Les faux semblants
de la politique d'Israël

L'attaque contre la prison à Jéricho et le résultat des élections.

 

JOUR DE POURIM À JERICHO

Nous sommes le 14 mars 2006. Il est six heures du matin. Jéricho, ville de Cisjordanie, s'éveille. A la prison, sous contrôle de l'Autorité palestinienne, une porte s'ouvre. Trois hommes s'éloignent dans leur véhicule. Ce sont des Britanniques, derniers observateurs d'une mission en déroute. Depuis 2002, conformément aux accords passés entre les belligérants et les Occidentaux, cette mission veillait au maintien en détention de six prisonniers palestiniens accusés par Israël de crimes et délits. L'un d'eux, Ahmad Saadat, est jugé responsable de l'assassinat de Rehavam Zeevi, alors ministre du Tourisme, le 7 octobre 2001.

A peine dix minutes après le départ des Britanniques, les chars et les hélicoptères israéliens prennent position devant la prison. Le commandant de l'opération ordonne aux prisonniers et à leurs surveillants de se mettre à la disposition de l'armée israélienne.

Comme le ferait n'importe quels gardiens de prison face à une force étrangère, les Palestiniens refusent de livrer leurs détenus. Les premiers coups de feu éclatent. Les Israéliens tirent au canon et lancent leurs bulldozers à l'assaut des murs.

La résistance va durer neuf heures, causant la mort de deux gardiens et d'un prisonnier. Suit la reddition. Détenus et geôliers doivent sortir les mains sur la tête et en slip. Poignets liés, ils sont entassés comme du bétail.

Si les Israéliens ont des raisons de se méfier de l'attaque d'un kamikaze et de dénuder leurs captifs, tous les Palestiniens ne s'en sentent pas moins humiliés. A l'humiliation s'ajoute la colère causée par le viol des accords passés et génère un sentiment d'injustice.

Sans attendre, la foule se déchaîne. Elle attaque le centre culturel britannique, saccage les bureaux de la représentation européenne et prend en otages une dizaine d'Européens servant dans les organisations humanitaires, dont deux Français.

Des questions émergent.Pourquoi, d'abord,l'attaque israélienne contre la prison de Jéricho ?

Shaul Mofaz
, ministre de la Défense, dit : " Nous n'avions pas d'autre choix que d'intervenir. Aucun Etat responsable n'aurait permis que soient remis en liberté les assassins d'un membre du gouvernement. "

On voit mis en évidence Ahmad Saadat pour avoir donné l'ordre d'assassiner Rehavam Zeevi, le ministre du Tourisme. Saadat avait été nommé à la tête du FDLP (Front populaire de libération de la Palestine) à la suite de l'assassinat par Israël d'Abou Ali Moustapha en août 2001. Pour venger cette mort, il avait ordonné celle de l'Israélien.

Ce dernier n'était pas un saint. Détesté à ce titre parles Arabes, il prônait le nettoyage ethnique des Palestiniens et leur transfert en Jordanie.

En clair, on avait à faire à une suite de vendettas en cascade entre Palestiniens et Israéliens. Pour y mettre un terme, les Occidentaux avaient obligé les Palestiniens à ravaler leur fierté en arrêtant Saadat, les Israéliens à accepter sa détention sous l'autorité d'Arafat. Dans ce cadre, l'argument de Mofaz perd de son poids.

Mais, pourquoi ensuite choisir le 14 mars 2006 ?

D'une part, après quatre ans d'incarcération, le Président de l'Autorité palestinienne avait dit à plusieurs reprises son intention de libérer Saadat. D'autre part, faut-il ne voir là qu'une coïncidence, on est en Israël en pleine campagne électorale et l'attaque de la prison de Jéricho a été très bien reçue par l'opinion publique.

Pourquoi, enfin, la colère palestinienne contre les Européens ?

L'attaque israélienne ayant été déclenchée quelques minutes après le départ des derniers observateurs britanniques, il est difficile, pour les Palestiniens, de ne pas croire à une action concertée entre Israël, d'un côté, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, d'autre part garants.

Il faut aussi goûter la symbolique du jour. C'était la fête juive du Pourim, anniversaire " du renversement de situation. " Quand Esther, après avoir séduit le roi des Perses, obtint de lui la révocation de l'édit d'extermination des juifs. Inversant alors la conjoncture, les héritiers de Moïse massacrèrent leurs ennemis.

