BEN LADEN AU PEUPLE FRANÇAIS

Le 27 octobre 2010, Al Jazeera diffusait un enregistrement vidéo sensé rapporter les propos d'Oussama Ben Laden.

Si les mots semblent sortir de la bouche du leader d'Al-Qaïda, on ne voit de lui qu'une image fixe reproduite sur la moitié de l'écran. Sur l'autre partie de ce dernier, est reproduite une photo de policiers français entourant une jeune fille musulmane voilée à l'entrée d'un lycée. L'un des représentants des forces de l'ordre, une femme, enlève le foulard de la jeune fille. A noter que ce même cliché a été utilisé par l'Armée islamique en Irak, au moment de l'enlèvement de Georges Malbrunot et de Christian Chesnot, en 2004. Seule différence avec la publication d'alors, les visages sont floutés, quand ils apparaissaient nets il y a six ans.

Dans sous-titre de l'écran, on lit en arabe : " D'Oussama Ben Laden au peuple français ".

Dans le texte (voir traduction en encadré), l'orateur conforte sa position de leader d'un soulèvement islamique à l'échelle planétaire : il s'attribue l'enlèvement des expatriés français au Niger, reproche à la France son soutien actif aux Américains et ses activités économiques en Afrique. Mieux, comme si l'ensemble de l'Afrique de l'ouest était musulmane, il revendique une parenté, que l'on imagine religieuse, avec la population.
Cette manière de présenter les choses reflète le fantasme islamiste d'une minorité convaincue de mener une guerre contre la partie non-musulmane de l'humanité, principalement les Etats-Unis. Elle est symétrique de la manière de penser de certains Américains convaincus qu'une guerre des civilisations oppose l'Orient et l'Occident.

Néanmoins, cette interprétation de la réalité ne tient pas la route. D'une part parce que la plupart des pays musulmans sont nos alliés dans la lutte contre le terrorisme. D'autre part en raison de l'inexistence d'un commandement centralisé dont Ben Laden cherche à créer l'illusion dans nos esprits.

Pour lui répondre, il conviendrait de dénoncer cette mystification mais, et c'est sans doute notre plus grande faiblesse, une certaine propagande occidentale tend à accréditer le mythe que cherche à bâtir Ben Laden.

Dans ce contexte, quand les mots pèsent au moins autant que l'explosion des bombes, les autorités françaises viennent de commettre une grave erreur. En effet, dans son message du 27 octobre, Ben Laden appelait la France à se retirer " de la maudite guerre de Bush en Afghanistan ". Or, le lendemain, Hervé Morin, le ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy, ne trouvait rien de mieux que d'évoquer " de possibles premiers retraits " français d'Afghanistan en 2011. Avec une maladrese consommée, il ajoutait que cette décision n'avait " absolument aucun lien " avec les menaces d'Al-Qaïda.

Il vaut mieux éviter l'affrontement. Mais quand, estimant inévitable de croiser le fer, on en vient à se battre, il faut alors le faire sans faiblesse. Le contraire en somme de l'impression que donne le ministre de la Défense français.

Mais sortons du virtuel pour voir, sur le terrain afghan, comment les troupes occidentales se comportent. Comme nous l'avons mis en valeur dans plusieurs de nos articles, les forces d'occupation perdent du terrain. Si les troupes françaises se comportent bien dans les régions de Kapissa et Saroubi, à l'est de Kaboul, globalement, les Taliban étendent leur influence. On les trouve aujourd'hui jusque sur la frontière du Tadjikistan, où ils ont installés de nouveaux maquis.

Dans ce conflit où il faudrait des combattants agressifs, plus " guerriers " que soldats, nous n'avons à opposer aux jeunes pachtouns élevés à la dure que des citadins habitués au confort. Seule une élite de commandos aguerris peut faire la différence. S'ils ne représente qu'une minorité au sein des armées occidentales, le commandement compte néanmoins sur eux pour l'emporter en décapitant le commandement des Taliban (voir l'encadré " A la recherche de Ben Laden et des chefs desTaliban ").

Les forces occidentales seront-elles plus chanceuses sur ce front ? En neuf ans de guerre on doit avouer les résultats bien maigres. Comme nous l'avons expliqué dans notre rapport sous le titre " Comment sortir du conflit afghan ? " c'est toute notre approche de la contre-guérilla qu'il faut réviser. Nous en venons même à nous demander si ce n'est pas une grosse partie du commandement militaire et de la classe politique des pays occidentaux qu'il faudrait remplacer.

