IL EXISTE AUSSI

UN TERRORISME
D'EXTRÊME GAUCHE

juillet 2015

L'AUTEUR : Denis Gorteau est né en 1976. Après des études d'histoire il a entamé des études d'enseignant dans cette matière. Curieux de géopolitique et de conflits, il a publié le livre "La guerre en Irak est-elle finie" en 2009. A la rentrée, il va publier un nouvel ouvrage sur la Corée du Nord.

 

Les mots terrorisme et extrême-gauche sont polysémiques. Leur définition n'est pas simple. Précisons néanmoins que l'extrême gauche est une mouvance politique qui souhaite une révolution violente au service des exploités. Quant au terrorisme, c'est l'utilisation de la violence pour faire avancer une idéologie… Actuellement quand on parle de terrorisme on pense immédiatement aux jihadistes qui, occidentaux ou étrangers, tuent chaque jour dans le monde. Or l'objet de cet article est de rappeler que le passage à l'acte violent ne fut pas toujours, loin s'en faut, le fait de religieux radicaux. Dès le XIXe siècle, des groupes d'extrême gauche utilisent la violence pour hâter une révolution qu'ils croient certaine.

A cette époque, des anarchistes assassinaient déjà des personnalités politiques européennes. Mais la première guerre mondiale et la révolution bolchevique semblent jeter le terrorisme anarchiste dans les poubelles de l'histoire. Communistes et Socialistes sont très influents dans les classes ouvrières et la révolution semble possible autrement que par des assassinats. Les Anarchistes survivent jusqu'à aujourd'hui mais deviennent souvent marginaux.

Il faut attendre les suites de la Deuxième Guerre mondiale pour voire ressurgir le terrorisme d'extrême gauche. C'est surtout le cas dans les pays colonisés où certaines luttes nationales vont utiliser la violence -parfois la plus extrême- ainsi que la phraséologie révolutionnaire.

C'est l'époque du FLN algérien et d'autres mouvements indépendantistes. Ils se disent " progressistes " et militent pour l'indépendance et le socialisme.

Là aussi l'injustice de la colonisation et la violence de la répression décuplent leur violence.

Quand la lutte ne débouche pas sur la victoire ces organisations deviennent des foyers insurrectionnels avec une branche terroriste comme les Tigres tamouls, les FARC colombiennes, le Sentier Lumineux péruvien ou le PKK kurde. A noter que, derrière leur identité gauchiste, ces groupes ont très souvent une dimension ouvertement ethnique. Avec le temps ceux qui ne disparaîtront pas accentueront leur caractère " national ", la fin de l'URSS accélérant leur mutation.

La dimension séparatiste fonctionnera aussi en Europe. C'est le cas de l'ETA basque ou de l'IRA irlandaise qui se veulent des organisations de gauche mais avec comme réel programme une séparation d'avec la puissance présentée comme le " colonisateur ".

L'Europe est aussi touchée par des mouvements plus modestes issus de la " révolution manquée " de 1968. Bénéficiant d'une ambiance politique assez porteuse et nourrie par une jeunesse contestataire, ces groupuscules gauchistes auront parfois des passages à l'acte violent. En France plusieurs groupes sont passés à l'acte comme Action Directe, coupable d'assassinats jusque dans les années 1980. Avant eux des groupes maoïstes tuèrent des diplomates sud-américains. Mêmes actions en Allemagne de l'ouest avec la " bande à Baader ". L'Italie est plus touchée encore avec l'activité de plusieurs organisations armées dont les Brigades Rouges. Il est vrai que l'extrême droite pose aussi des bombes... Loin derrière les exactions islamistes, ces groupes sont tout de même meurtriers, on parle par exemple de 800 morts pour l'ETA de 1959 à ces dernières années.

Mais avec le temps, le gauchisme se recroqueville sur quelques petits partis politiques. Ce terrorisme peut même apparaître comme un signe de déclin.

Quant aux organisations du tiers-monde, une fois arrivées au pouvoir, elles abandonnent souvent leurs opinions avancées pour une gestion clanique (FLN) ou perdent définitivement leur combat (Tigres tamouls liquidés en 2009).

Au début du XXIe siècle, on ne parle plus guère du terrorisme d'extrême gauche. En Europe les groupes séparatistes ou gauchistes sont rentrés dans des processus de négociations (ETA, IRA, FLNC corse) ou ont été démantelés par la police (Action Directe) dans l'indifférence des " exploités ".

D'autres sont devenus des acteurs politiques non violents après des changements de régime. C'est le cas des maoïstes népalais qui sont devenus un parti politique important après la proclamation de la République à Katmandou en 2008.

Le PKK kurdo-turc a lui aussi engagé des discussions avec l'Etat turc en 2013 mais reste une organisation armée importante. Elle tire sa force de l'identité kurde et de sa négation par Ankara, pas vraiment de son positionnement marxiste.

Les FARC en Colombie sont engagées, elles aussi, dans des négociations depuis des mois pour abandonner complètement les armes…

 

En Inde, la guérilla naxaliste (maoïste) demeure puissante localement dans un terrain qui rappelle par bien des aspects notre moyen âge : surpopulation rurale, luttes foncières et brutalités policières alimentent une violence " révolutionnaire " !

Et que dire des organisations armées palestiniennes se revendiquant encore du marxisme ? C'est le cas du FPLP qui se définit toujours comme un groupe résistant les armes à la main à l'occupation sioniste.

Il n'en demeure pas moins que la violence politique d'extrême gauche décline nettement depuis des décennies. La fin de l'URSS a sans doute joué dans le sens d'un désarmement même si Moscou ne soutenait pas tous ces mouvements.

De même l'installation de nouveaux pays indépendants a rendu anachronique l'idée de " révolution " dans des pays où tout était à bâtir et non à détruire.

Reste aussi une raison importante au déclin de ces organisations : la fin du parrainage étranger. En effet, assez souvent ces groupes ont été utilisés par des puissances étrangères en quête de porte-flingues. Ce fut le cas des organisations turques d'extrême gauche bien souvent " aidées " par la Syrie.

De même Action Directe fut soupçonnée d'avoir visé des cibles désignées par l'Iran. Quant à l'Armée Rouge japonaise elle fut longtemps un moyen de pression de la Corée du Nord sur le grand voisin.

Finalement, comme Jaurès à la fin du XIXe siècle, il n'est pas insensé de voir dans ces terroristes des " provocateurs ". Coupés des masses qu'ils prétendent défendre, ces groupes sont en effet aisément manipulables, soit par l'Etat qui souhaite un prétexte pour agir, soit par des puissances étrangères peu soupçonnables de sympathies pour la " révolution ".

Marginales, anachroniques ou folkloriques leurs idées persistent cependant sur Internet ou ailleurs et peuvent faire des émules. Un exemple ? En France, en 1994, trois jeunes ont braqué une fourrière et se sont enfuis en prenant un automobiliste en otage. L'équipée a fait cinq morts… Les trois jeunes se disaient anarchistes.

Moins meurtrier, le groupe dit de Tarnac accusé d'avoir tenté de saboter des voies de TGV en 2008. On peut néanmoins se demander si les déclarations enflammées du leader du groupe Julien Coupat représentent un vrai danger. Bientôt peut-être la réponse dans les conclusions d'un procès en correctionnelle.


Denis Gorteau

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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