Zbigniew Brzezinski,
devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat des Etats-Unis

 

COMMENTAIRE : Nous avons déjà évoqué cette intervention du 1er février 2007 de Zbigniew Brzezinski dans un document intitulé " Les Etats-Unis bientôt en guerre en Iran et au Pakistan ? " En rapporter tout le texte nous semblait inutile tant nous étions convaincus que la presse se chargerait de cette mission. A notre grande surprise, en dépit de l'importance de la déclaration de Brzezinski, elle n'a été reprise nulle part en France et évoquée, autant que nous le sachions, dans un seul média américain, "Los Angeles Times".

 

Il faut savoir, Brzezinski (Brzezinsky) a fondé la "Trilateral commission" en juillet 1973 avec David Rockefeller. Cette organisation adhère à une conception mondialiste des affaires de la planète. En attendant une gouvernance mondiale, elle s'est donné pour mission d'influencer les gouvernements auxquels ses membres appartiennent.

Parmi les membres de la "Trilateral commission" figurent : George Bush père, Dick Cheney, Henry Kissinger, Paul Wolfowitz, Jimmy Carter etc... On trouve aussi le nom de Pierre Lellouche.

On s'étonne, à première vue que l'un des membres d'une organisation aussi influente que la " Trilateral commission " ne parvienne pas à faire passer ses positions dans la presse, fussent-elles en décalage avec l'actuelle politique américaine.

Nous avons appris la " Trilateral commission " aujourd'hui scindée en deux tendances. Les radicaux soutiennent la politique de George W. Bush, l'actuel Président des Etats-Unis. L'autre tendance s'y oppose et critique les effets négatifs de celle-ci.

On peut parler, entre les deux, d'une situation d'affrontement. Dans ce cadre, les radicaux resserrent leur contrôle sur les médias et sont parvenus à empêcher qu'une publicité ne soit donnée à l'intervention de Brzezinski devant le Sénat. De l'autre, les modérés se sont lancés dans une opération de séduction des milieux politiques d'Europe et du Tiers-monde pour contrebalancer l'influence de la Maison Blanche.

Dernier point. Les propositions faites par Brzezinski dans son intervention à propos de la nécessaire mise sur pied d'une conférence internationale autour de l'Irak pour sortir de la crise, ont été en partie reprises par le gouvernement de George Bush. En effet, le 10 mars 2007, une conférence s'est tenue à Bagdad avec, entre autres, la participation de l'Iran et de la Syrie. Néanmoins, manquaient pour assurer la réussite de l'affaire, l'implication des responsables locaux proches du soulèvement et une véritable proposition pour réduire la crise.

 

 TRADUCTION DE L'INTERVENTION
DE ZBIGNIEW BRZEZINSKI
devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat

 

Monsieur le président,

Ces audiences tombent à un moment critique de la guerre des Etats-Unis en Iraq. Je vous recommande, vous et le Sénateur Lugar, de les programmer.

Il est temps, pour la Maison Blanche, d'admettre deux points majeurs :

1. La guerre en Irak est une catastrophe historique, stratégique, et morale. Menée à partir d'hypothèses fausses, elle sape la légitimité de l'Amérique. Les victimes civiles collatérales ainsi que certains abus ternissent le crédit moral de l'Amérique. Poussée par des impulsions manichéennes et des prétentions impériales, elle intensifie l'instabilité régionale.

2. A la place d'une tutelle aux relents coloniaux, seule une stratégie politique historiquement adaptée peut assurer le cadre nécessaire à une solution acceptable à la guerre en Irak et à l'intensification des tensions régionales.

Si les États-Unis continuent de s'enliser en Irak dans un affrontement sanglant qu'ils font durer, la conséquence ultime de cette dérive est probablement un conflit de front avec l'Iran et la plus grosse partie de l'ensemble du monde musulman.

Un scénario possible pour une confrontation militaire avec ce pays passe par l'incapacité de l'Irak à s'assumer, suivie d'une attribution de cet échec à l'Iran. Enfin, par des provocations en Irak ou une attaque terroriste aux États-Unis, dont on fera porter la responsabilité à l'Iran.

L'affaire arrivera à son apogée avec une action défensive américaine contre l'Iran, qui plongera des États-Unis isolés dans un bourbier qui s'étendra et s'amplifiera, probablement jusqu'à englober l'Irak, l'Iran, l'Afghanistan et le Pakistan.

