IRAK : une constitution pour diviser

 

octobre 2005

Jalal Talabani, le Président irakien, a déclaré la proposition de Constitution du pays prêt à affronter un référendum le 15 octobre prochain. Washington y voit le texte " le plus progressif du monde musulman. " Qu'en est-il ?

Tout commence par un conte de fée. " Nous, les fils de Mésopotamie, lit-on, la terre des prophètes, le lieu de repos des saints imams, nous les guides de la civilisation et les créateurs de l'alphabet, (notre terre) berceau de l'arithmétique... " Certes un peu excessif, car les " prophètes, " à part Abraham, naquirent plus souvent à l'ouest, en Palestine, ou, selon la tradition musulmane, en Arabie; le premier alphabet vit le jour en Phénicie, l'actuel Liban, et l'arithmétique aussi en Égypte, en Inde et en Grèce.

 Mais passons. Il y a plus grave. On lit plus bas : " Aucune loi ne peut être votée qui contredise les règles indiscutables de l'Islam. " On a compris : l'Irak sera régi par les lois du Coran. Cela regarde les Irakiens. Il y a quand même là une étrangeté.

Sous Saddam Hussein, le pays avait pris les couleurs de la laïcité. Les règles de la société avaient été occidentalisées, l'accès des femmes à la vie publique facilité et l'autorité de la religion réduite à l'espace privé. Résultat, en dépit des restrictions politiques, les chrétiens, 2% de la population, vivaient à l'abri de la rigueur islamiste et avaient même le droit de faire commerce de boissons alcoolisées.

Sous la loi américaine, après douze ans d'embargo et deux guerres, on assiste au retour de la règle ancienne : la domination de l'islam sur la vie publique et privée. Il faudra aux Américains expliquer ce qu'ils veulent dire par " progressif. "

Les chrétiens d'Irak, à les entendre, nourrissent la plus grande appréhension à l'égard de ce projet de Constitution. Leurs églises sont déjà les cibles privilégiées d'attentats et les forces d'occupation se révèlent incapables d'assurer leur sécurité. Ils sont voués aux harcèlements des groupes islamistes, si un pouvoir fort et déterminé ne siège pas à Bagdad.

Or, entre les lignes de la Constitution, on lit à cet égard les plus inquiétants présages. Certes, le gouvernement est censé exercer son autorité sur l'ensemble du pays, mais l'article 113 fait de l'Irak une République fédérale formées de " provinces décentralisées. " L'article 14 transforme même " la région du Kurdistan et ses structures politiques existantes une région fédérale. "

Ce droit de constituer par référendum des " régions fédérales " est étendu aux autres composantes ethno-religieuses du pays, mais sans en préciser le nom. Elles jouiront elles aussi de leur Parlement, d'un gouvernement, d'un département de la Justice, de leur propre police et pourront rédiger leur Constitution (articles 115 à 118). On pense bien sûr aux chiites dont les effectifs représentent 60% de la population.

Comme ce germe de désordre ne suffit pas, toujours par le procédé du référendum, de simples provinces pourront elles aussi se donner le statut de " régions fédérales. " Il faut craindre des tribus profitant de cette possibilité pour s'organiser en principautés. Quant aux Turkmènes (1), aux Yazidis (2), aux Sabéens (3) et autres minorités, pour échapper à l'oppression des majorités dans lesquelles elles sont immergées, il ne leur restera plus qu'à user de la même facilité.

Ce projet de Constitution, en raison du flou de ses propositions, ouvre la porte à toutes les aventures. On ne peut même pas compter sur le pouvoir central pour s'imposer car l'article 118 dit : " L'au- torité régionale a le droit de modifier l'application de la loi fédérale dans la région en cas de contradiction entre les lois fédérales et régionales. "

En clair, faute d'un cadre bien défini, l'adoption de ce projet de Constitution annonce des différends à n'en plus finir. Dans un pays où l'on s'impose à la force du fusil, il faut craindre cette loi fondamentale cause principale de la guerre civile, de l'éclatement du pays et d'une crise généralisée dans tout le Moyen-Orient.

 

Notes

(1)Membres des tribus de langue turque.
(2) Secte religieuse manichéiste.
(3) Nom attribué à plusieurs groupes aux croyances mal définies.

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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