NOUVEL ACTE DU THÉÂTRE D'OMBRE
EN MAURITANIE


 Le 4 juin 2005, vers cinq heures du matin, cent cinquante hommes lourdement armés attaquent la base de Lemgheity, un poste mauritanien non loin des frontières d'Algérie et du Mali. Les combats durent plusieurs heures. Puis, s'enfuyant, les agresseurs laissent derrière eux une quinzaine de morts.

Immédiatement, les autorités mauritaniennes accusent le GSPC (Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat), une organisation terroriste algérienne. Prescience remarquable car, trois jours plus tard, publié sur Internet, un communiqué signé du même GSPC le déclare auteur du forfait.

Le texte parle d'une " revanche pour nos frères arrêtés dans la dernière série d'interpellations en Mauritanie " et d'une " riposte à un complot américain. "

A Nouakchott, le Premier ministre, Sghair Ould M'Bareck, trouve des accents patriotiques. " Tous les Mauritaniens sans exception, dit-il devant les 35 partis politiques rassemblés, doivent faire preuve de solidarité face à ce terrorisme aveugle frappant notre pays... " Le 9 juin, comme un seul homme, la capitale mauritanienne descend dans la rue pour manifester contre " le terrorisme. "

A la réflexion, l'attaque contre le poste de Lemgheity tombe à pic pour beaucoup de monde.

èPour la Mauritanie d'abord. Depuis octobre 1999, ce pays musulman a établi des relations diplomatiques avec Israël élevées au niveau des ambassadeurs. La population vit mal cet alignement de son pays sur la politique de l'État hébreu. Le 2 mai dernier, la visite annoncée de Sylvan Shalom, ministre israélien des Affaires étrangères, quelques jours plus tard en Mauritanie, avait suscité des graffitis anti-juifs sur les murs de Nouakchott. Le 27 avril, la police avait " démantelé " un groupe qui, selon elle, " devait commettre des actions terroristes. " Déjà, elle accusait les membres de ce groupe d'être en relation avec le GSPC. Etrangement, des islamistes libérés le 28 mai, après la visite de Sylvan Shalom, disaient à l'AFP : " Nous avons été arrêtés et libérés sans savoir pourquoi. "

èPour les Américains ensuite. Au moment de l'attaque contre le poste de Lemgheity, des manoeuvres militaires " antiterroristes " dirigées par les Etats-Unis devaient se dérouler du 6 au 26 juin dans la région saharienne. Dénommés " Flintlock 2005, " ces exercices, avec la participation de 300 militaires américains, concernent huit pays : l'Algérie, le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, la Tunisie et le Maroc. Sous prétexte de lutter contre le terrorisme et les réseaux de contrebande, ceci entre dans le cadre d'une mise sous dépendance par Washington du Maghreb et de l'Afrique sahélienne. Un moyen pour arracher cette région à l'influence de la France. Seul problème, personne ne croit à l'existence d'un danger terroriste dans le Sahara. D'où l'aubaine de l'attaque contre Lemgheity à deux jours du début de " Flintlock 2005. " Comme pour confirmer cette analyse, le 6 juin, des experts militaires américains de la lutte anti-terroriste débarquaient à Nouakchott pour enquêter sur l'opération en question.

èPour les Algériens enfin. Souffrant d'une carence de démocratie, le régime recherche la caution des États-Unis. Comme Islam Karimov en Ouzbékistan, il compte pour cela utiliser la menace islamiste. Quitte à l'amplifier. La presse algérienne a rapporté à plusieurs reprises le souhait des autorités d'obtenir l'implantation de bases américaines sur leur territoire (1).

Or l'affaire de Lemgheity sent le faisandé. D'abord, un commando de cent cinquante hommes a besoin au moins d'une vingtaine de véhicules tous-terrains pour se déplacer à travers le désert. Ensuite, la seule région suffisamment peuplée ou s'assurer discrètement un approvisionnement en carburant de plusieurs milliers de litres se trouve aux environs de Tombouctou, au Mali. A plus de mille kilomètres de Lemgheity. Tout cela nécessite une logistique typiquement militaire difficile à mettre en place dans le secret par des contrebandiers et des groupes islamistes réduits à la survie.

 Tout s'éclaire si l'on écoute le Colonel Ahmed Zarouf, ancien officier de la gendarmerie marocaine, aujourd'hui député. Il affirme (2) " le GSPC (est) une création de la sécurité militaire... Les différents services de la sécurité militaire algérienne, continue-t-il, sont tellement étoffés et tellement présents sur le terrain, surtout du côté de la frontière marocaine, qu'il est quasiment impossible qu'une opération de cette envergure (contre Lemgheity) se soit réalisée sans que l'armée algérienne ne soit préalablement au courant. "
 Sûr de lui, le colonel marocain reprend : " Il ne faut pas que l'opinion publique soit victime d'une nouvelle escroquerie médiatique. La première a concerné le rapt des touristes allemands dans le désert algérien par le groupe du fameux El Para. Il s'est avéré, à la suite d'une enquête approfondie réalisée sur le terrain par des journalistes français, que cet El Para n'est autre qu'un ancien commandant de la sécurité militaire algérienne (1). En outre, le modus operandi de l'opération du GSPC en Mauritanie ressemble fort à celui utilisé par la Sécurité militaire d'Algérie... "

Dans le courant de l'été 2003, Alain Chevalérias avait évoqué ces faits en rédigeant deux articles à l'occasion de la libération des otages suisses et allemands (1).

Jean Isnard

 
logo GSPC
 
 
 
 
 
 
Ould Taya, préside la Mauritanie depuis 1984 suite à un coup d'Etat
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

(1) : " L'Algérie sous contrôle américain, base américaine dans le Sahara " et " Qui a enlevé les otages du Sahara ? Qui est El Para ? "

(2) In " Aujourd'hui Le Maroc, " du 10 juin 2005.

Lire aussi dans "Brèves": Que cache le coup d'Etat en Mauritanie?

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