Mais vouloir se venger de tout, on engendre aussi toujours plus de haine. Un cercle vicieux dans lequel nombre d'Israéliens semblent vouloir s'enfermer.

 
Sharon et Pérès étaient
devenus d'indéfectibles alliés .

 

ISRAËL :

UN CENTRE HORS DU CERCLE

 

Le 28 mars, les Israéliens étaient appelés à élire leur nouveau Parlement. Avec 63,2%, le taux de participation apparaît comme le plus faible de l'histoire du pays et, bien que le premier, Kadima, avec 28 sièges obtenus sur 120, ne compte même pas le quart des députés.

On lit là une désaffection croissante des Israéliens pour la chose publique. A toujours se tenir droits et prêts à combattre, on se fatigue. Le nombre croissant d'Israéliens vivant à l'étranger est là pour le prouver. On observe aussi l'effondrement, momentané croyons-nous, des grands partis. Les Travaillistes peinent à obtenir 20 sièges et le Likoud n'en tombe à 11.

Mais on voit aussi dans l'éparpillement des voix une " babélisation " de l'Etat hébreu autour de préoccupations catégorielles.

" Israel Beitenou, " d'abord. Avec 12 sièges, il arrive en quatrième position, s'appuyant sur les Israéliens russophones. Ces derniers vivent entre eux en russe et, comble de l'horreur, mangent de la charcuterie. Ce parti prône le " transfert " des Arabes israéliens dans les zones attribuées aux Palestiniens.

Le Parti des retraités ensuite. Il prend 7 sièges, servi par l'inquiétude des seniors, dans une société israélienne qui se paupérise. Sur 7 millions de citoyens, un million et demi vit en dessous du seuil de pauvreté, 820 euros par mois pour un ménage de quatre personnes et 320 euros pour une personne seule. Le tiers des enfants sont considérés comme pauvres.

Il y a les partis confessionnels enfin, pour lesquels la nature juive d'Israël doit se concrétiser à travers l'engagement religieux. Ils sont trois : le Shass, le Parti national religieux et celui du Judaïsme unifié de la Torah. Ils s'attribuent pour leur part 28 sièges.

Dans ce tourbillon, nombre de commentateurs ont cru voir l'émergence du centre aux dépens de la droite et de la gauche, voire des extrêmes. Il faudrait pour cela que Kadima, parti créé en 2005 par Ariel Sharon, se situât réellement au centre. Or qu'en est-il ?

Son actuel leader, Ehud Olmert, est issu de la mouvance de Zeev Jabotinsky (1880-1940), fondateur du Bétar, un mouvement sioniste radical. Avant la création d'Israël, Jabotinsky écrivait : " Les Arabes n'accepteront jamais notre installation sur leurs terres... Par conséquent, il faut mettre entre eux et nous un mur de fer, constitué par les baïonnettes des fusils... "

Certes Ehud Olmert parle d'abandonner des territoires aux Palestiniens. Mais dans quelles conditions ! En Cisjordanie, en confisquant 10% de la surface et en abritant ces conquêtes derrière " le mur de séparation. " Comme le préconisait Jabotinsky. Pire, selon une enquête réalisée par le journal israélien Haaretz, représentant un tiers du territoire, la vallée du Jourdain, déclarée zone militaire, est interdite d'accès aux Palestiniens qui n'y résident pas *. Or, ces restrictions sont appelées à perdurer. En France, Olmert passerait pour plus à droite que le Front national.

Mais que dire des autres partis ? En réalité, on devrait classer au centre les Travaillistes, à gauche les partis arabes et le Meretz. A eux tous, ils totalisent 34 sièges. Contre 86 pour ceux qui approuvent ou trouvent trop mou le programme d'Olmert. En Israël, le centre semble hors du cercle.


Alain Chevalérias

est consultant au:

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001

 

* D'après la revue de presse effectuée par l'ambassade de France en Israël du 13 février 2006.

 
Shaul Mofaz, annonçant sa démission du Likoud et son ralliement à Kadima.
 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le mur de Sharon, d'Alain Ménargues

 

 

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