Aider les Syriens, oui...
Avant tout à rentrer chez eux

octobre 2015

Depuis le 15 mars 2011, le peuple syrien subit la violence du pouvoir. En 2013, s’y ajoutait celle de Daech (l’État islamique). Les réfugiés déferlaient par centaines de milliers sur les pays voisins. Au Liban, ils sont 1,5 million, pour une population locale de 4 millions d’individus auxquels il faut ajouter 400 000 réfugiés palestiniens. Pour un tiers, les résidents du Liban sont donc des réfugiés. Nos responsables politiques, jusqu’ici, ne s’étaient guère inquiétés de cette situation. Pour les faire réagir, il a fallu que, cet été, débarquant en nombre croissant sur les côtes européennes, les demandeurs d’asile syriens frappent à notre porte. Pire, que la photo d’un fait divers, tragique, mais néanmoins un fait divers, la mort d’un enfant, soit publiée à la une des journaux. Tous les enfants morts dans l’anonymat ne pèsent pas.

Ils ne sont que des chiffres. Seule compte l’émotion générée par l’image et amplifiée par des journalistes soudain pleins de compassion. Tout cela soulève moult questions, auxquelles nous avons essayé de répondre dans une interview demandée par le Centre de Recherches sur le Terrorisme qui nous a interrogé.

Pourquoi, diantre, a-t-il fallu attendre quatre ans, depuis le début des manifestations et celui des tueries, alors commises par le régime, pour réagir ?

D’abord, cette fois, nous pouvons être fiers de notre pays. Il a en effet été celui qui a réagi avec le plus de fermeté face aux massacres commis par les forces de Bachar el Assad, dès le printemps 2011, contre des manifestants désarmés. Néanmoins, la dimension du dossier et sa complexité ne permettaient pas aux Français d’agir seuls avec une poignée d’alliés locaux comme au Mali. Il fallait un large consensus international pour exercer les pressions nécessaires sur le régime de Damas.

À plusieurs reprises, Paris a cherché à entraîner la communauté internationale, principalement les Américains, dans cette voie. Par exemple en août 2014, lors d’une attaque d’ampleur à l’arme chimique, commise par l’armée de Bachar dans la banlieue de Damas.

Mais le monde, en l’occurrence les puissances occidentales, s’est montré lâche. Aujourd’hui, nous payons le prix de cette lâcheté : avec l’arrivée massive de réfugiés et parce que la situation est devenue beaucoup plus complexe.

De plus, la Russie, alliée au régime, a pris la mesure de notre manque de décision. Quand, fermes, nous pouvions négocier avec elle pour obtenir la démission de Bachar, elle sait aujourd’hui pouvoir nous narguer et obtenir plus.

Mais pourquoi vouloir la chute de Bachar quand nous avons un ennemi commun : Daech ?

Le fait d’avoir un ennemi commun ne fait pas de Bachar un allié fréquentable. Après son père, et comme lui, il a régné en terrorisant la population, usant des emprisonnements arbitraires et de la torture. Pendant la guerre civile au Liban, et jusqu’à nos jours dans ce pays, la famille Assad et ses services de renseignement ont utilisé le terrorisme pour y exercer un contrôle. Pour mémoire, nous rappelons l’affaire de l’ancien ministre libanais Jean Obeid, à propos duquel nous avons publié des preuves de l’implication dans un complot syrien contre le Liban (1). Nous rappelons en outre l’arrestation de Michel Samaha, en août 2012. Lui aussi ancien ministre libanais, il a transporté des explosifs destinés à commettre des attentats dans son pays sur ordre du général Ali Mamluk, le chef de la Sécurité nationale syrienne.

L’ambassadeur de France au Liban, Louis Delamare, assassiné en septembre 1981, a été l’une des victimes de ce terrorisme. Bachir Gemayel, chef chrétien et Président de la République libanaise, en est une autre, et comme tend à le prouver un faisceau d’indices, Rafic Hariri, tué avec une vingtaine de ses collaborateurs le 14 février 2005. Il faut être aveugle ou bien mal informé pour ne pas admettre la nature criminelle du régime des Assad.

Nous pouvons faire un calcul machiavélique en nous alliant à Bachar, comme nous l’avons fait en nous alliant à l’URSS contre l’Allemagne nazie pendant la deuxième Guerre mondiale. Mais, d’une part, nous savons par expérience qu’à s’allier à l’un des deux démons en place dans l’arène, on le renforce et le rend quasi inexpugnable. D’autre part, nos forces sont dans la balance largement supérieures à celles de Bachar et de Daech. Aussi pouvons-nous contrebalancer ce dernier militairement sans l’aide du clan Assad.

Nous avons donc toutes les raisons de faire l’économie d’une alliance de raison avec le clan Assad.