Une certaine littérature mythique et historique présentant des arguments justifiant une telle guerre prolongée et potentiellement élargie circule déjà. Au départ, justifiée par de fausses affirmations à propos des armes de destruction massive en Irak, la guerre est maintenant redéfinie comme "l'effort idéologique décisif " de notre temps, rappelant les confrontations précédentes avec le Nazisme et le Stalinisme. Dans ce contexte, l'extrémisme islamiste et Al Qaïda sont présentés comme les équivalents de la menace incarnée par l'Allemagne nazie, puis la Russie soviétique, et le 9 septembre (2001) comme l'équivalent de l'attaque de Pearl Harbour qui avait poussé l'Amérique à participer à la deuxième Guerre mondiale.

Cette histoire simpliste et démagogique fait abstraction du fait que le nazisme s'appuyait sur la force militaire du pays européen (technologiquement) le plus avancé ; que le stalinisme était capable de mobiliser non seulement les ressources de la puissance militaire d'une Union Soviétique victorieuse, mais aussi de lancer un appel dans le monde entier en s'appuyant sur sa doctrine Marxiste. A la différence, la majorité des musulmans n'adhèrent pas au fondamentalisme islamique ; Al Qaïda est une aberration isolée du fondamentalisme islamiste ; les Irakiens s'affrontent parce que l'occupation américaine de l'Irak a détruit l'Etat irakien ; tandis que l'Iran, bien que gagnant en influence régionale, est lui-même politiquement divisé, faible économiquement et militairement. Prétendre que l'Amérique est déjà en guerre dans la région avec une menace islamique plus vaste, dont l'Iran est l'épicentre, revient à fabriquer une prophétie qui finira par se produire.

Dans les derniers temps, et de manière détestable, la politique étrangère du gouvernement au Moyen-Orient a complètement reposé sur la référence à de tels slogans. Ces propos vagues et incendiaires parlant d' " un nouveau contexte stratégique ", basé sur la " clarté " et suscitant " les contractions de l'enfantement d'un nouveau Moyen-Orient ", nourrissent un anti-américanisme grandissant, qui augmente le danger d'une confrontation à long terme entre les Etats-Unis et le monde islamique. Les personnes en charge de la diplomatie américaine ont aussi adopté une position moralisatrice d'auto-ostracisme envers l'Iran, qui rappelle l'attitude de John Foster Dulle au début des années 50 envers les chefs communistes chinois (ayant eu pour résultat, parmi d'autres, le fameux épisode du refus de la poignée de main). Il a fallu attendre deux décennies et demie avant qu'un Président républicain ne soit capable de s'affranchir de cet héritage.

Là, on devrait remarquer aussi, que pratiquement aucun autre pays au monde ne partage la vision manichéenne que le gouvernement soutient avec passion. Le résultat est un isolement croissant des Etats-Unis et une hostilité populaire grandissante à l'égard de la position américaine.

Il est désormais évident que l'intérêt national américain demande un changement significatif d'orientation. En effet, il existe un consensus général pour reconnaître que la guerre fut une erreur, et qu'il ne faut pas aggraver les choses. Que la situation politique régionale devrait être le sujet d'une réflexion, que le règlement du conflit israélo-palestinien est indispensable pour changer de politique et qu'il faudrait continuer de travailler dans ce sens. Il est remarquable que de profondes réserves aient été émises par un certain nombre d'éminents Républicains. Il suffit de mentionner le point de vue exprimé par le très honoré Président Gérald Ford, l'ancien Secrétaire d'Etat James Baker, l'ancien Conseiller de la Sécurité Nationale Brent Scawcroft, et de nombreux éminents sénateurs républicains, John Warner, Chuck Hagel et Gordon Smith parmi d'autres.

D'urgence, nous avons besoin aujourd'hui d'une stratégie pour mettre en place le cadre d'une solution aux problèmes posés par l'occupation américaine de l'Irak, suivie d'une guerre civile aux référents communautaires. Mettre un terme à l'occupation et lancer un dialogue afin d'assurer la sécurité régionale devraient renforcer les buts d'une telle stratégie. Mais, ces deux objectifs prendront du temps avant de voir le jour et nécessitent un engagement américain réel.

La recherche d'une solution politique pour réduire le chaos grandissant en Irak nécessiterait quatre étapes :

1. Les Etats-Unis devraient réaffirmer explicitement et sans ambiguïté leur détermination à quitter l'Irak dans un délai relativement court.

De fait, les ambiguïtés autour de la durée de l'occupation encourage le refus des compromis et accroît la violence du conflit inter-communautaire en cours. En plus de ça, une pareille déclaration publique est nécessaire pour dissiper les craintes au Moyen-Orient d'une nouvelle et durable hégémonie américaine. Vrai ou faux, beaucoup voient dans l'instauration d'une telle hégémonie la cause initiale de l'intervention américaine dans une région à peine sortie de la domination coloniale. Cette perception doit être dénoncée au plus haut niveau par les Etats-Unis. Probablement le Congrès américain pourrait-il se charger de cela en rédigeant une résolution commune.

