LA PASSIVITÉ ARABE
et l’offensive contre Gaza

février 2009

Entamée le 27 décembre 2008, l’offensive israélienne contre Gaza se terminait le 20 janvier 2009 par le retrait des derniers soldats de Tsahal. Nous ne reviendrons pas sur ces événements. Les informations diffusées par la presse à grand tirage et les chaînes de télévision apparaissent suffisamment parlantes, allant jusqu’à susciter une réprobation d’une vivacité jamais entendue de la part des Nations Unies contre Israël. Plusieurs de nos lecteurs se sont en revanche étonnés du peu de réaction des gouvernements arabes quand on aurait pu craindre d’eux, par exemple, la menace d’une cessation des livraisons de pétrole à l’Occident. Nous attribuons la relative inertie des États de la région à deux facteurs. D’une part, leur dépendance économique à l’égard des États-Unis et leur connivence plus ou moins ouverte avec l’État d’Israël. D’autre part, leur peur de l’islamisme révolutionnaire dont le Hamas est un vecteur.

L’Égypte, seul pays arabe frontalier de la Bande de Gaza, s’est non seulement abstenue d’apporter une aide aux Palestiniens assiégés mais elle a maintenu fermé aux Palestiniens le point de passage de Rafah. Parmi d’autres exemples, le 12 janvier, elle arrêtait 64 membres de l’organisation des Frères musulmans, qui manifestaient contre l’attaque israélienne dans la ville de Damanhour.

Plus grand pays arabe par son nombre d’habitants, l’Égypte, il est vrai, se voit limitée dans sa capacité de manoeuvre par les accords de paix signés avec Israël, en 1978 à Camp David.

La raison principale demeure cependant la dépendance économique du Caire face aux États-Unis. Mis à part l’Irak, en situation d’occupation, après Israël, l’Égypte est le pays qui reçoit la plus grosse aide économique de Washington. Tous les ans, depuis 1979, en moyenne celle-ci s’élève à 1,3 milliard de dollars pour le volet militaire et 815 millions de dollars au titre du développement. En comparaison, Israël reçoit respectivement 2,1 milliards de dollars et 600 millions de dollars à ces deux chefs.

La Jordanie, pays frontalier d’Israël et de la Cisjordanie bénéficie elle aussi d’une belle enveloppe, bien que plus modeste, de l’Oncle Sam : 198 millions de dollars pour l’aide militaire et 250 millions pour la partie économique. En outre, on l’oublie souvent, en 1970, lors des combats entre l’OLP et les Jordaniens (1), l’aviation israélienne intervint pour protéger le régime du roi Hussein, menacé par l’armée syrienne venue en renfort des Palestiniens. Du reste, le 26 octobre 1994, officialisant la connivence entre les gouvernements d’Israël et de Jordanie, les deux pays signaient un traité de paix. Au passage, en guise de gratification, le Président Bill Clinton effaçait la dette jordanienne.

Dans les pays du Golfe, la relation des gouvernements avec Israël et les États-Unis apparaît encore plus intéressée. Elle repose sur le business croisé. Les pétrodollars s’investissent en masse en Amérique et cette dernière apparaît comme leur principal acheteur d’or noir.

En outre, inlassablement, les partisans d’Israël tentent d’associer des Arabes à leurs affaires pour les compromettre. Exemple parmi d’autres, en janvier 2003, Richard Perle, alors proche de l’exécutif américain, rencontrait dans le sud de la France deux businessmen saoudiens, le marchand d’armes Adnan Khashoggi et l’industriel Harb Saleh Zuhair. Perle a évoqué avec ce dernier la possibilité de le faire entrer dans le capital de Trireme Partners, l’entreprise dont il est le principal actionnaire (2), Or, personne ne l’ignore, Perle est aussi un fervent défenseur d’Israël et l’un des directeurs du journal « Jerusalem Post ».

Israël utilise aussi des méthodes de compromission plus directes. La Mauritanie, sait-on, est l’un des seuls pays de la Ligue arabe à entretenir des relations diplomatiques avec l’État hébreu. Cela pourrait passer pour une lubie si cette concession à « l’entité sioniste » n’était le résultat d’un deal peu honorable. Maaouiya Ould Taya (3),, alors Président mauritanien, a accepté d’enterrer des déchets nucléaires dans son pays en échange d’une épaisse enveloppe de dollars. Ses successeurs continuent de recevoir un revenu annuel confortable pour les remercier de leur silence.

Le Qatar a été plus loin encore. Il héberge une base américaine qui a servi de poste de commandement lors de l’attaque contre l’Irak au printemps 2003. L’émir, Hamad Bin Khalifa Al-Thani, a même autorisé l’ouverture d’un bureau commercial israélien dans sa capitale, Doha.

Quand on voit les intérêts aussi imbriqués entre Arabes, Israéliens et leurs protecteurs américains, on comprend l’hésitation des chefs d’États du Golfe et d’Afrique du Nord à prendre le risque d’un conflit trop dur pour la défense des Palestiniens.

