HISTOIRE
CRÉMIEUX L’AMBIGU

Adolphe Crémieux est né Isaac Moïse à Nîmes en 1796, au lendemain de la Révolution française, dans une famille de négociants juifs. Il appartient à cette première génération qui ne connut pas le statut auquel étaient soumis les Juifs sous l’ancien régime. Il est très représentatif à la fois de l’entrée des Israélites dans la vie publique et de la mise sur pied d’une stratégie mondiale au service de la communauté.

Après des études de droit, Crémieux choisit la carrière d’avocat. Il exerce d’abord à Nîmes mais déjà, jeune, posant au défenseur de sa communauté. Ainsi, en 1828, entre-t-il au Collège des notables israélites de la circonscription de Marseille. Mais il rêve d’aller plus loin et, en 1830, courant au succès de la Révolution de juillet, ce bon républicain s’empresse de faire des ronds de jambe à Louis-Philippe. Sent-il le vent venir ? À partir de 1847, il rejoint l’opposition et, au lendemain de la Révolution de 1848, entre au gouvernement provisoire avec le retour de la République. Cela ne l’empêchera de voter pour l’accession au pouvoir de Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III.

Il sera élu plusieurs fois député, servira dans bien des gouvernements et finira sénateur « inamovible » de 1875 à 1880, année de sa mort. Un homme, on le voit, qui aura eu le sens de la survie politique. Mais était-ce sa principale préoccupation ? Il se sent avant tout juif. Ainsi réagit très mal à l’annonce de la conversion de sa soeur au catholicisme. En outre, s’il y a un terrain sur lequel il ne louvoiera jamais, c’est celui de la défense des intérêts de sa communauté.

Ainsi, en 1840, il se rend auprès du vice-roi d’Égypte, Mohamed Ali, qui s’est emparé de la Syrie. Il vient pour lui demander d’intervenir en faveur de 13 Juifs accusés à Damas de crime rituel contre le Père Thomas, un religieux catholique. Il obtient la libération des 9 prisonniers survivants.
En 1843, il est élu président du Consistoire de Paris. Le 3 mars, alors ministre de la Justice, il obtient de la Cour de cassation la suppression du « serment more judaïco », sensé s’assurer que les juifs ne mentent pas devant le tribunal (1). Une vingtaine de hauts magistrats refusant d’obtempérer furent démis. Le très fort sentiment de Crémieux en faveur de sa communauté va devenir un poison mortel pour la présence française en Algérie.

En dépit de ses relations passées en tant qu’avocat avec la famille impériale, Crémieux a rejoint le camp républicain. Le 4 septembre 1870, au lendemain de la capitulation de Sedan devant l’armée allemande, il devient membre du gouvernement de Défense nationale de la IIIème République naissante.

Le 12 septembre, le nouveau gouvernement se replie sur Tours. Alors que la priorité absolue est la défense du pays, membre d’un exécutif autoproclamé qui ne jouit pas de la légitimité des élections, Crémieux ne trouve rien de mieux que de pondre six décrets réglementant la vie en Algérie. Parmi eux, le n°136 accorde la citoyenneté française à la population juive originaire de notre colonie. Ne bénéficiant pas du même avantage, ulcérés par cette discrimination, en mars 1871, les Kabyles se soulèveront pendant sept mois. Alors qu’en 1830, nous avions été reçus en libérateurs par ces mêmes Kabyles (2), le décret Crémieux préparait les affres de la guerre d’indépendance.

Détail qui a son importance et prouve l’esprit communautariste de Crémieux, les tribus chrétiennes d’Algérie ne bénéficiaient pas de son décret.

Aussi, quand Crémieux exhorta les députés à aller soutenir les chrétiens du Levant agressés par les mahométans, est-on en droit de s’interroger sur sa sincérité. Il leur dit pourtant : « Les chrétiens du Liban, mais ils sont vos frères depuis des siècles, non pas seulement vos frères en religion mais vos frères à la guerre... »

A l’aube de la naissance officielle du sionisme (3), travaillant déjà l’esprit des juifs, l’idée d’une réinstallation en Palestine était très forte. Crémieux, comprend-on, ne cherchait qu’une chose : une présence militaire occidentale dans la région pour assurer la sécurité des juifs.

Certes, il n’y a rien de blâmable, mais il est toujours fort dérangeant de s’apercevoir que l’on est manipulé, croyant défendre une cause mais découvrant que l’on sert celle d’un plus rusé. Voilà pourquoi, aujourd’hui encore, nous nous inquiétons quand nous en voyons certains nous appeler à protéger les chrétiens d’Orient (4). Non qu’il faille abandonner ces derniers, mais savoir si d’autres, une fois encore, ne se servent pas de cette cause à leurs propres fins.

Jean Isnard

Notes

(1) Cette tradition, répandue à travers l’Euro-pe, est liée à la récitation tous les ans par les juifs à la fête de Yom Kippour d’une prière les déliant d’engagements non tenus dans l’année. Le serment était destiné à s’assurer de leur sincérité devant les tribunaux.
(2) Pour les Kabyles, en 1830, l’armée française les libérait de l’occupation turque.
(3) Lors du congrès de Bâle le 31 août 1897.
(4) Voir « Les Chrétiens d’Orient »

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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