Concours
de rigueurs islamiques entre Riyad et Téhéran

mars 2016

Il y a quelques années, cheikh Abdulaziz Al-Sheikh, grand mufti (1) d’Arabie Saoudite, avait dit du jeu d’échecs : « C’est une perte de temps et une occasion de gaspiller de l’argent ». Et d’ajouter : « Il cause de l’animosité et de la haine entre les gens ».

On avait un peu oublié ces propos éclairés et très informés jusqu’au récent tournoi d’échecs qui se déroulait fin janvier à La Mecque. L’occasion pour quelques troubles fêtes de les rappeler sans pour autant stopper le déroulement des festivités.

Avant Al-Sheikh, le défunt imam Khomeiny avait pour sa part banni le jeu d’échec à l’issue de la Révolution iranienne. Dix ans plus tard, cependant, sous la pression des nombreux « addicts » de ce jeu né entre l’Inde et la Perse, il revenait à un peu plus de raison lui accordant à nouveau droit de cité.

Pourtant, même sous la présidence du très modéré Hassan Rohani, on assiste à d’étranges décisions en matière de rigorisme religieux.

Ainsi, en visite officielle à Rome il y a deux mois, il a demandé à ses hôtes de recouvrir les statues de nues du musée du Capitole. Bilal Ramadan, sunnite du Centre islamique de Genève, certes, mais dont l’islamisme ne saurait être mis en doute, parle « d’hypocrisie ». Nadia Karmous, pourtant présidente d’une association islamiste et toute voilée qu’elle soit, dit : « Les statues sont là pour être montrées et si quelqu’un ne veut pas les regarder et bien il ne va pas au musée » (2).

Il y a plus gênant, le vin ! À Rome, pour complaire au dignitaire iranien, on l’a retiré des tables officielles. La France pour sa part n’avait pas cédé et le repas à l’Élysée a été annulé lors de la visite de Rohani.

En Iran, l’intransigeance va plus loin encore. Sous prétexte de lutter « contre les attaques culturelles occidentales », le mot vin est désormais interdit dans les livres, a annoncé le ministre de la culture. Certes, la demande émane du guide, l’ayatollah Ali Khamenei. Elle n’en est pas moins étrange pour qui connaît un peu la littérature iranienne.

Parmi les grandes plumes qui ont parlé du vin chez les Perses, figure Omar Khayam, mathématicien et poète né en 1048 et mort en 1131. Auteur de « rubaïyat », des quatrains, il célèbre à longueur de vers les femmes et le vin. Certains, dans la tradition soufie, veulent y voir une allégorie de sa soif de Dieu. Pourquoi pas ! Ce n’est apparemment pas la version de Khamenei.

Soit dit en passant, la nôtre non plus quand nous lisons : « Au printemps, je vais quelques fois m’asseoir à la lisière d’un champ fleuri,] Lorsqu’une belle jeune fille m’apporte une coupe de vin, je ne pense guère à mon salut. ] Si j’avais cette préoccupation, je vaudrais moins qu’un chien ».

Le vin, savons-nous, a toujours été consommé en Iran, y compris dans la Perse islamisée. Aujourd’hui encore, on peut trouver des bouteilles de vin de Chiraz produites dans un demi secret. Demi, car sagesse ou hypocrisie, les ayatollahs ferment les yeux sur la pratique de cet art illicite.

Mieux, figurez-vous qu’en plein Téhéran, décliné sous toutes les formes, on voit en peinture, en filigrane ou en statue, Omar Khayam recevant des mains, d’une belle et langoureuse servante, le vin coulant d’une aiguière.

Concours islamiste ou compétition d’imbécillité entre les hautes sphères de l’islam ?

 

Notes

(1) Chez les sunnites, le mufti est un intermédiaire entre la hiérarchie religieuse et l’État. Sa nomination est issue de la tradition ottomane.
(2) Dans la presse suisse, « Le Matin Dimanche » du 31 janvier 2016.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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