POUR UNE NOUVELLE DIPLOMATIE FRANÇAISE

par le colonel Alain Corvez

juin 2007

Une nouvelle diplomatie française doit se fonder en premier lieu sur le fait que la France, du fait de son histoire bimillénaire, ainsi que de l'originalité et de la diversité du peuple qui la constitue, ne peut être comparée à aucun autre pays au monde. " Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté des autres… " (De Gaulle cité par Malraux dans " Les Chênes que l'on abat ". 1970) La France a rayonné et rayonne encore dans le monde entier par son esprit, porté par une langue précise et riche admirée par tous les érudits, et sa défense des valeurs essentielles de l'humanité qui lui ont fait tissé au cours des siècles des liens privilégiés avec les peuples du monde, au-delà des régimes qui les gouvernent.


C'est pourquoi il serait illusoire et vain de comparer les ambitions françaises et son rôle dans le monde à ceux de tels ou tels autres Etats, tout particulièrement en Europe où aucune nation n'est liée comme nous le sommes à de nombreux pays, liens qui nous font un devoir en même temps qu'ils nous renforcent dans les équilibres planétaires. Ceci implique une diplomatie indépendante et souveraine ne la liant à aucun bloc sans pour autant l'isoler, mais respectueuse des différentes cultures et des particularismes nationaux avec lesquels son intérêt l'amène à conclure des accords sur un pied d'égalité. Cette politique d'indépendance doit lui permettre de tenir une place équilibrée entre les différents pôles de puissance du monde et les considérer avec réalisme et pragmatisme, en excluant tout parti pris idéologique, en prenant en compte les intérêts légitimes des uns et des autres au même titre qu'elle affirme les siens.

L'effondrement de l'URSS a bouleversé les rapports de forces d'un monde jusqu'alors resté en paix par l'équilibre de la terreur. Reconnus à juste titre comme l'unique puissance économique et militaire, les Etats-Unis ont alors pensé qu'ils devaient, au nom de la démocratie érigée en vertu universelle, apporter à l'ensemble de la planète les bienfaits de leur mode de vie et de leurs conceptions, pensée généreuse pour certains mais qui permettait de dissimuler un impérialisme qui s'est rapidement mis à l'œuvre au profit des intérêts économiques américains et consistant notamment à pérenniser le contrôle des sources d'énergie mondiales ou à s'emparer de celles qui leur échappaient. " Si les Etats-Unis deviennent consciemment maîtres du monde, vous verrez jusqu'où ira leur impérialisme. " (De Gaulle à Malraux op.cité). Sans obstacle au début à leurs visées, ils ont pourtant essuyé rapidement des échecs retentissants qui ont développé contre eux des antagonismes forts et souvent radicaux. Les faibles et les petits n'ayant d'autre arme contre la superpuissance que le terrorisme, ils l'ont développé là où il était en germe ou déjà actif, et créé là où il n'existait pas mais où, comme en Iraq, l'Amérique permettait par son intervention injustifiée de cristalliser les haines contre elle. Il est clair en effet que le terrorisme est engendré par l'impérialisme (cf. mon analyse sur le sujet de mars 2006) et que la plupart des problèmes du monde seront réglés le jour où les grandes puissances mettront un terme à l'injustifiable sort qui est fait aux Palestiniens par un Etat d'Israël encouragé, soutenu, armé par l'administration américaine actuelle. Un nombre de plus en plus grand de Juifs, d'Israéliens et d'Américains en a conscience et on peut espérer qu'un jour prochain leur voix sera entendue. La seule arme efficace contre le terrorisme est le respect de la justice et de la liberté des peuples à disposer de leur propre sort : c'est le message que la France doit à nouveau porter de manière universelle.

D'ailleurs, dans le monde de nouvelles forces apparaissent et contestent ces ambitions américaines de direction du monde. La Russie de Poutine s'oppose avec une fermeté de plus en plus marquée à l'encerclement dont elle est l'objet, la Chine affirme sa place sur la scène internationale avec patience et sagesse mais non sans détermination et l'Inde, le Brésil en font de même, exigeant une conception multipolaire du monde. Réalistes, ces Etats signent entre eux des accords et entendent bien ainsi préserver leur espace vital et résister à une direction monopolistique des affaires de la planète. " Qu'est-ce qu'un monde unipolaire ?…C'est le monde d'un unique maître, d'un unique souverain. En fin de compte, cela est fatal à tous ceux qui se trouvent au sein de ce système aussi bien qu'au souverain lui-même, qui se détruira de l'intérieur. Bien entendu, cela n'a rien à voir avec la démocratie, car la démocratie, c'est, comme on le sait, le pouvoir de la majorité qui prend en considération les intérêts et les opinions de la minorité. " (Vladimir Poutine. Conférence de Munich sur la sécurité. 10 février 2007.)

Dans ce monde en évolution, la France doit continuer à tenir son discours universel de défense des réalités culturelles que sont les nations et s'opposer à toute hégémonie, d'où qu'elle vienne. Elle peut s'appuyer pour cela sur l'immense souhait des autres pôles de puissance dans le monde et sa diplomatie devrait s'orienter en premier lieu vers la Russie avec laquelle une longue histoire nous lie et qui pourrait nous donner des garanties sur nos approvisionnement énergétiques. Des partenariats fructueux devraient être conclus avec cette vieille nation qui renaît des cendres du communisme plus vite que le monde ne l'escomptait, dans de nombreux domaines, notamment l'aéronautique, l'espace et l'énergie. En l'occurrence, nos intérêts et les siens se rejoignent, bien plus qu'avec les Etats-Unis.

