LA MECANIQUE TERRORISTE

Bruce HOFFMAN

Calmann-Lévy 1999, 304 pages

 

NOTE DE LECTURE
LA MÉCANIQUE TERRORISTE

Bruce Hoffman

Calmann-Lévy, 1999, 304 pages.

Bruce Hoffman dirige le bureau washingtonien de la Rand Corporation, centre de recherche qui travaille sur le terrorisme et les conflits de basse intensité. Il rapporte une conversation entre Terry Anderson, journaliste américain otage, pendant près de sept ans, du Hezbollah libanais, et l'un de ses geôliers. Ce dernier dénonce l'utilisation de l'adjectif " terroriste " utilisé par la presse occidentale pour qualifier son parti, et affirme avec véhémence : "Nous ne sommes pas des terroristes, nous sommes des combattants. " Et Anderson de lui répondre : " Tu es un terroriste, vérifie dans le dictionnaire. Tu es un terroriste, même si tu n'aimes pas le mot et si tu n'aimes pas le mot, ne commets pas l'acte."


On appelle terroriste celui qui recourt à la terreur pour tenter d'imposer sa volonté sur la scène politique. Le paradoxe, c'est qu'en le désignant par son nom, on émet également un jugement de valeur. Car subjectivement, le terroriste, c'est "l'autre" : l'israélien, pour les hommes du Hezbollah ou du Hamas l'Etat français, naguère, aux yeux des assassins du FLN; les Etats-Unis pour le milliardaire saoudien Oussama Ben Laden, commanditaire d'attentats anti-américains actuellement réfugié en Afghanistan. Bref, en choisissant d'employer le terme "terroriste ", on s'interdit toute neutralité. On a vu, au mois de mars, ce qu'il en a coûté à Lionel Jospin d'oublier cette réalité, à propos du Hezbollah justement. Il a dit ce qu'il avait raison de penser, mais tort d'exprimer.
Quoi qu'il en soit, cette définition qui réduit le terrorisme à l'usage de la terreur n'est guère satisfaisante. Les Etats en guerre ne cherchent-ils pas, eux aussi, à "terroriser" l'ennemi ? Les bombardements sur Dresde ou l'usage de l'arme nucléaire contre le Japon, à la fin du dernier conflit mondial, relèvent de cette logique. Et les groupes terroristes ne s'y trompent pas, qui se servent de cette analogie pour banaliser leurs actes et revendiquer une légitimité militaire.


Ils n'oublient qu'une chose : c'est qu'il existe des règles de la guerre. Déjà, au Moyen-âge, on préconisait leur respect à défaut de les appliquer toujours. Au XIIe siècle, le juriste hollandais Hugo Grotius les énonça avec clarté et, à partir de 1860, plusieurs conventions sur les conflits armés, signées à Genève et à La Haye, les transformèrent en lois internationales.


Que dit cette législation supra-nationale? Elle interdit de prendre des civils en otages, édicte des principes relatifs aux droits des prisonniers de guerre, prohibe les représailles, conceptualise la notion de " territoire neutre " et la protection des diplomates. Bruce Hoffman constate qu'un "survol même rapide des activités terroristes du dernier quart de siècle, de leurs tactiques et de leurs cibles, montre que les terroristes ont violé toutes ces règles". En s'affranchissant, dans leur lutte, des lois de la guerre, les terroristes se retranchent du champ militaire. Dès lors, et quelle que soit la légitimité de leur cause, ils ne sont plus que des assassins.


Certes, trop souvent, les Etats eux-mêmes, fussent-ils occidentaux, violent le droit de la guerre. Mais là apparaît la différence avec les organisations terroristes les Etats sont, de plus en plus, obligés de rendre des comptes. Et lorsque leur mépris des lois de la guerre devient un mode de fonctionnement courant, ils finissent par être relégués dans la catégorie "Etats terroristes", isolés par la communauté mondiale. Il n'est que de songer à la Libye, au Soudan ou à l'Iran.


Ostracisé, le terrorisme n'en continue pas moins d'exister. Dans un monde où le développement des techniques donne l'avantage aux armées régulières sur les guérillas, il tend à se substituer à ces dernières et fait figure d'ultime "réponse du faible au fort".

Or la modernité, en multipliant les contraintes réglementaires, engendre de plus en plus de frustrations. Bruce Hoffmann s'en inquiète et suggère" d'établir un pont entre la société et les extrémistes ". En clair, même s'il ne le dit pas en ces termes, il suggère de renforcer la démocratie, afin d'éviter que l'on atteigne le point de rupture psychologique à partir duquel un groupe de personnes frustrées se mue en organisation terroriste.
Comme le remarque Gérard Chaliand dans la préface de l'ouvrage, le terrorisme "ne peut pas déstabiliser les Etats industriels mais représente une nuisance dont l'impact, dans les esprits, est important ". Et Chaliand de conclure son propos en se demandant si le terrorisme n'est pas le prix que doit payer l'Occident pour son hégémonie planétaire. C'est-à-dire pour le manque de démocratie qui caractérise la scène internationale.

 

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