Si l’Occident a commis une erreur en ne gérant pas la crise dès le début, est-ce la raison pour laquelle il doit accueillir un déferlement de réfugiés sur son sol ?

Sauf à nous considérer, nous Occidentaux, comme les responsables du bon fonctionnement de la planète, nous ne sommes pas coupables de ne pas être intervenus de manière décisive en 2011. C’était néanmoins une erreur stratégique, comme nous l’avons expliqué plus haut, car nous vivons dans un monde interconnecté. Tout ce qui se passe quelque part dans le monde peut avoir des répercussions sur notre économie et notre environnement. Sur nos vies donc.

En fait, nous accueillons ces réfugiés au nom des principes du droit international. Or, celui-ci, en matière de réfugiés politiques, s’est construit dans la durée. Il ne correspond plus à notre époque avec des facilités de déplacement décuplées, comme nous le voyons avec les Africains qui traversent le Sahara pour débarquer chez nous. Au XIXe siècle, les réfugiés politiques étaient peu nombreux et clairement identifiables. Nos ambassades les connaissaient car ils faisaient partie de la minorité éduquée des peuples vivant sous un régime tyrannique. Aujourd’hui, les repères sont plus flous et les effets collatéraux des guerres devenus tels qu’il est difficile de faire la distinction entre victimes politiques et migrants économiques. Chaque fois, la décision d’accorder le doit d’asile apparaît d’autant plus difficile à prendre que les uns comme les autres sont dans des situations désespérées. Les mouvements de populations ont pris une telle ampleur que leur gestion financière devrait être internationale. En clair, confiée aux Nations Unies et non pas aux États, débordés et démunis face à ces masses humaines.

Mais pourquoi maintenant cet afflux de réfugiés venant de Syrie ? Voire des pays d’Afrique noire ?

Il y a plusieurs agents provocateurs de cet afflux. D’abord, il faut comprendre tout cela n’étant pas fortuit. Pendant l’été 1990, j’ai eu l’occasion d’interviewer Hocine Aït Ahmed (2), un opposant algérien. À un moment, il m’a dit : « Si vous, les Européens, vous ne voulez pas voir arriver des bateaux de désespérés échouant sur vos côtes, il faut aider une troisième voie à prendre forme en Algérie, qu’elle ne soit ni la solution de l’armée, ni celle des islamistes... » D’où lui venait cette prémonition ?

Ensuite, comme nous l’avons indiqué dans plusieurs articles, Peter Sutherland, entre autres directeur chez Goldman Sachs, est aussi Représentant spécial sur les migrations internationales auprès des Nations Unies. Ce membre éminent des clubs mondialistes, comme la Trilatérale et Bilderberg, et fondateur de l’OMC est un ardent avocat des migrations massives vers l’Europe. On comprend qu’il y a là un projet d’ampleur échafaudé par les courants des obédiences mondialistes.

Sur ce plan, du reste, on constate les gouvernements européens de l’Europe de l’Ouest acquis à cette idée. Selon eux, nous manquons de jeunes pour occuper les postes de travail et nous avons besoin d’immigrants pour « payer nos retraites ». Vous avez entendu cet argument, peut-être vrai en Allemagne, mais pas chez nous où le taux de chômage ne cesse de s’élever. En France, on voit pourtant nos gouvernants, de droite comme de gauche, ressasser cette fable. Néanmoins, depuis 2011, si les réfugiés syriens se massaient en Turquie, au Liban et en Jordanie, peu arrivaient chez nous. Les débarquements en Europe ont commencé en 2014, puis ont monté en force jusqu’à atteindre une pointe au cours de l’été dernier. Le facteur déclencheur a été l’appel sous les drapeaux lancé par le régime syrien. Pour échapper à leurs obligations militaires, beaucoup d’hommes ont alors pris la toute de l’exil. Le clan de Bachar n’est cependant jamais à court d’idées. Ses hommes offrent des transports à prix d’or sur des bateaux poubelles affrétés à partir de la Turquie, voir du port de Tartous en Syrie (4), où le coordinateur des départs se fait appeler « Docteur Jamal ».

Mais, il y a plus grave. En Syrie, la guerre et l’appel sous les drapeaux sont aussi utilisés pour réduire une majorité sunnite hostile à la minorité alaouite qui a capté le pouvoir avec les Assad. En effet, en même temps que les sunnites s’en vont, des chiites iraniens, alliés du régime, achètent des biens et s’installent. Il faut parler de transfert de population.

Que faire ? Humainement, on ne peut laisser ces gens à l’abandon...

Nous devons à la fois tenir compte de l’urgence et préserver nos intérêts. J’ajouterai : et ne pas tomber dans le piège tendu par le clan de Bachar en aidant à un transfert de population.

Toute notre stratégie doit tendre à rendre l’exil le moins difficile possible pour ces réfugiés, mais en même temps s’assurer que dès les hostilités terminées, ils retourneront dans leur pays. Or les « aider à rentrer chez eux », c’est d’abord faciliter le retour de la sécurité. Le geste le plus humain que nous puissions avoir à leur égard.