2. Les Etats-Unis devraient annoncer qu'ils mènent des pourparlers avec les chefs irakiens afin de fixer, en accord avec eux, une date de désengagement militaire américain. Cette date, une fois fixée, devrait être présentée comme une décision commune. En attendant, les USA devraient éviter toute escalade militaire.

Il est nécessaire d'impliquer tous les chefs irakiens - y compris ceux qui ne résident pas dans la " zone verte " - dans un dialogue sérieux pour fixer la date du désengagement militaire américain. Car ce dialogue permettra de voir qui sont les vrais chefs irakiens, ceux qui, suffisamment sûrs d'eux-mêmes, pourront tenir sans la protection militaire américaine. Seuls les chefs irakiens jouissant d'un pouvoir réel au-delà de la " zone verte " pourront éventuellement garantir l'application d'un tel accord et parvenir à une paix authentique. Réalité douloureuse, le plus grand nombre des membres de l'actuel régime irakien, présenté par le gouvernement Bush comme "représentatif du peuple irakien ", est principalement défini par sa location physique : les six kilomètres carrés et demi inscrits dans la forteresse américaine à Bagdad, protégés par des murs de cinq mètres d'épaisseur, équipés par des militaires américains lourdement armés, et dénommés " zone verte ".

3. Les Etats-Unis devraient lancer avec les chefs irakiens appropriés, peut-être même laisser ces chefs irakiens le faire, lancer donc une invitation à tous les voisins de l'Irak (et peut-être certains autres chefs de pays musulmans comme l'Egypte, le Maroc, l'Algérie et le Pakistan) afin d'entamer une discussion sur la meilleure façon d'améliorer la stabilité de l'Irak en relation avec le désengagement militaire américain. Eventuellement ils devraient même favoriser une conférence concernant la stabilité régionale.

Les Etats-Unis et les dirigeants irakiens doivent impliquer les voisins de l'Irak dans des discussions sérieuses sur les problèmes de sécurité de la région, mais de telles discussions ne peuvent être conduites tant que les Etats-Unis feront figure d'occupant. L'Iran et la Syrie n'ont aucune raison d'aider les Etats-Unis à renforcer leur hégémonie de façon permanente sur la région. Il est cependant amusant de constater que tous les deux, la Syrie et l'Iran, aient dernièrement appelé à un dialogue régional, exploitant ainsi le caractère autodestructeur d'une diplomatie américaine passive, réduite à proférer des slogans.

Un dialogue régional sérieux, impliquant directement ou indirectement les Etats-Unis, pourrait être soutenu jusqu'à un certain point par un cercle plus large avec la participation d'autres puissances ayant des intérêts dans la stabilité régionale, comme l'Union européenne, la Chine, le Japon, l'Inde et la Russie. Les membres de ce comité pourraient discuter officieusement, avec les Etats susmentionnés, de leurs intérêts potentiels au cours d'un tel dialogue élargi.

4. En même temps, les Etats-Unis devraient faire un effort crédible et énergique pour arriver enfin à une paix israélo-palestinienne, clarifiant au cours de l'approche les paramètres de base d'un règlement final.
Les Etats-Unis devraient convaincre la région qu'ils soutiennent à la fois la sécurité d'Israël sur le long terme et la justice pour les Palestiniens, qui attendent depuis plus de quarante ans d'avoir leur propre Etat. Seule une intervention active peut permettre l'émergence d'une solution trop longtemps différée. L'expérience a montré que les Israéliens et les Palestiniens ne pourront jamais l'atteindre seuls. Sans un tel règlement, à la longue, les passions nationalistes et les fondamentalistes de la région mineront tout régime arabe perçu comme soutien à l'hégémonie américaine dans la région.

Après la deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis tenaient les clés de défense de la démocratie en Europe parce qu'ils avaient réussi à poursuivre une stratégie politique de long terme, unifiant leurs amis et divisant leurs ennemis. Ils dissuadaient ainsi discrètement toute agression, mais sans déclencher d'hostilités, tout en explorant les possibilités d'arrangements négociés. Aujourd'hui, au Moyen-Orient, le leadership américain subit un test. D'urgence, nous avons besoin d'une stratégie similaire, raisonnable, soutenant de manière constructive un engagement politique.

Il est temps aussi, pour le Congrès, de s'affirmer.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 
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