HISTOIRE
LA CORSE
AVANT LA FRANCE

janvier 2016

En Corse, les élections régionales de décembre ont donné le pouvoir aux partisans de l’indépendance, baptisés nationalistes. Gilles Simeoni, nouveau président du conseil exécutif de la Collectivité territoriale de Corse, a demandé au gouvernement « de prendre la mesure de la révolution démocratique » qui se déroule edans l'île. Élu à la tête de l’Assemblée de Corse, Jean-Guy Talamoni a prononcé un discours en langue corse et a prêté serment sur le livre « Giustificazione della Rivoluzione di Corsica » (Justification de la Révolution de Corse), le livre qui servait de référence
au Président de l’éphémère République corse, Pascal Paoli, au XVIIIe siècle. Une semaine plus tard, tendue contre les pompiers dans un quartier à majorité maghrébine d’Ajaccio, une embuscade provoquait une manifestation de jour suivant, le 25 décembre 2015. Cette dernière dégénérait et une salle de prière musulmane était vandalisée. Pour comprendre
ce qui se passe en Corse, il faut aussi faire un retour sur l’Histoire.

 

« La France est un pays ami », déclarait Jean-Guy Talamoni, nouveau président de l’Assemblée territoriale, le 18 janvier. Il voulait sans doute apaiser les tensions. Il les a aiguillonnées. Il veut la collégialité de la langue corse aux côtés du français. Manuel Valls la lui refuse. Il présente les
Corses comme une nation. Mais en termes constitutionnels, il n’existe en France qu’une seule nation, la nation française. S’ajoutant aux conflits larvés entre îliens et Maghrébins, voire avec les « gens » venus du continent, le
problème corse est le fruit de l’histoire, plus encore depuis l’arrivée de la France au XVIIIe siècle.

AVANT LA FRANCE

L’homme met le pied sur l’île vers 10 000 avant notre ère. Une civilisation édificatrice de statues et de tours émerge entre les XVIe et XIVe siècles av. J-C. La Corse va alors être un enjeu de conquête entre les Étrusques, les Carthaginois, les Grecs et enfin les Romains qui se lancent à la conquête à partir de 259 av. J-C.

Il ne faudra pas moins de cinq expéditions sur une trentaine d’années pour que Rome vienne à bout des habitants. Mais, en 455 ap. J-C, avec l’affaiblissement de l’Empire, les Vandales s’installent, délogés par les Byzantins quinze ans plus tard. Recommence alors une farandole d’occupations en la personne des Goths, des Francs, des Génois et du Vatican, avec les armées du Pape, qui s’ajoutent aux autres tentatives, toutes éphémères, de prise de contrôle de la Corse.

À partir de 704, cependant, un nouvel agresseur apparaît. On l’appelle le « Maure ». Ce sont d’abord quelques pirates islamisés et des musulmans attaquant à partir de l’Espagne. Ils serviront souvent d’excuse à leurs interventions aux autres envahisseurs. La première vague mauresque se tarit en 1014. À cette date, une flotte de Pisans et de Génois défait celle de l’émir Abou Hossein Moghehid, mais surtout le renouveau de puissance de l’Empire de Byzance bride les Arabes.

En 1358, cependant, éclate une révolte populaire qui met à mal l’occupation génoise présente depuis 1347. Significatif d’un certain esprit de la population de l’île, des seigneurs sont chassés, des représentants populaires, les « Caporalis », les remplacent, la plupart des châteaux sont démolis et, dans les terres « libérées », le peuple s’administre sur la base de « communes émancipées » unies en confédération. Expérience qui se prolonge mais de manière atténuée, Gênes reprenant ses droit à partir de 1372.

Mais, à partir de la prise de Constantinople par les Turcs en 1453, l’effondrement de Byzance et l’expansion de l’Empire ottoman, les Maures reviennent. On les appelle dorénavant « Barbaresques ». Moins bien défendues que d’autres côtes méditerranéennes, celles de la Corse sont périodiquement razziées et les populations emmenées en esclavage. Pour rassurer les habitants, Gênes ordonne la construction de tours de guet pour lancer l’alerte... mais aux frais des Corses. La menace barbaresque va durer trois siècles. Les Corses fuient les villages de la côte et s’installent dans les montagnes. Ce long épisode explique pour partie l’animosité des Corses à l’égard des Arabes.

