L'IRAN
À LA CONQUÊTE DU MONDE

janvier 2018

Le 23 octobre dernier (2017), Hassan Rohani, le Président iranien, déclarait sur la télévision d'État de son pays : " L'importance de la nation iranienne dans la région (moyenne-orientale) est plus forte qu'à toute autre période ". Il ajoutait : " En Irak, en Syrie, au Liban, en Afrique du nord et dans la région du Golfe persique, où peut-on mener une action décisive sans tenir compte du point de vue iranien ? " Certes, Rohani répondait aux propos, la veille, de Rex Tillerson, le chef de la diplomatie américaine en visite à Riyad. Celui-ci avait dit qu'un Irak fort allait " permettre d'une certaine manière de contrecarrer les influences négatives de l'Iran ". Les États-Unis ont généré leur dose d'instabilité au Moyen-Orient. Tillerson a néanmoins des raisons de dénoncer la politique étrangère de Téhéran.

La fâcheuse tendance des Perses à s'étendre à l'ouest de leur espace remonte à l'empire achéménide, du VIe au IVe siècles avant l'ère chrétienne. À l'époque, ils s'étaient approprié les territoires allant de la Mésopotamie à la Libye. Défaits par le Grec Alexandre le grand, ils rebâtirent leur empire sous la dynastie des Sassanides, à partir du IIIeme siècle de l'ère chrétienne. Ils s'étendirent à nouveau jusqu'à l'Égypte, avant de devoir se contracter sur la Mésopotamie et les terres arabes du sud du Golfe.

Cependant vaincus par les Arabes au VIIe siècle, les Perses n'eurent alors de cesse de reconstituer leur empire. Convertis à l'islam, ils optèrent pour le chiisme. Puis, installant en Perse le centre de cette religion, ils en firent un instrument d'expansion politique. Sous ce prétexte, se développèrent l'empire des Bouyides (Xe et XIe siècles) et celui des Safavides (XVIe au XVIIIe siècles). Cette prétention impériale ne s'est pas affaiblie avec le temps, séduisant les classes dirigeantes mais s'étendant aussi à tous les Perses, rebaptisés Iraniens.

L'imam Moussa Sadr
et la montée du Hezbollah

Les Libanais en sont témoins. Dans les années 50, arrivait chez eux l'imam Moussa Sadr. D'origine libanaise, il est né en Iran et a poursuivi une partie de ses études à Najaf, en Irak. Surtout, ce transnational était envoyé au Pays du Cèdre par le shah d'Iran, Reza Pahlavi en personne. Et non pas, comme certains le croient encore, par la caste religieuse. Sadr avait pour mission d'organiser la population chiite du Liban.

Moussa Sadr dans un camp
d'entraînement au Liban
Homme d'une grande culture, charismatique et madré, avec subtilité il a préparé le terrain pour le Hezbollah. Certains penseront qu'il a agi inconsciemment. Nous n'en sommes pas convaincus, tant sa méthode ressemble à celle utilisée ailleurs par le pouvoir de Téhéran. Il a d'abord pris la défense des chiites les plus pauvres, en particulier dans le sud frontalier d'Israël. Puis, en 1973, il a fondé pour eux le " Mouvement des déshérités ", insistant sur l'aide sociale aux plus démunis pour recruter. Enfin, en 1975, il a créé la milice Amal dont une partie sera à l'origine du Hezbollah, né officiellement en 1985 à l'initiative de l'Iran.

On retrouve cette volonté de l'Iran d'étendre son influence, s'appuyant sur les populations chiites, dans le reste du Moyen-Orient et même en Afrique. Nous assistons à ce phénomène dans l'est de l'Arabie Saoudite, au Bahreïn, en Afghanistan, au Pakistan, en Égypte ou dans le reste de l'Afrique du nord.

Chaque fois, le même cocktail est utilisé : dogme chiite, action caritative et révolution islamiste.

Néanmoins, les chiites étant le plus souvent des minorités, pour assurer leur emprise sur un pays, les Iraniens cherchent aussi à embrigader des éléments sunnites. Au Liban, ils ont favorisé la création des " Saraya al-Muqawama " (brigades de la Résistance) qui recrutent des sunnites pour combattre aux côtés du Hezbollah. En Afghanistan, nous les avons vus aller plus loin.

"Khomeiny nous voilà!", slogan affiché
lors d'une fête du Hezbollah libanais

Séduction des sunnites

La population y est à 20% composée de chiites, pour la plupart des Hazaras. L'Iran s'en est fait depuis longtemps ses clients. En 2008, à Kaboul, nous avons interviewé Ahmad Shah Ahmadzai. Nous l'avions déjà croisé pendant la guerre de résistance contre les Soviétiques. À plusieurs reprises ministre, ce sunnite pachtoun avait été chef du gouvernement en 1995 et 1996.

