 1945 et 1949, alors que mes fonctions m’amenaient à les interroger : « À partir de la période mai/juin 1943, une cascade de renseignements anonymes, mais précis, arrivèrent dans nos bureaux. Il fallut plusieurs semaines pour vérifier, avant d’intervenir. Tout était si exact que, vu le cloisonnement de règle dans les organisations communistes, il fallait bien que cela vînt d’en haut... »

Voilà pour « l’instance supérieure ». Une instance dont Moscou ne veut surtout pas qu’on parle, ni pour hier, ni pour le présent, puisque le système est toujours en fonction (NDLR : en 1985).

Ce serait aussi constater qu’autour de Gorbatchev, à Moscou en 1985, les vétérans des Affaires étrangères et du KGB sont justement ceux qui entouraient Staline de 1937 à 1948, lors de la vague antisémite en Europe soviétisée, puis en 1952 et 1953, lors d’un nouveau déferlement antisémite en URSS même cette fois.

Pierre de Villemarest

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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