LE LIBAN EN ETAT D'ALERTE MAXIMUM
jeudi 8 mai 2008

Beyrouth a repris le visage de la guerre. Depuis mercredi 7 mai 2008, l'aéroport est fermé, encerclé par le Hezbollah. Barrant les routes, des pneus enflammés empuantissent l'air et des camions, sur ordre du parti de Dieu (Hezbollah), déversent du sable sur la chaussée pour empêcher les véhicules de circuler. Des bandes de jeunes s'en prennent aux journalistes et des miliciens se manifestent, armes apparentes. De-ci de-là, des affrontements éclatent entre partisans du Hezbollah et membres du Courant du Futur, le parti de Saad Hariri et pilier de la majorité au pouvoir. En clair, la tension monte entre chiites et sunnites.

Répartition géographique des confessions au Liban
Carte de la distribution géographique des confessions au Liban.

Le feu couve depuis plusieurs mois, le Hezbollah ayant entrepris une partie de bras de fer avec le gouvernement, pour obtenir des privilèges politiques et l'élection d'un Président de la République qui lui soit favorable. Faute d'obtenir satisfaction, il a bloqué les institutions, en empêchant le Parlement de se réunir pour élire le Président. Dans cette offensive, il bénéficie de la complicité du président du Parlement, Nabih Berri, un chiite lui aussi, chef en outre de la deuxième composante politique de sa communauté, le parti Amal, proche de la Syrie.

Le Hezbollah et Amal entraînent avec eux les partis de gauche, certains islamistes sunnites et le général Michel Aoun. Néanmoins, si ce dernier a été élu avec les députés de sa mouvance, il est de plus en plus isolé, lâché par son électorat, chrétien, qui ne peut supporter de se retrouver dans la même tranchée que le Hezbollah.

Les incidents décrits plus hauts ont commencé mercredi dans la confusion. La CGTL, principal syndicat libanais, appelait depuis plusieurs jours les " travailleurs " à manifester pour dénoncer le manque de pouvoir d'achat des employés. Prévu à onze heures du matin, la " manif " a néanmoins été annulée une demie heure avant, tout indiquant la volonté de récupération de l'événement par le Hezbollah et le risque de dérapage. Ce dernier perdait l'alibi de la revendication syndicale et se voyait obligé de monter seul au créneau pour défendre ses propres intérêts.

En effet, dans la nuit du 5 au 6 mai, le gouvernement avait pris la décision de relever Wafic Choucair de ses responsabilités de chef de service de la sécurité de l'aéroport. Or Choucair est un proche du Hezbollah et s'appuie sur ses propres hommes pour assurer son service. En d'autres termes, jusqu'au limogeage de Choucair, le Parti de Dieu (Hezbollah) contrôlait l'aéroport, point stratégique, et inspirait les plus grandes inquiétudes quant à sa capacité d'introduire au Liban qui il veut et ce qu'il veut, de Syrie, d'Iran ou d'ailleurs.

Vu sous cet angle, les émeutes de ces deux jours ont au moins l'avantage de la clarté, le Hezbollah apparaissant comme un mouvement qui cherche à conserver des acquis stratégiques obtenus sous occupation syrienne. Reste à savoir comment la situation risque d'évoluer.

Au point où ils en sont, ni le gouvernement, ni le Hezbollah ne peuvent faire machine arrière sans perdre la face. Resterait le recours à une savante négociation à la libanaise, sous parrainage étranger, pour permettre à l'un et à l'autre de sauver la face. Mais tous les pays étrangers le souhaitent-ils ?

L'Iran, principal financier et par conséquent donneur d'ordres du parti, considère celui-ci comme un outil de l'expansion de son influence politico-religieuse. Un pion, sur l'échiquier de la partie engagée avec les Etats sunnites, comme on le voit en Afghanistan, en Irak, dans les pays du Golfe et ailleurs. Or, pour l'Iran, une position acquise devient une nouvelle ligne de défense. Quand on veut la lui confisquer, il menace d'abord, puis recourt à la force.

Voilà pourquoi nous estimons peu probable de voir le Hezbollah baisser pavillon. Il nous semble même quasi certain qu'il va exacerber les tensions, quitte à provoquer une nouvelle guerre civile.

Dans ce cadre, l'éclatement d'un conflit entre chiites et sunnites au Liban, se pose la question du comportement des pays de la région.

L'Iran d'Ahmadinejad poussera les feux avec d'autant plus de facilités, que la sécurité du territoire iranien n'est pas en cause. Mieux, le Hezbollah peut lui servir de monnaie d'échange dans des négociations avec l'Occident.

La Syrie a, pour sa part, deux options. Ou bien elle reste sur sa ligne actuelle, d'alliée de l'Iran, se contentant elle aussi d'entretenir le conflit pour forcer l'Occident à lui rendre son rôle de proconsul du Liban en échange d'un calme musclé. La lâcheté ambiante en Europe, le désintérêt des Etats-Unis pour un pays sans ressources pétrolières et la faveur des Etats arabes pour une paix du " bizness ", risquent de donner raison à la Syrie un jour ou l'autre.

Ou bien Damas... se partage les rôles avec Israël. Cette hypothèse, toujours sous-jacente au Proche-Orient, est à nouveau au goût du jour. En effet, depuis le 24 avril 2008, grâce au journal israélien Haaretz, on sait un processus de négociations engagé entre l'Etat hébreu et la Syrie. Cette dernière récupérerait le Golan, perdu à la suite de la guerre de 1967, et la paix régnerait entre les deux pays.

Dans cette hypothèse, le Hezbollah, ennemi congénital d'Israël, deviendrait un obstacle à l'idylle entre Damas et Jérusalem et les deux auraient intérêt à l'éliminer. Le gouvernement israélien n'hésiterait pas longtemps, profitant d'un conflit interne au Liban, pour intervenir et écraser le Hezbollah avec l'aide ouverte ou discrète de l'armée syrienne.

Ce serait l'hallali annoncé du Parti de Dieu (Hezbollah). Les pays arabes, au premier chef l'Arabie Saoudite, approuveraient en regardant ailleurs. Dans cette situation, nous pensons que l'Iran, conscient cette fois de jouer son image à travers une éradication du Hezbollah, en réponse, exacerberait tous les conflits sunnites-chiites sur lesquels il a prise au Moyen-Orient. Nous assisterions alors au départ d'un conflit généralisé impliquant tous les pays de la région et, inévitablement, l'Occident, surtout les Etats-Unis, déjà militairement sur place.

Un tel affrontement aurait des conséquences dramatiques. L'Iran finirait écrasé sous les bombes, l'Occident s'épuiserait économiquement, donnant l'avantage aux puissances émergentes comme l'Inde, mais surtout la Chine, et les pays arabes régresseraient, en matière de développement, de plusieurs dizaines d'années.

Quant au Liban, comme nous l'avons entendu de manière trop insistante de milieux sionistes, il serait probablement divisé en deux : le Sud revenant à Israël et le Nord passant sous influence syrienne.

Voilà pourquoi, une réflexion des Etats concernés, d'abord occidentaux et arabes, puis une action concertée valent mieux que cette guerre civile que nous voyons poindre. Car à ce jeu mortel, les Libanais seront de toutes façons les victimes. Quant à l'Occident, il n'y gagnera que le déshonneur ou la ruine, sinon les deux.



Alain Chevalérias

Centre de Recherches sur le Terrorisme Depuis le 11 Septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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