UN VOYOU A L’ÉLYSÉE
L’étrange itinéraire d’Alexandre Djouhri

décembre 2010

On peut se demander si nos dirigeants, toutes tendances confondues, sarkozistes, villepinistes ou chiraquiens n’ont pas perdu leurs repères. Le parcours d’Alexandre Djouhri nous amène à le supposer.

A
lexandre Djouhri fréquente assidûment le clair-obscur des hautes sphères de la République de manière quasi anonyme. Pour la première fois, il avait été surpris par hasard par des photographes en août 2009, à Monaco. Il était aux côtés de Dominique de Villepin, quand ce dernier se reposait des soucis engendrés par l’affaire « Clearstream » à l’hôtel de Paris.


On se demande bien pourquoi Djouhri a pris le prénom d’Alexandre. Il est né en 1959 dans « le 93 », à Saint-Denis, de parents maghrébins venant d’Algérie, qui menaient en France une existence modeste.

Du reste, c’est dans cette banlieue du 93 qu’il a commencé sa carrière. En avril 1985, il échappa de justesse à une tentative d’assassinat. Un an plus tard, il fut blessé au cours d’une fusillade place du colonel Fabien à Paris. Trouvant refuge à l’hôpital, il affirma avoir été victime d’un accident de voiture. Manque de chance, la police découvrira des traces de poudres sur ses mains, preuve qu’il venait de faire usage d’une arme à feu.

L’homme a néanmoins de l’ambition et, certainement, des talents. On ne sait comment, il prend pied dans les affaires internationales. Le gros : le pétrole, l’eau, les produits agro-alimentaires. Il fait fortune, entre dans le capital de Veolia, dont il aurait acquis 8% des parts, et s’installe en Suisse en 1995.

Néanmoins, on se demande toujours d’où vient l’argent avec lequel il a pu se lancer. Est-ce le fruit de l’un de ces trafics inavouables dont les banlieues ont le secret ? Ou un service rendu non moins inavouable lui aurait-il valu la reconnaissance éternelle d’un généreux donateur ? Ou bien, comme pourrait le laisser entendre ses relations avec les généraux algériens, serait-ce l’argent des recettes de l’or noir et des trafics d’influence blanchi par les soins de Djouhri ?

En tout cas l’homme sait s’y prendre. Son amitié avec Villepin suscite d’abord la méfiance de Sarkozy. Au cours d’un déjeuner à l’hôtel Bristol, en avril 2006, le contact est établi entre les deux hommes. Djouhri va alors réussir l’exploit d’entretenir des relations avec les deux ennemis.

Il a décidément de l’entregent. Il connaît très bien Bernard Squarcini, le patron de la DCRI. Détail succulent, alors à la préfecture de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, en décembre 2005, ce dernier l’a gratifié d’une attestation de moralité affirmant que « rien de défavorable n’a pu être démontré concernant l’intéressé, aucun élément lié au terrorisme, grand banditisme ou blanchiment (NDLR : d’argent) n’a pu être mis en exergue ».

À ce demander ce que ce « grand flic » a dans les yeux. Car il y a quand même des indices laissant entendre que tout n’est pas blanc de blanc dans la vie de Djouhri. Dans les années 80, il appartenait à la bande d’Anthony Delon pour lequel il servait de gros bras. Laissant remonter son passé, il lui arrive encore de menacer « de fumer » (1) un rival dans les affaires. Une manière de parler, et non pas une menace, affirment ses amis.

Ce « franc-parler » pas très bon chic bon genre a failli lui coûter cher. Il y a un an, il avait dit de Patrick Ouart devant un groupe de personnes : « Avec son format, une balle ne peut pas le rater ». Il faut dire Ouart jouissant d’un sympathique embonpoint, mais aussi, magistrat de profession, le conseiller juridique de Sarkozy depuis bientôt dix huit ans. Quand il eut écho du mot au goût douteux de Djouhri, le magistrat s’en plaignit et rédigea un rapport à qui de droit.

Cette affaire succédait à une autre, qui donnait à l’attestation de moralité de Squarcini l’apparence d’une lettre de complaisance. Fin 2006, il avait comparu devant la Justice pour coups et blessures. Au cours de négociations pour l’obtention d’un marché au Moyen-Orient, Djouhri avait eu recours aux arguments frappants dans une suite de l’hôtel Georges V.

Ces quelques bribes d’informations sur ce personnage haut en couleurs n’en font pas moins un intermédiaire considéré comme incontournable dans les affaires. Arrivé chez Vivendi Environnement, aujourd’hui Veolia, à la fin des années 90, il entretient une relation étrange avec Henri Proglio (2), qui était alors le PDG de l’entreprise.

D’après le journal « Libération », déjà à l’époque, on appelait Djouhri « l’homme sans qui son PDG Henri Proglio n’est rien ». Le premier est resté proche de l’autre quand celui-ci a pris les commandes d’EDF, en 2009, tout en restant président de Veolia.

Toute l’ambiguïté de ce qui lie les deux hommes est dans une remarque faite par Djouhri, disant à Proglio : « N’oublie pas que tu es le petit soldat et que je suis le général ». Insolence ou réalité ? Il est vrai qu’on a aussi vu ce « général » là tapoter amicalement la joue de Serge Dassault.

Djouhri est néanmoins parvenu à s’introduire auprès de décideurs africains et moyen-orientaux. Par quels moyens ? On l’ignore. On sait cependant qu’il sait instrumentaliser des femmes pour parvenir à ses fins. Quelques personnalités de l’Élysée lui en sont reconnaissantes.

De Thalès à Dassault industries, en passant par Veolia et quelques autres groupes, on lui doit néanmoins plusieurs contrats. Ceci explique que l’on ferme les yeux sur ses excentricités.

Pourtant, autour du personnage de Djouhri, il y a trop de questions sans réponse, trop de flou et de suspicions. Un homme pourrait tout déballer, Ziad Takieddine, intermédiaire libanais, il est souvent présenté comme l’homme qui aurait facilité la vente des sous-marins français au Pakistan (3). Il le nie, néanmoins il ne peut démentir avoir été supplanté par Djouhri en tant qu’ « intermédiaire-associé » de l’Élysée. Guidé par son instinct, Pierre Péan, prépare un livre sur Djouhri.

En attendant, dans « Le Journal du Dimanche » du 30 mai 2010, Takieddine déclarait : « J’accuse Jacques Chirac et Dominique de Villepin, à l’Élysée, et leurs hommes, le diplomate Maurice Gourdault-Montagne et, notamment, un homme de l’ombre Alexandre Djouhri, d’avoir par leurs agissements, fait que la France passe aujourd’hui pour un des pays les plus corrompus au monde et ne vende plus rien à l’international ». S’il dit vrai, les choses n’ont pas changé sous Sarkozy.

Notes

(1) Terme d’argot signifiant tuer avec une arme à feu.
(2) Le même Henri Proglio est à la manoeuvre pour éliminer Anne Lauvergeon d’Areva (voir : « Guerre fratricide commandée par l’Élysée »).
(3) La vente qui s’est vu couronnée par le meurtre de onze techniciens français à Karachi

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
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