Philosophe et historien des
sciences, selon la brève présentation qu'en fait
le Journal du Dimanche, M. Michel Serres, certainement un esprit
éminent, n'a pas manqué de donner dans le politiquement
conforme. " Doit-on parler de crime contre l'humanité
? lui demande Anne-Laure Barret à laquelle le philosophe
a accordé un entretien. " Bien sûr ",
répond-il.
Les évènements qui se sont déroulés
dans le monde aussitôt avant, et ensuite, depuis Hiroshima,
auraient dû inspirer tout autrement cet historien des sciences.
Il aurait dû savoir qu'en mars 1945, le bombardement à
l'explosif " classique " de Tokyo y avait causé
la mort de plus de 100.000 de ses habitants, sans pour autant
stopper les hostilités qui redoublèrent d'intensité
et qui, avec des armements traditionnels avaient déjà
fait plus de 41 millions de morts.
Est-ce un crime contre l'humanité
que d'avoir mis un terme à l'effroyable carnage déclenché
par l'Allemagne six ans plus tôt ? D'ailleurs en contradiction
avec lui-même, M. Michel Serres le reconnaît qui,
quelques instants plus tôt, avait déclaré
: " Hiroshima a fait planer une telle terreur que l'Occident
est en paix depuis soixante ans. Ce n'était jamais arrivé
dans l'Histoire ". Est-ce un " crime contre l'humanité
" que d'imposer la paix ?
Et pas seulement en Occident :
En Asie encore l'atome partagé a interdit le recours aux
armes, substitué la négociation à la guerre.
Ce fut le cas entre l'Inde et la Chine encore aux prises en 1962
; entre la Chine et la Russie, Mao Tse Toung dénonçant
les empiètements de l'URSS en 1959 et Moscou ne soutenant
pas Pékin dans l'affaire du Thibet. Depuis que la Chine
est devenue une puissance nucléaire, même modeste,
comparée à celle de l'URSS, force a été
de s'entendre et de conclure des accords de coopération,
y compris militaires.
Enfin, entre le Pakistan et l'Inde, profonds ont été
les différends. Au point d'en venir à deux sérieux
conflits armés (1965 et 1972). Mais devenues toutes les
deux des puissances nucléaires, Islamabad et la Nouvelle
Delhi s'entendent maintenant à merveille. L'atome a joué
son rôle pacificateur.
Il est dans l'intérêt des Etats-Unis de lutter contre
la prolifération nucléaire " horizontale ".
L'atome militaire émancipe les Etats, assure leur sécurité
en toute indépendance si bien qu'ils forment des obstacles
à l'hégémonie de la superpuissance. L'atome
force le respect et la comparaison des sorts respectifs de l'Irak
et de la Corée du nord en témoigne.
Dépourvu d'armes atomiques, l'Irak est devenu le facile
souffre-douleur de l'Occident. Dénigré, calomnié,
bombardé, plongé dans la misère par un cruel
embargo économique, à nouveau bombardé,
occupé brutalement, maintenant théâtre de
la guerre civile, l'Irak saccagé a perdu plusieurs millions
des siens. S'il avait seulement détenu l'embryon d'une
force nucléaire il eut été respecté,
trop grand étant le risque à en provoquer l'emploi.
En revanche, la Corée du nord, a l'arsenal atomique pour
le moins incertain, mais tenant sous une éventuelle menace
nucléaire le corps expéditionnaire des Etats-Unis
en Corée du sud, la Corée du nord a été
respectée et tout au plus négocie-t-on avec ses
dirigeants.
Washington ne pouvait mieux inciter l'Iran, et d'autres Etats,
à rechercher le statut privilégié que confrère
l'atome, gage de paix et d'indépendance. La propagande
anti-nucléaire ne trompe que les populations, mais certains
de leurs gouvernements savent où est leur intérêt,
les faits démentant une argumentation intéressée,
celle de l'industrie lourde et aussi des militaires dont l'atome
limite le nombre.
Le maréchal chinois Chen Yi avait vu juste lorsque en
1958, parlant à un journaliste de l'agence Reuters, il
lui avait déclaré : " Plus grand sera le
nombre d'Etats nucléaires, plus grand sera la tache de
paix qui s'étendra sur le monde ".
On a pas " gagné la guerre sur un crime historique
" comme le prétend le professeur Michel Serres mais
par la (terrible) démonstration d'un nouveau pouvoir :
celui de mettre les guerres hors la loi, du moins celles qui
se disputent avec les réalisations de l'industrie lourde
d'armement, canons, chars, avions etc
. et là où,
non partagé, l'atome ne neutralise pas ces armements.
Mais, entre Etats possédant l'arme atomique voici, désormais,
éliminé un moyen de coercition millénaire.
Certes, il en reste d'autres dont les gouvernements ne se privent
pas de faire usage : la désinformation, la guerre économique,
l'achat des consciences, dans le même temps, d'ailleurs
qu'est contourné, par le terrorisme, l'invulnérabilité
que confère l'atome, la bombe humaine l'emportant alors
sur la bombe atomique.
Le soixantième anniversaire d'Hiroshima a été
intensément célébré. Bien davantage
que ne le fut le cinquantième. C'est qu'en 2005 la politique
énergétique de l'Iran est à l'ordre du jour
et qu'il s'agit d'influencer l'opinion afin qu'elle manifeste
son opposition aux ambitions nucléaires de Téhéran.
Washington
et Tel Aviv n'ont pas de mal à entretenir la campagne.
Jugeant sommairement, les populations l'accueillent et l'amplifient,
facilitant le rôle des médias qui ont là
l'occasion de faire de bonnes affaires. Pourtant entouré
de voisins nucléairement nantis : Russie, Chine, Inde,
Pakistan, Corée du nord, investi à l'ouest et l'est,
en Irak et en Afghanistan par les contingents américains,
l'Iran cherche fort légitiment à bénéficier,
lui aussi, de la sécurité dans l'indépendance
que confère l'atome militarisé.
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