En 1511, cependant, toute l’île est sous l’autorité de Gênes. Il va néanmoins y avoir encore des tentatives pour se substituer à la souveraineté génoise. Ainsi, en 1551, la France soutient la rébellion de Sampiero Corso, un Corse qui a servi comme capitaine mercenaire dans les armées de François 1er . Il est pourtant considéré comme un héros de la cause corse. En 1555, les Français s’allient aux Turcs pour attaquer Bonifacio et le Cap Corse. Il faudra l’intervention génoise et le traité de Cateau-Cambrésis, en 1559, pour que la Corse revienne à Gênes.

En 1729, un premier soulèvement a lieu contre Gênes à la suite de mau-vaises récoltes et de la surcharge d’impôts. En 1730, la Corse va jusqu’à demander son indépendance. Le St Empire germanique est appelé à la rescousse par Gênes. Calmée, la rébellion explose de nouveau. La France, cette fois intervient à la demande de Gênes.

 

LA CORSE EN FRANCE

Cela n’empêche pas l’irrédentisme de se développer. En 1755, une assemblée de députés est convoquée par un certain Pascal Paoli pour écrire les grandes lignes d’une Constitution. Puis Paoli est élu général en chef du soulèvement, de la République de Corse dans l’esprit de ses partisans.

A Gênes, on se fatigue de ces Corses dont l’insoumission coûte cher. Le 15 mai 1768, au Traité de Versailles, en échange de l’annulation de sa dette, la République des doges finit par donner la Corse à la France. Louis XV gouverne. Il refuse de reconnaître la République de Paoli et envoie son armée concrétiser le rattachement.

D’abord, l’armée corse met les troupes du roi en déroute le 9 octobre 1768 à Borgo. Le 8 mai 1769, la situation s’inverse à Ponte-Novo et la Corse passe sous domination militaire française. Le 13 juin, Paoli s’enfuit pour la Grande-Bretagne. L’affaire ne laisse pas insensibles les philosophes des Lumières, dont Voltaire et Rousseau, qui voient dans la République de Paoli un exemple de démocratie. Les habitants de l’île non plus n’apprécient pas et, en 1774, cela vaudra à la France un nouveau soulèvement. Il se terminera par l’envoi au bagne de Toulon de 600 Corses.

L’île n’en reste pas moins la cible des pirates barbaresques. Ainsi, parmi d’autres, en 1778, une enfant est enlevée. Elle s’appelle Marthe Franceschini. Sa beauté la fera remarquer par le roi du Maroc. Plus chanceuse que d’autres esclaves, elle sera élevée au rang d’épouse légitime et de sultane.

À partir de 1789, les tensions finissent cependant par s’apaiser avec la France, en particulier grâce à la lecture des cahiers de doléance. Elle facilite, le 30 novembre, l’acceptation du décret de réunion de la Corse à la France par l’Assemblée constituante. Enfin, le 14 juillet 1790, amnistié puis accueilli à Paris, Paoli repart en Corse avec le titre de « Commandant militaire insulaire » avant de se retrouver président du premier Conseil général de l’île.

Après avoir rallié la République naissante sur le continent, Paoli est néanmoins déçu par la montée de la terreur. Inexécutable, un ordre d’arrestation est délivré contre lui par la Convention en avril 1793. En 1794, il accentue ses négociations avec la Grande-Bretagne. Il tourne alors au dictateur excluant les opposants ou les empêchant de se rendre au vote. Puis il se fait élire Père de la Patrie et fait jurer fidélité à la couronne britannique.

Sous le commandement de l’amiral Hood, une flotte anglaise débarque. Les troupes françaises, trop peu nombreuses en raison des guerres continentales, sont chassées. Les Corses cependant résistent. Les villes littorales souffrent beaucoup sous les attaques. Calvi en particulier qui est détruite.

Paoli semble avoir gagné. Mais les Britanniques lui refusent la couronne de vice-roi qu’il ambitionnait. Puis craignant qu’il ne fomente un soulèvement contre eux, ils l’appellent à Londres où il mourra le 5 février 1807, traître à la France, aux Corses et pourtant héros légendaire aux yeux de ces derniers.

Mais en 1796 Bonaparte a été nommé commandant en chef de l’armée d’Italie par le Directoire. Les Français chassent les Anglais de Corse. Puis, en 1804, Napoléon devient empereur des Français. Le fils du pays devenant le chef de la puissance occupante, les Corses remettent de moins en moins en cause leur appartenance à la France. Ce d’autant plus qu’ils jouissent de l’égalité des droits.