Au début des années 2000, il a été recruté par les Iraniens pour créer un réseau de mollahs sunnites dévoués à Téhéran, avons-nous appris par d'autres sources. Chaque recrue recevait un véhicule, un téléphone Thuraya et un salaire mensuel. Des stages de formation étaient organisés en Iran. Comme nous l'avons vu sur les documents de propagande distribués par ce réseau, leur idéologie tournait autour de la révolution version iranienne et de la diabolisation des Américains. D'après un contact, ce réseau existe toujours.

On sait néanmoins les chiites divisés en un grand nombre de sectes. Dits duodécimains, ceux qui suivent la lignée des Imams jusqu'au 12ème, comme les ayatollahs iraniens, sont les plus nombreux. Autrefois distants des membres des sectes chiites secondaires, depuis la révolution de 1979 les Iraniens cherchent aussi à recruter chez ces derniers. Les Houthis du Yémen, des chiites de la branche zaïdite, en offrent le plus bel exemple. Pour combattre les forces sunnites et la coalition arabe, le soutien militaire qu'ils reçoivent d'Iran ne fait pas de doute.

Les sunnites sénégalais seraient des chiites qui l'ignorent !

Les services iraniens vont encore plus loin. Ils approchent les populations sunnites, de pays autrefois gouvernés par les chiites, pour les convertir à leur foi.

Fondé au Xe siècle et centré sur l'Égypte, l'Empire fatimide s'est étendu du Maghreb à la Syrie. Si ses dirigeants appartenaient à la secte des chiites septimains, le peuple restait sunnite. Quand les Fatimides s'effondrèrent au XIIe siècle, leurs croyances ne survécurent que dans quelques familles du Moyen-Orient.

Pourtant, enquêtant dans les milieux militants de l'islamisme radical dans les années 80 à Paris, nous sommes tombés sur des Tunisiens qui se disaient chiites, non pas convertis mais d'origine. En fait, ils tenaient une librairie financée par Téhéran et s'étaient laissés convaincre de l'appartenance de leurs ancêtres au chiisme.

Cette forme du prosélytisme se développe. Les autorités égyptiennes avouent l'apparition récente de chiites, près de 1% des musulmans du pays, sans savoir d'où ils viennent. Les Marocains font le même constat. Au printemps dernier, le gouvernement a même interdit une association chiite, Al-Khat al-Rissali, qui venait d'être fondée à Tanger.

Les Iraniens ont trouvé un angle de propagande en or dans cette région du monde : Idriss 1er, le fondateur de la monarchie marocaine, est le petit-fils d'Ali ibn Abi Talib, gendre et cousin de Muhammad, surtout premier Imam de la lignée chiite. Survivant de la bataille de Fakh contre les sunnites, en 786 en Arabie, il s'enfuit au Maroc où les tribus l'acceptèrent pour roi. Néanmoins, à cette époque, la doctrine et les pratiques chiites ne se différenciaient que très peu de celles de sunnites. Si bien qu'au Maroc, ce depuis des siècles, tout le monde a opté pour le sunnisme. Il a fallu l'intervention des Iraniens pour semer la confusion.

Répression de manifestation chiite au Nigeria
Désormais, le phénomène touche l'Afrique noire. Au Sénégal, nous avons rencontré Mohammad Ali Aidara. Il a fondé un institut chiite. Il serait descendant de la famille du premier Imam et se réclame d'origines marocaines. Pour lui, " les Sénégalais sont des chiites qui s'ignorent ". Il rêve de les ramener à la foi de " ses ancêtres ". Au Nigeria, des affrontements violents ont éclaté entre le pouvoir et de nouveaux convertis au chiisme. Il faut craindre le phénomène ne s'amplifiant pour s'étendre à d'autres pays. Comme au Niger. Tout un quartier de la capitale, Niamey, est aujourd'hui peuplé de chiites convertis par l'argent iranien.

Le Croissant chiite fait peur. L'Iran s'y appuie sur des États alliés, comme l'Irak et la Syrie, ou infiltré au niveau du gouvernement, celui du Liban. Mais la manipulation, année après année, des populations chiites et sunnites n'est-elle pas plus dangereuse encore ? Elle mène fatalement au sectarisme et à la violence. Plus sans doute que le nucléaire, c'est de l'action religieuse menée dans les pays musulmans par l'Iran dont il faudrait discuter avec Téhéran. Car cette bombe là est bien plus meurtrière !

Cet article a été publié en arabe dans le quotidien Al Watan du Bahreïn

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