LA MENACE TERRORISTE

Jean-Louis Bruguière, juge antiterroriste au tribunal de Grande Instance de Paris, nous a dit le 13 octobre 2004:

 

 "La menace terroriste est une réalité. De la situation algérienne en 1993 aux attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, le danger terroriste a pris une ampleur explosive. Les sociétés se doivent de riposter à ce qui constitue une attaque des fondements et des valeurs démocratiques occidentales. Deux conceptions s'affrontent à cet égard : les Anglo-saxons considèrent qu'il s'agit d'une forme de guerre imposant une réplique militaire ; d'autres pays, la France au premier chef, considèrent qu'une démocratie a la possibilité de rester dans le champ légal. Les faits jusqu'à présent n'infirment pas cette dernière conception.

-Deux axes guident ma réflexion :

1-Le terrorisme est le résultat de l'effondrement bipolaire. Les tensions qui avaient été gelées se donnent libre cours désormais, sur un mode nouveau, idéologique.
2-Parallèlement, on assiste, des prémisses algériennes au mouvement salafiste du retour aux sources, à un intégrisme anti-occidental, fondé sur la " guerre sainte ". Tout a basculé en 1996, avec le déclin des organisations islamiques traditionnelles et une répression plus efficace du terrorisme sur le terrain en Algérie. A noter que la composante terroriste algérienne est loin d'être exclusive (il sévit en Egypte, en Indonésie…)
Des immigrés de la 2ème génération et des Français convertis vont alors se diriger vers l'
Afghanistan ; des filières se mettent en place pour lutter contre les forces militaires des pays " mécréants " et créer des cellules en Europe. Londres joue alors le rôle de carrefour sur la grand'route du terrorisme. Deux ans d'entraînements dans les camps permettent à ces individus de devenir chefs de réseau d'une cellule dormante ou active. L'Irak est devenu ainsi la principale base du Djihad mais historiquement ces camps essaiment en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan ou encore en Tchétchénie, avec des financements d'origine saoudienne. A la différence du cas tchétchène, il n'existe pas de lien opérationnel entre Al-Qaïda et les Palestiniens, ce malgré les tentatives du Jordanien Al Zarqaoui.

-Le terrorisme d'aujourd'hui est mondialisé complètement éclaté, sa fragmentation s'est encore accrue avec la fin de la guerre en Afghanistan. Le Pakistan du président Moucharaf illustre bien la complexité du phénomène terroriste,ce qui explique le manque de succès des Américains dans leur lutte contre ces réseaux.
Le terrorisme actuel se développe sur un mode anarchique, quasi-viral, avec des mutations organisationnelles. Ces caractéristiques interdisent toute modélisation mais commandent, avant tout, une grande souplesse dans la compréhension de ce phénomène complexe afin de pouvoir lui apporter les ripostes adaptées.

-J'identifierais plusieurs facteurs d'inquiétude

1)deux foyers importants :
-l'Irak
-le Caucase, - à 4 heures de Paris ! avec, en son milieu, la Turquie, carrefour stratégique, dont les forces de sécurité contrôlent la menace terroriste.
2) les armes chimiques
3) la déstabilisation de l'Asie du Sud-est, cible potentielle privilégiée

-Comment riposter ?

La France - qui n'a pas été victime de l'action d'hyperterrorisme du 11 septembre - a opté pour une réponse légale. Depuis 1996, la France s'est appliquée à anticiper les évènements, en dépassant l'antithétie prévention/répression.

Cela a pu être fait grâce aux synergies développées entre les différents services de l'Etats impliqués dans la lutte antiterroriste : la justice, les affaires étrangères, l'Intérieur, la DST, la DGSE. La mobilisation de chacun de ces acteurs, sommés d'abandonner la défense de leur pré carré, est un élément fondamental de l'axis du juge antiterroriste.
L'inefficacité des Américains résulte en grande part du manque de synergie de leurs services. Pour être efficace, la lutte antiterroriste implique une connaissance " up to date ", avec des gens sur le terrain et travaillant en synergie.
La mission judiciaire que j'ai menée en Syrie qui a abouti finalement à l'extradition de l'adjoint de Zarqaoui démontre l'efficacité d'une démarche fondée sur la synergie.
Il importe également de cesser de légiférer à tout va et de modifier le code de procédure pénale car la lutte contre le terrorisme a besoin de stabilité législative.

La coopération internationale est un outil essentiel dans le combat contre le terrorisme.

  • Sur le plan du renseignement, la coopération est à un niveau excellent ;
  • Sur le plan policier, elle progresse ;
  • Dans le domaine judiciaire, elle reste encore médiocre. Il se manifeste une césure entre les pays de Common Law et ceux du Droit civil, entre ceux qui ont une expérience des attentats et les autres (Italie ou Allemagne). La création d'un procureur européen n'est pas la solution. Pour autant, an peut créer des interfaces avec des pays désireux de coopérer, comme l'a montré l'affaire Rachid Ramda.
    Un pôle d'excellence existe avec les Etats-Unis ce qui démontre, au demeurant, le pragmatisme de ce pays. "

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