Shirin Ebadi

et Maryam Rajavi,

deux opinions sur le nucléaire iranien et la démocratie

 

 Le quotidien " Le Monde " a publié une lettre de Maryam Rajavi dans son édition du 7 mars 2006. Elle a quitté l'Iran il y a vingt-cinq ans et, à la tête des Moujahidine-e-Khalq, est aujourd'hui mise en examen en France par le juge Bruguière. En outre, son mouvement est accusé d'atteinte aux Droits de l'homme par l'organisation américaine " Human Rights Watch. " Nous jugeons choquante cette tribune offerte sans précaution par " Le Monde. " Sur cette page, l'encadrant, comme y invite notre déontologie de journaliste, nous opposons son propos à celui de Shirin Ebadi. Cette dernière, avocate iranienne, a reçu le Prix Nobel de la paix en 2003 et lutte pour ses idées de l'intérieur de l'Iran.

Par Shirin Ebadi et Muhammad Sahimi,
Publié dans Los Angeles Times du 19 janvier 2006.
Traduit en français par les soins du Centre de Recherches sur le Terrorisme.

 " Perdu dans la furie internationale à propos de la reprise partielle du programme nucléaire civil de l'Iran et des déplorables déclarations du Président Mahmoud Ahmadinejad concernant Israël, une vérité s'impose : le respect des droits de l'Homme et du système politique démocratique sont les plus dissuasifs contre la menace que n'importe quel prétendant à la détention du pouvoir nucléaire, y compris l'Iran, pourrait représenter pour le monde.

Quand les Etats-Unis et ses alliés encourageaient le Shah, dans les années 70, à entreprendre le programme nucléaire civil iranien, ils ont aidé à la création du Frankenstein aujourd'hui si controversé. Si, au lieu de cela, ils avaient poussé le Shah à lancer des réformes, à respecter les droits de l'Homme et à relâcher les prisonniers politiques, l'Histoire aurait pu être très différente.

Pendant les trois décades écoulées depuis, l'Inde, l'Afrique du Sud, la Corée du Nord, Israël et le Pakistan ont rejoint le club des puissances nucléaires et la plupart des gens reconnaîtront que les démocraties parmi ces pays sont perçues comme les moins menaçantes. Dans les années 80, le régime d'apartheid d'Afrique du Sud a fabriqué plusieurs bombes atomiques, mais le gouvernement démocratique de Nelson Mandela les a démantelées. L'Inde a mis sur pied un arsenal nucléaire, mais très peu de gens perçoivent la plus grande des démocraties du monde comme une menace. Pas plus qu'ils ne considèrent qu'Israël pourrait être la première nation du Moyen-Orient à utiliser l'arme nucléaire dans un conflit.

Mais le programme nucléaire de la Corée du Nord est une menace parce que son régime est secret et son chef enfermé dans sa tour d'ivoire. L'arsenal nucléaire du Pakistan est dangereux parce que les militaires, qui gouvernent un pays peuplé d'extrémistes islamistes, ont aidé à la création des Taliban et ont permis à Abdoul Qadeer Khan de bâtir librement un super marché nucléaire.

Le programme nucléaire (civil) iranien a commencé à s'accélérer autour de 1997, quand Mohammad Khatami, esprit réformiste, a été élu Président, au moment précis où l'Iran mettait en place une presse indépendante et qu'un Parlement réformiste était élu en 2000. Les Réformistes soutenaient le programme nucléaire mais le voulaient totalement transparent et en conformité avec les obligations internationales de l'Iran. On y voyait des signes rassurants prouvant que ce programme n'échapperait pas à tout contrôle.

Mais, au lieu de soutenir le mouvement démocratique iranien prenant son essor, et de conforter ainsi la transparence du nucléaire, les Etats-Unis l'ont miné en diabolisant l'Iran.

Quand Khatami a proposé un dialogue entre nations entre les Américains et les Iraniens, Washington empêchait tous les ans un nombre important d'universitaires iraniens, d'artistes et d'auteurs de visiter les Etats-Unis. Bien que Khatami ait aidé les Américains en Afghanistan, le Président Bush a qualifié l'Iran de membre de " l'Axe du mal. "

En 2003, quand il est devenu évident que les réformes de Khatami s'enlisaient, le monde a commencé à s'intéresser de près au programme nucléaire iranien. Qu'est-ce que la diabolisation de l'Iran a fait ?

Les Etats-Unis ne résoudront pas le problème nucléaire en promettant des frappes militaires ou en poursuivant l'Iran devant le Conseil de Sécurité des Nations unies. Bien qu'une large majorité des Iraniens détestent les tenants de la ligne dure du régime et désirent leur chute, ils soutiennent aussi le programme nucléaire iranien parce que c'est devenu un motif de fierté nationale pour une nation ancienne à l'Histoire chargée de gloire.

