AL-QAÏDA DANS LE MONDE

mars 2011

Les attentats islamistes revendiqués par Al-Qaïda se multiplient à travers le monde. Certains vont jusqu’à voir dans ces attaques un vaste complot mis en place par la CIA. D’autres refusent l’existence d’une organisation baptisée Al-Qaïda et croient les structures agissantes déconnectées, mais se réclamant du même centre pour mieux impressionner.
Trop de prétendus spécialistes, sans aucune connaissance du terrain, avancent des théories sans relation avec la réalité, trompant consciemment ou non l’opinion. Résultat, l’on entend des artistes de cinéma ou de music-hall, soutenir avec assurance des thèses délirantes. A cela s’ajoutent les mensonges, les exagérations et les demies vérités de certains États occidentaux, qui cherchant à occulter leurs erreurs dans ce dossier, rendent plus difficile la lecture des événements. Je n’ai pas la prétention de tout savoir. Mais, fort de plus de trente cinq ans de recherches dans le monde musulman, d’une expérience de plusieurs années accumulées dans les maquis afghans alors en lutte contre les Soviétiques et de nombreux séjours, jusqu’à aujourd’hui, dans plusieurs pays du monde arabe et islamique, je vais me permettre de dire, en résumé, ce que je sais de l’existence d’Al-Qaïda.

Alain Chevalérias

Il faut faire un retour sur l’Histoire. Dans les années 80, les États-Unis, inquiets de la pénétration soviétique en Afghanistan, soutinrent la résistance locale à l’occupation. Puis, dans l’idée de susciter un mouvement de masse contre le communisme dans le monde arabe, ils décidèrent de pousser les organisations islamistes, principalement les Frères musulmans, à participer aux combats contre l’Armée rouge.

Cheikh Abdullah Yusuf Azzam, Frère musulman et Palestinien enseignant en Arabie Saoudite, devint un acteur essentiel du projet américain. Dès 1980, il avait envoyé en reconnaissance l’un de ses élèves, Oussama Ben Laden, à Peshawar, une agglomération pakistanaise qui servait de base arrière à la résistance afghane.

Petit à petit, le projet prit forme, avec l’aide des autorités saoudiennes, pourvoyeuses de fonds, et des services pakistanais, eux-mêmes chaperonnés par la CIA. Depuis les années 70, les Américains avaient créé un camp, à Cherat, à 40 km au sud-est de Peshawar. Ils y formaient des hommes, issus de 70 nationalités différentes, à la guérilla pour susciter une résistance dans leurs pays respectifs, en cas de tentative de pénétration soviétique ou de coup de force communiste. Par Cherat passèrent des milliers d’Afghans et, semble-t-il à partir de 1983, les volontaires islamistes arabes. J’ai été le premier journaliste à témoigner de l’arrivée de ces derniers dans les maquis afghans dès 1984.

Ben Laden faisait partie de cet environnement arabe qui profitait de l’aide des États-Unis. Néanmoins, il ne semble pas avoir eu de rapports personnels et continus avec les Américains.

Azzam, s’installa à Peshawar en 1983 ou en 1984 et créa une structure d’accueil pour les volontaires, sous le nom de Maktab Al-Khadamat (Bureau des services). Comparé à Ben Laden, il professait néanmoins une idéologie moins radicale. On ne sait ce qui se passa entre les deux hommes, mais le 24 novembre 1989, Azzam fut assassiné à Peshawar dans un attentat dont on n’a jamais identifié les auteurs.

De mes différents contacts avec les uns et les autres, j’ai tiré la conclusion que les Américains croyaient maîtriser et canaliser le processus mis en route. Cependant, détenteur d’une immense fortune, à la mort de son maître, Ben Laden prit la direction du « Maktab » avec son lieutenant Ayman Al-Zawahiri. A la même époque, les Soviétiques ayant quitté l’Afghanistan, les Américains cessèrent de s’intéresser aux volontaires arabes. Quant à Ben Laden, il rentra tout d’abord en Arabie Saoudite avec quelques dizaines de combattants.

