HISTOIRE

LA RÉPUBLIQUE
DES GUARANIS

Il est aujourd’hui d’un usage commun de dénigrer l’oeuvre de l’Église pour sa volonté d’évangélisation, principalement en Afrique et en Amérique. On veut les conversions des habitants de ces continents obtenues par la force, les paupérisant en les coupant de leur milieu naturel. Certes, les Européens n’ont pas toujours fait preuve de scrupules à l’égard des « indigènes » et l’Église a souvent été un instrument des pouvoirs politiques européens. Il est néanmoins une expérience, conduite en Amérique latine par les Jésuites qui mérite d’être relatée, celle de la République des Guaranis.

À l’orée du XVIème siècle, pénètrant au Paraguay, les Espagnols utilisent ce territoire afin de pousser leur exploration vers El Dorado, l’empire inca. Mais en 1548, arrivant enfin sur le lac Titicaca, berceau mythique de la lignée du Grand Inca, ils se rendent compte que leur objectif a été atteint en 1532 par d’autres Espagnols conduits par Francisco Pizarro. De base de départ, le Paraguay devient alors un établissement permanent.

En 1556, afin d’étendre son autorité, le roi d’Espagne crée l’ « encomienda », système permettant à ses sujets d’évangéliser les Indiens qui, en échange, doivent travailler leurs terres et leurs mines de métaux précieux. C’est manifestement de l’esclavage, mais Madrid voit là un moyen de s’enrichir en prélevant des impôts.

Au Paraguay, l’encomienda prend le nom de « mita ». Les Guaranis, Indiens vivant de chasse et de cueillette dans les forêts, plus rétifs qu’ailleurs, se rebellent, rendant la région ingouvernable. Les Espagnols font alors appel aux ordres religieux.

Refusant le principe de la mita, les Jésuites concluent un accord avec le roi. Ils lui verseront un tribut par indien mâle converti mais il leur laissera le contrôle administratif et politique des convertis en échange.

Les Jésuites apprennent la langue des Guaranis et étudient leur culture. Puis ils les évangélisent, s’appuyant sur certaines ressemblances entre les croyances de ce peuple et le christianisme. Si les Guaranis acceptent facilement de se convertir, ils n’en ont pas moins tendance à retourner à leurs coutumes. Les Jésuites convoquèrent un synode à Asunción (Paraguay) qui décida de donner une organisation sociale aux convertis dans des villages nommés « réductions ».

La première vit le jour en 1609. En 1630, on en comptera onze regroupant 10 000 convertis. Ils seront 141 000 en 1732.

Il faut qualifier ces « réductions » de communautés utopiques. Si le chef du village est un Jésuite directement nommé par l’ordre, tous les autres responsables sont Indiens. Mieux, ils sont élus démocratiquement par leurs coreligionnaires. Chose exceptionnelle pour le temps, tous les membres de la communauté savent lire et écrire. Quant au travail, il ne ressemble en rien au servage. Le dimanche et le jeudi sont chômés et la semaine de labeur est fixée à trente heures. À l’époque, elle est de 72 heures en France. Le reste du temps est consacré à la pratique du sport, de la danse ou de la musique et, bien sûr, aux activités religieuses. Autre avancée pour l’époque, la peine de mort a été supprimée.

Il n’y a pas place pour l’oisiveté dans les « réductions ». Les revenus de la communauté sont assurés par les revenus des plantations dont certaines cultures, comme celle du coton, sont exportées, et la vente d’objets fabriqués allant des montres aux instruments de musique.

Les « réductions » ont cependant beaucoup d’ennemis. D’abord les chasseurs d’esclaves. Les Guaranis obtiendront l’autorisation de posséder des armes pour se défendre. Mais, en 1735, le gouverneur du Paraguay entre en conflit avec la République des Guaranis. Il trouve un appui chez ceux qui jalousent les Jésuites mais aussi chez les propriétaires terriens qui voudraient s’accaparer la main d’oeuvre des Guaranis. Puis en 1750, un nouveau traité est signé entre l’Espagne et le Portugal. Changeant les frontières de l’Amérique latine, il place la plus grosse partie des « réductions » sous autorité de Lisbonne.

Sous l’influence de son Premier ministre, ennemi juré des Jésuites, le Portugal ordonne le démantèlement des villages les plus riches. Les Guaranis se révoltent en 1753 et, en 1767, les Jésuites sont expulsés sur l’ordre de sa majesté très catholique.

Avec leur départ c’est la fin d’une expérience, rare pour l’époque, mais aussi d’une belle aventure humaine.

Jean Isnard

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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