EN IRAK,
LA VARIABLE SADR

mai 2008

Le 25 mars 2008, l'armée irakienne lançait une offensive pour reprendre le contrôle de la ville portuaire de Bassorah, par où transite l'essentiel du pétrole destiné à l'exportation. Cette information signifie deux choses. D'une part, bonne nouvelle, il existe une armée irakienne capable de mener des opérations, même si le soutien des forces américaines apparaît encore indispensable. D'autre part, mauvais côté de l'affaire, la guerre n'est pas près de finir en Irak.

Ordonnant l'opération, le Premier ministre, Nouri Al-Maliki, croyait jouer en finesse mais se retrouvait vite acculé, faute d'apprécier avec justesse la situation. En effet, depuis septembre 2007, les Britanniques, se repliant d'Irak, retiraient leurs 5000 soldats présents dans le centre de Bassorah. L'Armée du Mahdi, la milice chiite de Moqtada As-Sadr se substituait alors à l'occupant, prenant le contrôle des positions stratégiques et s'instaurant, dans la rue, pouvoir de fait.

Al-Maliki, un chiite lui aussi, jetant son armée sur Bassorah sous prétexte de récupérer les armes " illégales ", comptait rapidement restaurer l'autorité de l'État. Sûr de sa victoire, on le vit même sur place posant au chef de guerre. Mais, si l'Armée du Mahdi (ÌíÔ ÇáãåÏí)dispose de forces limitées dans Bassorah, elle s'étend sur l'ensemble de l'Irak chiite. L'attaquer sur un seul point de son corps, c'était provoquer la réaction de tout le corps.

 

L'armée du Mahdi, milice armée de Sadr, est accusée par des sunnites de constituer des escadrons de la mort.

 

Aussi, résultat de l'offensive, le jour même de son lancement, Moqtada As-Sadr élargissait le front en ordonnant à ses hommes d'attaquer les Américains partout où ils étaient en Irak. En particulier autour de Sadr City, son repaire et le résumé de toute l'affaire.

Inscrite dans l'agglomération de Bagdad, Sadr City vit le jour en 1959 sur la décision du pouvoir baasiste. C'est une ville dans la ville, créée pour héberger les populations rurales défavorisées. Chiite, elle reçut le nom de " Revolution City " (Madinat Al Thaoura) et, déjà, manifesta son rejet du pouvoir en place en adhérant au communisme. Quand vint le règne de Saddam Hussein, elle dut se résigner à l'appellation de " Saddam City ", tout en restant rebelle à l'ordre établi.

En 2003, cependant, les chiites perçurent d'abord positivement l'attaque américaine. Saddam City se rebaptisa Sadr City, pour honorer Mohammad Sadeq As-Sadr, une haute autorité chiite irakienne, assassinée en 1999 avec deux de ses fils, sur ordre de Saddam Hussein. Mais à Sadr City, plus vite qu'ailleurs, l'occupation fut mal ressentie. Dès le 4 avril 2004, une embuscade fut dressée contre une patrouille américaine, huit soldats tués et 57 blessés.

Moqtada Sadr ou (Muqtada Sadr)

Fils du défunt Mohammad Sadeq As-Sadr, Muqtada va s'installer dans cette situation. Né en 1973, dans la tradition familiale, il est destiné au plus haut rang de la hiérarchie chiite : grand ayatollah. Mais, pendant ses études, il se révèle peu assidu et ne doit qu'au renom de sa famille et à son prestige de descendant du prophète Mahomet, de devenir hojatoleslam, une position néanmoins inférieure.

Il a pourtant du charisme, du talent même pour fanatiser les hommes. Se servant de l'argent et des contacts du réseau religieux de bienfaisance mis sur pied par son père, il lève une armée parmi les miséreux de Sadr City. Les crimes, perpétrés contre les chiites par certains groupes armés sunnites, viennent alors à point pour renforcer Muqtada et l'élever au rang de héros de sa communauté.

Résultat de cette guerre civile sans pitié, en mai 2005, on découvre les cadavres d'hommes suppliciés dans les caves de Sadr City. En août, l'armée américaine lance une offensive contre la cité refuge de Sadr. Des otages sont libérés, des responsables d'escadrons de la mort arrêtés. Mais une fois le bouclage de la zone interrompu, les assassinats et les attentats reprennent.

On a beaucoup reproché à l'Iran l'émergence de la figure de Muqtada. En réalité, nous le voyons plus franc-tireur. Être frustre et brutal, il répugne au clergé iranien qui lui préfère ses concurrents, les familles cléricales des Khoi (ou Khoui) et des Hakim. Il n'en représente pas moins une force redoutable et plusieurs informations nous donnent à penser qu'il entretient des relations suivies avec le Hezbollah libanais.

Aujourd'hui, à Bassorah, à Bagdad et ailleurs, Al-Maliki, le Premier ministre, est en train de payer cher pour la sous-estimation de cette force.


Alain Chevalérias

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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