Alain Chevalérias

 

MESSAGE D'OUSSAMA BEN LADEN
DIFFUSE SUR AL-JAZEERA TV
LE 27 OCTOBRE 2010

Ben Laden message au peuple français-27 octobre 2010

 

" Pour commencer, je voudrais dire que vos experts au Niger, eux qui étaient sous la protection de vos mandataires, ont été enlevés en réponse à vos pratiques injustes envers notre peuple musulman.
Comment en effet concilier votre volonté de vivre en paix et en sécurité avec votre participation à l'occupation de nos pays et votre soutien aux Américains qui tuent nos femmes et nos enfants ?
Comment les concilier avec votre ingérence dans les affaires des musulmans dans le nord et l'ouest de l'Afrique, plus particulièrement, et avec le soutien de vos mandataires contre nous ?

Vous accaparez beaucoup de nos richesses par des marchés douteux tandis que nos parents là-bas (NDT : on comprend en Afrique) souffrent de la pauvreté et de la misère ?
Quand vous nous opprimez et considérez qu'il est de votre droit d'interdire aux femmes vertueuses de porter le hijab, n'est-il pas du nôtre de pourchasser vos hommes qui occupent (NDT : nos terres) et de les décapiter ?

Bien sûr que si ! L'équation est simple et claire : comme vous tuez, vous serez tués, comme vous capturez, vous serez capturés, quand vous bafouez notre sécurité, la vôtre sera bafouée. Celui qui commence est le plus injuste !

Pour préserver votre sécurité il faut que vous cessiez vos injustices chargées de conséquences contre nous. La décision la plus importante serait votre retrait de la maudite guerre de Bush en Afghanistan. Il est temps de mettre fin à ce qui s'appelle une colonisation directe et indirecte.

Vous devez réfléchir à la situation que connaît l'Amérique suite à cette guerre injuste : elle est sur le bord de la banqueroute, menacée dans tous les domaines vitaux. Demain, elle se repliera au-delà de l'Atlantique, avec la permission d'Allah.
Heureux celui qui tire les leçons des mésaventures de l'autre.
Paix sur celui qui suit le droit chemin ".

À LA RECHERCHE DE
BEN LADEN
ET DES CHEFS TALIBAN

Dans l'organigramme militaire des forces d'occupation en Afghanistan, deux unités ont pour mission de capturer ou d'assassiner les chefs des Taliban enregistrés sur une liste dénommée JPEL, (Joint Priority Effects List). La fiche de chaque cible, ou individu visé, est accompagnée d'un code : " K " pour " kill " ou tuer, " C " pour capturer et " KoC " " kill or capture " pour tuer ou capturer. Oussama Ben Laden figure sur cette liste mais le code accompagnant son nom n'est pas connu.

Les forces spéciales françaises ne participent pas à ce programme appelé " Kill or Capture ". Les deux unités chargées de cette mission, l'une américaine et l'autre britannique, sont de niveau " Task Force ", en abrégé TF.

La Task Force 373 (TF 373) est composée quasi exclusivement de " Green Berets " (Bérets verts) du 3ème Bataillon du 7ème SFG de Fort Bragg en Caroline du Nord, commandé par le Colonel James Kraft. Au cours de ses missions, la TF 373 se déplace avec des hélicoptères MH-47G Chinook, MH-60L " DAP " et des Cobra du 3ème Bataillon du 160ème SOAR (160th Special Operations Aviation Regiment Airborne, le régiment de soutien aérien des opérations spéciales), basé à Hunter Army Airfield, en Georgie (USA).

Carte de l'AfghanistanLa TF 373 utilise au moins quatre bases aériennes en Afghanistan : Kaboul, Kandahar, Khost et celle de la Bundeswehr (armée allemande) à Mazar-i-Charif, qui abrite les éléments spécialisés dans les " direct actions " sur des objectifs à haute valeur stratégique.

Elle collabore aussi avec les forces spéciales de l'ANA (Armée nationale afghane) et les autres pays de la coalition. Les unités qui forment l'ossature de la TF 373, ont déjà fait campagne en dehors de l'Afghanistan, principalement en Amérique latine (Nicaragua, Colombie etc...). Elles ont été choisies en raison de leurs habitudes de coopération avec la CIA.