Une attaque militaire contre l'Iran n'aurait pour effet que d'enflammer les sentiments nationalistes. L'Iran n'est pas l'Irak. Etant donné l'ardent sentiment national iranien et la tradition chiite du martyre, la moindre attaque militaire provoquerait une réaction qui pourrait embraser toute la région, entraînant un nombre de morts incalculables et ruinant l'économie, non seulement au Moyen-Orient, mais aussi dans le monde entier.

Imposer les sanctions des Nations unies contre l'Iran serait aussi contreproductif, poussant Téhéran à dénoncer le Traité de non-prolifération et ses " protocoles additionnels. " Le monde est-il prêt à vivre avec des perspectives aussi terrifiantes ?

Alors, que peut faire l'Occident ? Les pays occidentaux devraient aider les Nations unies à mettre sur pied un contrôle spécial des droits de l'Homme pour l'Iran. Cela rappellerait tous les ans à l'Assemblée générale la situation des droits de l'Homme en Iran et permettrait une forte conndamnation si celle-ci continuait de se détériorer. A l'opposé du sentiment général, le clergé iranien est sensible aux critiques venant de l'extérieur.

La Banque Mondiale devrait arrêter de fournir des prêts au gouvernement d'Iran et, au lieu de cela, travailler avec les Organisations non gouvernementales et le secteur privé iranien afin de renforcer la société civile. L'Occident devrait soutenir les avocats des droits de l'Homme et de la démocratie, décerner des prix internationaux à leurs chefs emprisonnés et maintenir le public informé de leur existence et de leur cause.
Les nations occidentales devraient abaisser le niveau
de leurs relations diplomatiques avec l'Iran, si l'Iran continuait de violer les droits de l'Homme les plus élémentaires des Iraniens.

L'Iran est à au moins six ou dix ans d'une bombe atomique, selon la plupart des estimations. La crise n'est pas une crise. Il y a largement le temps pour que la politique de réforme s'impose avant que l'Iran ne fabrique la bombe. Cependant, l'Occident devrait permettre un programme limité d'enrichissement de l'uranium (comme il est autorisé dans le texte du Traîté de non profifération) strictement contrôlé par l'Agence Internationale à l'Energie Atomique, mais seulement si Téhéran entreprend des réformes significatives, dont la libération des prisonniers politiques et l'organisation d'élections libres et honnêtes.

Enfin, les Etats-Unis et l'Iran devraient entreprendre des négociations directes. Il est tout simplement absurde que les Etats-Unis et la plus importante des nations du Moyen-Orient ne communiquent pas directement. Le gouvernement de Bush ne devrait pas se laisser séduire par des groupes d'exilés dépourvu de soutien en Iran. La mise en place de la démocratie est une affaire intérieure.

La démocratie, à la fin, offrira l'ultime assurance contre une catastrophe nucléaire, parce que un Iran véritablement démocratique, soutenu par la majorité des Iraniens, se sentira suffisament en sécurité pour ne pas se lancer dans de dangereuses aventures militaires."

 

 

Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix

Maryam Rajavi, leader des Moujahidine

 

 " La théocratie n'a aucune capacité à se réformer ni à changer de l'intérieur, " argumente Maryam Rajavi qui affirme : "On brûle les ambassades européennes à Téhéran. " En fait, c'était début février à Beyrouth, au Liban.

" Une reculade des pays intéressés devant des manifestations de haine aura pour conséquence de placer très prochainement le monde face à un califat intégriste armé de la bombe atomique... "

" Pour rattraper le temps perdu, il faut décréter d'urgence un embargo en armes et en pétrole, diplomatique et technologique, pour accabler ce pouvoir... " Pourquoi pas ? Mais on a vu, en Irak cette méthode renforcer le pouvoir et la population être la seule victime de l'embargo.

" Ce peuple, qui demande à plus de 90% un changement de régime... " Sur ce plan, Maryam Rajavi est presque d'accord avec Shirin Ebadi.

Ce peuple donc " n'a jamais été favorable au programme nucléaire dans lequel la dictature religieuse dilapide les richesses de la nation... " Là, par contre, les deux femmes divergent complètement.

Et Maryam d'appeler à " lever les restrictions injustes imposées à la résistance, à commencer par supprimer le nom de la principale force d'opposition, l'Organisation des moudjahidines du peuple iranien (NDR Moujahidine-e-Khalq), des listes du terrorisme... "

Le document précise la rédactrice du texte "élue par le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) présidente de la République pour la période de transition." En fait, les Moujahidine sont le seul parti du CNRI et, sa présidente est auto proclamée.

Quant à la représentativité des Moujahidine en Iran, Shirin Ebadi donne son opinion dans l'avant dernier paragraphe de sa lettre.

 Note du Centre de Recherches sur le Terrorisme : Plusieurs versions de cette lettre ont été publiées dans la presse. Nous avons retenu, ici, celle publiée dans le "Los Angeles Times." Ceci peut expliquer des nuances, compte tenu du fait que le texte original a été écrit en persan. Tous les textes auxquels nous avons eu accès sont par contre cohérents dans le fond et conduisent aux mêmes conclusions concernant le nucléaire iranien.

 

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