Notes

(1) Les événements de « Septembre Noir ».
(2) D’après le magazine « The New Yorker ».
(3) Président de 1984 à 2005. L’accord a été passé en 1998.

 LA PEUR ARABE
de la révolution iranienne


Avec les années, le jeu s’est compliqué au Moyen-Orient. On connaît le Hamas pour être un mouvement appartenant à l’organisation des Frères musulmans. Ces derniers, comme on le sait, sont nés en Égypte, en 1929, puis ont essaimé dans tous les pays arabes et au-delà.

Sunnites, les « Frères » se caractérisent par leur animosité à l’égard des pouvoirs en place. Au pays de Nasser, où ils sont en principe interdits en tant que parti politique, ils n’en prospèrent pas moins et se présentent même aux élections sous l’étiquette « indépendants ». Seule force d’opposition organisée, ils inquiètent les tenants du régime.

L’Égypte se retrouve par conséquent dans une situation inconfortable. D’un côté elle se doit de soutenir les institutions politiques palestiniennes, fût-ce du bout des lèvres, au nom de la solidarité arabe. De l’autre, Hamas ayant pris le contrôle de Gaza, elle craint, en renforçant ce mouvement, de conforter les Frères musulmans à l’intérieur de ses propres frontières.

Ce danger, à lui seul suffirait. Mais un autre se profile, sans doute plus redoutable encore.

Depuis le début de la révolution iranienne, les turbans de Téhéran cherchent à s’inféoder les organisations islamistes sunnites et plus particulièrement palestiniennes. Dès le début des années 80, ils sont parvenus à séduire le Jihad Islamique qui, cependant, ne jouit pas d’une très grande influence. Pour le Hamas, ils ne sont arrivés à leurs fins que dans le courant des années 90, profitant de l’isolement de ce mouvement, délaissé par les pays arabes au profit de l’OLP.

Aujourd’hui, grâce à l’argent du pétrole, en plus du Jihad Islamique, les Iraniens contrôlent les principales organisations anti-israéliennes de la région : le Hezbollah, constitué de chiites libanais, et le Hamas palestinien. Résultat, en dépit d’une réelle inimitié des sunnites à l’égard des chiites, aux yeux de la rue arabe, l’Iran apparaît de plus en plus comme le héros de l’islam et des musulmans face à l’injustice d’Israël et de son arrogant parrain américain.

Il faut néanmoins comprendre à quel point cette position de Téhéran relève de la posture et non des convictions.

Quand ils ont conservé la mémoire de leur grandeur, tous les États qui s’identifient à un ancien empire, rêvent d’en restaurer la gloire. Le pouvoir politique peut changer, mais pas le désir de ressusciter le passé. Aujourd’hui, de ce point de vue, Poutine brûle du même feu que Staline, qui était le continuateur des tsars de la très Sainte Russie.

Pour suranné que cela nous paraisse, les ayatollahs de Téhéran ont la même soif, que le défunt shah d’Iran, de restaurer l’empire perse des Achéménides, au moins en termes de zone d’influence. Seul change l’intitulé idéologique. Quand le shah se donnait pour motivation la modernité et se voulait le « gendarme du Golfe », les nouveaux maîtres de l’Iran invoquent l’islam dans sa version révolutionnaire. Mais, sous l’habillage des grands principes, demeurent les mêmes aspirations à l’hégémonie qui transpirent à travers le suivi de la politique de Téhéran.

Au milieu du mois de février dernier, par exemple, un différend diplomatique mettait en ébullition les chancelleries arabes. Ali Akbar Nateq Nouri, chef de cabinet du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, avait qualifié le royaume du Bahreïn de « 14ème province iranienne ».

Certes, depuis, Téhéran a fait amende honorable, mais il suffit d’entendre des responsables politiques iraniens, s’exprimant en privé, pour comprendre que l’appétit de leur pays ne se limite pas au petit émirat de Bahreïn.

Les chefs d’États arabes le savent bien, d’où leur extrême sensibilité aux tentatives de déstabilisation, directes ou indirectes, de l’Iran.

Hassan Nasrallah

A cet égard, on se souvient de la colère de l’Égypte, en janvier dernier, lorsqu’elle accusa Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah, d’être un agent de Téhéran. Le 28 décembre, en pleine offensive israélienne contre Gaza, ce dernier avait appelé les Égyptiens à descendre dans la rue dans le but de soutenir les Palestiniens et de conspuer le gouvernement du Caire pour son inaction.

Contrairement à certaines lectures, il n’existe pas un camp homogène au Moyen-Orient, mais au moins deux : celui des États arabes et celui de l’Iran révolutionnaire en synergie avec ses alliés. Quand les premiers appellent à la mobilisation contre le Perse chiite, les seconds poussent à la sédition contre les pouvoirs en place au nom de l’islam. La population sunnite est l’enjeu de cette partie de bras de fer.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

Lire aussi: Sunnites et chiites, frères ennemis de l'Islam

 
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