Car il faut bien admettre que l'économie américaine n'a rien à partager avec nous et que notre amitié avec ce peuple que nous avons aidé à accéder à l'indépendance est totalement désintéressée. Désormais nous sommes plutôt rivaux économiquement, ce qui était déjà le cas aux temps des blocs, mais la menace soviétique nous imposait une solidarité qui n'a d'ailleurs jamais failli, surtout du temps du Général de Gaulle. La menace qui pèse aujourd'hui sur la France n'est plus celle d'une hypothétique invasion du territoire par l'URSS mais celle bien réelle du terrorisme qui s'en prendrait à nous en raison d'une solidarité marquée avec l'impérialisme américain. Tout nous incite donc à conserver notre sympathie à l'Amérique, mais à savoir défendre nos intérêts de manière réaliste en nous entendant sincèrement avec les puissances émergentes qui ne manqueront pas de peser de plus en plus sur le destin du monde.

Dans cette conjoncture, la nouvelle diplomatie française doit faire comprendre à ses voisins européens que la seule façon de construire une Europe politique est de le faire en s'appuyant sur les réalités que sont les peuples au lieu de construire un système utopique qui n'a d'autre échappatoire que l'alignement sur un atlantisme paradoxal-car tout devrait nous pousser au contraire vers le continent-, et de respecter les nations qui composent cet ensemble au lieu de vouloir réglementer et diriger leurs modes de vie, de travail et même de repos.Les nations européennes ont une longue histoire dont elles sont fières ainsi que de leur traditions et, si elles sont prêtes à s'entendre avec leurs voisins et savourent quand cela est possible la fin de conflits incessants, elles ne souhaitent pas se fondre dans un ensemble sans âme qui n'aurait d'autre avantage que de faciliter le commerce international et les déplacements des personnes.

Une France fière d'elle, auréolée de son rayonnement international, défenseur des pauvres et des déshérités, devrait être le ciment d'une Europe puissance car les autres nations ne se sentiraient pas menacées par une quelconque suprématie française mais pourraient au contraire s'associer à cette œuvre grande et généreuse, au lieu d'aller chercher une protection outre-atlantique, tout particulièrement pour celles qui étaient autrefois protégées par l'URSS. " Ne vous trompez pas : il (John Kennedy) voulait maintenir à tout prix la situation dominante des Etats-Unis dans la défense de l'Occident. Et je ne suis pas sûr que malgré sa valeur, il n'ait pas accepté la comparaison, chère aux naïfs, entre les Etats-Unis d'Europe et les Etats-Unis d'Amérique, alors que ceux-ci ont été créés à partir de rien, sur une sorte de Sibérie fertile, par des flots successifs de colons déracinés. " (De Gaulle à Malraux, op. cité)

Une Défense et une Diplomatie communes en Europe ne sont pas actuellement possibles du fait des divergences d'intérêts entre les pays et surtout en raison de l'alignement sur Washington de beaucoup d'entre eux. La crainte d'une hégémonie française en Europe est sans doute la raison qui pousse certains pays européens à chercher outre-atlantique un antidote à cette angoisse, ce qui sous-entend " a contrario " qu'ils reconnaissent cette vocation de notre pays à diriger la construction d'une Europe indépendante. Dés lors qu'ils ne verront plus dans la France de visées impérialistes dans notre action mais au contraire le moteur d'une construction respectueuse de la liberté et de l'indépendance des peuples, ils ne pourront que s'associer à cette œuvre où ils trouveront l'épanouissement de leurs riches histoires séculaires. Il faut donc travailler à rapprocher les points de vue de quelques pays et créer des " coopérations renforcées " lorsque des convergences sont trouvées, et il en existe avec de nombreux pays qui ne se tournent vers l'Amérique que pour trouver un soutien. Tant qu'elle restera dans l'orbite américaine, l'Europe ne peut se construire et toutes les tentatives sont vouées à l'échec, on pourrait ajouter : " heureusement ! ". C'est pourquoi la France devrait se retirer de l'organisation militaire de l'OTAN qui n'a plus de raison d'être depuis la disparition de la prétendue menace soviétique, et qui est le vecteur de l'impérialisme américain pour encercler la Russie. Et appeler les autres nations européennes à en faire de même.Le Pacte de Varsovie n'existe plus qui avait été créé pour contrer l'alliance militaire occidentale.

Construire une Europe puissance, c'est construire une alliance d'Etats qui se connaissent des intérêts communs et se donnent les moyens de les poursuivre ensemble, en conservant leur souveraineté, leurs cultures, leurs particularismes. Une telle alliance doit trouver son catalyseur, son noyau dur qui devrait être une entente franco-allemande, puisque la Grande Bretagne ne s'est toujours pas libérée de son atlantisme, bien qu'elle soit un exemple pour sa défense de la souveraineté des nations- et notamment la sienne-La France doit utiliser son siège à l'ONU pour mettre en œuvre sa vaste politique internationale et être le porte parole d'une telle Europe en gestation. Elle doit aussi conserver et moderniser sa force de dissuasion nucléaire, garante de sa souveraineté et, bien qu'une telle responsabilité ne puisse se partager, assurer ses amis européens que ce dernier recours pourra être utilisé au profit de ses alliés, dés lors que nos intérêts communs auront été définis.


Alain Corvez

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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