 

LA CORSE REBELLE

Cependant, en 1816, la tension monte dans l’île... contre Louis XVIII, qui succède à Napoléon 1er, parce qu’il affiche des sentiments anti-bonapartistes. Autant dire le coup d’État de Napoléon III, en décembre 1851, bien reçu par la population. La Corse semble alors bien ancrée dans la France et, en 1859, quand la Cour de cassation y réaffirme le français seule langue officielle, on ne signale pas de fortes réactions de mécontentement.

Parenthèse intéressante, en 1942, les forces italiennes et allemandes occupent la Corse. Mais, en 1943, suite à l’effondrement du régime de Mussolini à Rome, les soldats italiens retournent leurs armes contre les Allemands avec l’aide de partisans corses et de militaires français arrivés de nos colonies africaines. Résultat, cette année là, Ajaccio est la première ville française libérée.

La lune de miel entre les Corses et Paris ne va cependant pas durer. En 1957, un plan de mise en valeur des potentialités agricoles de l’île est bien lancé, mais 90% des terres promises aux Corses vont être données aux rapatriés d’Algérie. Dans le même temps, en raison du faible développement de l’île, les jeunes s’expatrient et le nombre d’habitants s’effondre. Tout cela nourrit un vif ressentiment.

À partir de 1965, éclatent les premières revendications, d’abord autonomistes, puis indépendantistes. Puis la poudre commence à parler. Le 15 septembre 1972, un navire italien est dynamité. Il rejetait au large de l’île des déchets toxiques émanant d’une usine de peinture italienne de la société Montedison. Le FPCL, « Front patriotique corse de libération » revendiquera l’attaque.

Puis, le 21 août 1975, à Aléria, avec une douzaine d’hommes armés de fusils de chasse, le docteur Edmond Siméoni occupe l’exploitation d’un viticulteur pied-noir. Un millier de gendarmes et de policiers cernent les lieux. Deux gardes mobiles sont tués. Les 23 et 26 août, Des émeutes nocturnes éclatent à Bastia. Michel Poniatowski, alors ministre de l’Intérieur, envoie des blindés dans la ville.

Après quoi, relatif, le calme ne dure pas. Le 5 mai 1976, 22 plastiquages s’entendent simultanément dans les villes corses, à Marseille et à Nice. Ils sont l’acte de naissance du FLNC, « Front de Libération nationale corse ». La situation reste néanmoins maîtrisée, les autorités associant réformettes administratives, surveillance et libéralités financières.

Peu de Corses, faut-il dire, suivent les indépendantistes. La population a trop à perdre, en terme d’aides sociales, de retraites et compte tenu de la forte proportion de fonctionnaires corses travaillant dans l’administration sur le continent.

Pour preuve, les résultats des consultations électorales. Ainsi, en 1992, aux élections territoriales, la Corse étant dotée d’une assemblée élue, les indépendantistes n’obtiennent que 25% des voix.

Cependant, très vite, des conflits éclatent entre leurs différents mouvements et le FLNC lui-même éclate. Il y a bien sûr des morts, à la suite de règlements de compte aux relents affairistes et mafieux. Des destructions de biens aussi. Mais finalement peu de chose comparé à la violence déchaînée en Espagne par les Basques.

Puis, en 1998, le préfet Claude Erignac est assassiné. Un an plus tard, éclate l’affaire dite des paillotes, une action clandestine de la gendarmerie ordonnée par le préfet Bernard Bonnet. Pour calmer le jeu, en 2000, Lionel Jospin, Premier ministre, élargit les compétences de la collectivité territoriale corse.

Aussi, en juillet 2003, la majorité des électeurs vote en faveur des anti nationalistes conduits par Émile Zuccarelli. Cependant, aux élections de 2010, les nationalistes atteignent le score de 36%. Trois ans plus tard, l’Assemblée corse vote pour la co-officialité de la langue corse et du français.

Puis, le 13 décembre 2015, les nationalistes l’emportent aux élections territoriales. Gilles Siméoni, fils d’Edmond Siméoni cité plus haut, devient président du Conseil exécutif. On peut se demander combien de temps la Corse va rester française.

Jean Isnard

Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001
www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

 
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