Parallèlement à la TF 373, a été mise en oeuvre la TF 500, une unité équivalente composée de forces spéciales britanniques. Son champ opérationnel se limite au sud de l'Afghanistan et plus particulièrement à la province du Helmand.

La TF 500 est sous l'autorité directe du général Richard Damatt. Elle est spécialisée dans la capture de chefs des 1er et 2ème niveaux, c'est-à-dire l'encadrement supérieur du soulèvement. Elle s'est spécialisée dans les interrogatoires.

La TF 373 et la TF 500 diffèrent dans l'approche tactique pour des raisons stratégiques.

Les Américains cherchent à décapiter le commandement des insurgés pour démotiver les combattants les moins radicaux et isoler les chefs hors de portée des coups des forces d'occupation. Aussi la TF 373 a-t-elle pour mission d'abattre tous les cadres de l'insurrection, y compris les " modérés ".

Les Britanniques, en revanche, veulent susciter le remplacement des cadres insurgés les moins radicaux par les " modérés " plus ouverts à la négociation. Pour ce faire, ils ciblent les décideurs et les éléments les plus violents ou les plus radicaux en termes religieux ou politiques.

Des éléments des deux TF assurent le " debriefing " des cibles capturées qui sont regroupées à la prison de Btif, un groupe de hangars installés sur la base aérienne de Bagram, au nord de Kaboul. Les prisonniers sont ensuite ventilés vers d'autres prisons en fonction de leur importance.

En décembre 2009, on comptait 757 détenus des deux TF, enregistrés sous des codes et des numéros. Depuis le début de la mission, 4588 individus seraient passés par leurs mains.

le FATA ou la Zone Tribale- PakistanLes deux TF n'interviennent pas sur le territoire pakistanais, à l'exception de la zone des FATA, (Federally Administred Tribal Areas - les régions tribales pakistanaises). Au-delà des FATA, c'est la CIA qui opère.

L'action de cette dernière étant par essence clandestine et donc les moyens mis en oeuvre moins importants, les bilans sont plus limités. Seuls les drones permettent en outre une action de type " K " (tuer) significative mais avec une probabilité importante de dégâts collatéraux. Résultat, ce type d'action se révèle d'autant plus difficile à conduire dans l'espace aérien pakistanais que l'ISI (service de renseignement pakistanais) exerce des pressions sur les politiques pakistanais pour y mettre un terme.

Les opérations d'élimination engagées par les deux TF et la CIA nous apparaissent remises en cause sur le moyen terme dans le cadre conjoint de l'alliance. D'une part en raison des divergences tactiques et stratégiques entre Américains et Britanniques, mais également parce que l'existence de la TF 500 prendra fin probablement avec le désengagement annoncé des Britanniques.

En effet, pour des raisons budgétaires et politiques, David Cameron ne sera pas enclin à continuer une coopération dans le nouveau secteur d'action que va constituer dans les prochains mois le Yémen où un nouveau front s'est ouvert contre Al-Qaïda.

Pour ce qui est du théâtre afghan et des américains, les quelques progrès militaires dans le sud n'empêchent pas l'échec politique. La seule stratégie payante pour essayer d'éviter à terme une éviction de Karzaï et de ses autres alliés afghans, reste la neutralisation des chefs taliban et des leaders d'Al-Qaïda, en entraînant le fractionnement des groupes et des clans.

En revanche, il semble que l'option choisie sera le passage des opérations sous autorité directe de la CIA, afin de rendre plus courte, plus rapide et plus fluide la chaîne de commandement. Cette méthode pourrait connaître un développement en étant mise en place assez rapidement au Yémen, contre l'AQAP, sigle de l'Al-Qaïda locale, par la constitution d'une TF uniquement yéménite avec un encadrement américain.

La France et le Qatar pourraient être alors impliqués indirectement par l'utilisation de bases et de nos moyens logistiques à Djibouti dans l'accueil de drones Predator. Mais pour ce qui est de leur utilisation, il semble que les yéménites renâclent par crainte de dommages collatéraux qui pourraient alimenter la sympathie pour les insurgés.

La traque de Ben Laden et Al Zawahiri n'est pas terminée au Pakistan. Celle des chefs d'AQAP se met en place et les américains rêvent déjà de l'étendre à la lutte contre l'AQMI dans la région sahélienne.


Alain Duprat

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

 
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