Certes, et dans les deux sens. D’une part parce que la France ne peut plus accueillir de nouvelles masses étrangères. C’est avant tout une question d’identité. À ceux qui sont choqués par ces mots, nous rappellerons cet argument invoqué par Israël pour fermer ses frontières aux Africains jusqu’à en acculer certains à la mort. Les grandes âmes se sont tues. Pour éviter de telles tragédies, nous pouvons avoir quelques gestes. Mais pas plus. Le mieux est d’assurer l’hébergement, l’entretien et la protection des populations fuyant la Syrie en amont. Au plus près de leur pays. Ensuite, ceux qui sont présents sur notre territoire doivent être maintenus dans l’idée d’un retour prochain dans leur patrie. Or, aujourd’hui, nous faisons le contraire, cherchant à les garder chez nous, en particulier les diplômés, privant ainsi la Syrie des compétences dont elle aura besoin une fois la paix revenue. Sous prétexte de générosité, on voit poindre de sordides calculs chez nos dirigeants.

Quand vous dites, « le mieux est d’assurer l’hébergement, l’entretien et la protection des populations fuyant la Syrie en amont », où plus précisément ?

C’est un sujet difficile à approcher, car éminemment politique. Une fois revenus de leurs grandes envolées à prétexte humanitaire, les dirigeants européens ont fini par comprendre les limites de leurs moyens. Angela Merkel la première. Peu gênés, ils ont demandé à la Grèce de créer 100 000 places d’hébergement sur son sol. C’est faire de ce pays déjà en difficulté une zone d’asile. C’est méprisant et intolérable. Même si c’est en Grèce que ces réfugiés entrent en Europe. La plupart de ces réfugiés sont passés par la Turquie. Elle est musulmane et correspond mieux à l’environnement de la majorité des réfugiés syriens. Néanmoins, nous ne pouvons pas trop lui demander. D’une part parce qu’elle est déjà très déstabilisée, d’autre part en raison des exigences qu’elle ne manquerait pas de présenter à titre de compensation de ce « service ». Comme par exemple son entrée dans l’Europe. À mon avis, le meilleur moyen serait de créer des zones protégées sur le territoire syrien lui-même, au contact des frontières jordaniennes et turques. Ces zones devraient bien sûrs être protégées par nos aviations (3), voire conquises et « nettoyées » des présences hostiles par nos troupes. En revanche, elles devraient être administrées et protégées au sol par les forces de la rébellion syrienne combattant pour l’instauration de la démocratie dans le pays. Cette solution permettrait de maintenir le lien entre la population et son pays. Néanmoins, elle n’est pas soutenue par la plus grande partie de l’opposition démocratique syrienne. Ses responsables craignent en effet que créant une zone libérée, la partition de la Syrie ne devienne un état de fait, une partie se trouvant entre les mains du régime, une seconde dans celles de Daech, une troisième des Kurdes.

D’abord cela coûte cher. De plus, ni les Iraniens, ni les Russes n’ont intérêt de l’accepter.

Pour la facture, cela nous coûterait moins cher que de recevoir les réfugiés en Europe. En France, il faut compter par an 20 000 € par réfugié. Avec une somme moins importante, nous pouvons être beaucoup plus efficaces sur le terrain. En revanche, vous avez raison en ce qui concerne les Iraniens et les Russes. On retourne donc à la base du problème : il est politique et nous devons négocier avec les Russes, devenus des acteurs essentiels en Syrie. Pour cela, il faut accepter de leur laisser une part d’influence. Le problème est alors américain. En effet, Washington veut chasser les Russes de Syrie et, entre autres, leur faire perdre les facilités navales dont ils disposent dans le port syrien de Tartous. Pourtant, bien monté, un plan de cogestion de la crise syrienne avec Moscou serait la meilleure solution.

Alain Chevalérias

 

Notes

(1) Lire « Jean Obeid est-il un naïf ou un agent de Bachar el Assad ? » et « S’il vous plaît Monsieur Jean Obeid, répondez ! »
(2) Aït Ahmed est réfugié en Suisse. Ancien de la guerre d’indépendance, il était revenu à Alger pour participer aux élections en cours.
Il est mort le 23 décembre 2015 à Lausanne.
(3)
Depuis deux ans, l’armée de l’air française s’est aménagé une base en Jordanie. Elle est commandée par le patron de la base de Solenzara, en Corse. Nous avons l’information depuis l’année dernière. Pour des raisons de sécurité, nous avons cependant préféré la taire jusqu’à ce que d’autres confrères en parlent à l’occasion des premières frappes aériennes réalisées par la France en Syrie. Que nos lecteurs nous pardonnent cette petite occultation.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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