Ben Laden en compagnie d'officiels au Soudan
Comme nous l’expliquons dans notre livre, « La guerre infernale », l’offensive de l’Irak contre le Koweït, puis la première guerre contre Saddam Hussein, suivie de l’embargo, radicalisèrent un peu plus Ben Laden. Après un séjour au Soudan, chassé de partout, il se replia en Afghanistan en 1996, peu avant la prise de pouvoir du pays par les Taliban, et fit une alliance avec eux. Alliance d’autant plus cohérente que les Américains, convaincus de pouvoir répéter leur manoeuvre contre les Soviétiques, avaient soutenu la création du mouvement des Taliban.

Échappait à Washington les fondamentaux de l’islamisme radical. Pour celui-ci, l’Amérique est aussi diabolique que l’Union soviétique. Les islamistes préconisent « la troisième voie », l’islam ossifié et réduit à une théorie de guerre auquel ils se réfèrent.
Fort de sa puissance financière, Ben Laden organisa des bases d’entraînement militaire dans la région de Jalalabad, dans l’est de l’Afghanistan. Comme les autres islamistes radicaux qui dirigeaient des camps dans le pays, il agissait avec l’accord du gouvernement des Taliban.

Les hommes de Ben Laden désignaient leur centre principal « Al-qaïda », la base en arabe. Le nom, repris par les Américains pour désigner l’organisation, fut lui-même consacré par Ben Laden qui parla de « Qaïdat Al-Jihad ».

En février 1998, fort de ses recrutements et de ses contacts avec les organisations islamistes radicales à travers le monde, pour la première fois, Ben Laden dévoila ses intentions à la terre entière, ou du moins à ceux qui voulaient encore douter de sa détermination.

Il lança un appel au « j
ihad pour la libération des Lieux saints musulmans », ce qui inclut Jérusalem, en créant le « Front islamique mondial pour le jihad contre les juifs et les croisés », autrement dit les chrétiens.

Parmi les mouvement signataires de cette déclaration de guerre, figurent le Jihad Islamique égyptien, du moins la faction dont Zawahiri a pris le contrôle, le Gamaa islamiya, lui aussi égyptien, le Jamiat-e-Ulema-e-Pakistan, le Harakat Ul-Jihad-e-islami du Bangladesh et l’organisation terroriste Abou Sayyaf des Philippines.

Le texte apparaît sans ambiguïté. Il affirme : « Tuer les Américains et leurs alliés, qu’ils soient de simples citoyens ou des militaires, est un devoir personnel pour tout musulman, partout où il peut y parvenir et où cela lui est possible... »

Ben Laden ajoutait à cette recommandation : « Jusqu’à la libération de la mosquée Al-Aqsa et de la mosquée Al-Haram de leur mainmise ». La première est à Jérusalem, construite à l’emplacement du temple juif détruit par les Romains. La seconde se trouve à La Mecque. Il s’agit de la Kaaba, le centre des pèlerinages musulmans.

La mosquée Al-Haram est selon l’opinion de Ben Laden occupée par les Américains, ce qui est une vue de l’esprit. Mais en se référant à Al-Aqsa, très habilement, même si ce n’est pas sa préoccupation essentielle, il associe « sa » guerre à la colère ressentie par tous les musulmans au spectacle de l’arrogance israélienne à l’égard des Palestiniens.

Il tente, par ce moyen, de faire entrer tous les musulmans dans une paranoïa collective aux ressorts sentimentaux. On appelle cela de la manipulation psychologique.

Dès 1992, Al-Qaïda avait monté des opérations terroristes. Le 29 décembre de cette année en tuant deux soldats américains à Aden. Puis le 23 février 1993, en organisant un attentat, qui avait fait 6 morts, contre le Trade World Center de New York. Le 26 septembre 1995, elle avait tenté de tuer le Président égyptien Hosni Moubarak en déplacement en Éthiopie, puis le 13 novembre, fait exploser une voiture piégée contre la Garde nationale saoudienne à Riyad. Le 25 juin 1996, elle s’en était prise à la base américaine de Khobar, elle aussi en Arabie Saoudite, tuant cette fois 19 soldats et blessant 400 personnes.

A partir de 1998, année, comme nous l’avons vu, de création du Front islamique mondial, la létalité des attaques monte d’un cran. Deux voitures piégées explosèrent à proximité des ambassades américaines de Naïrobi (Kenya) et de Dar Es-Salam (Tanzanie). Elles firent 224 morts. Les images de télévision révélèrent des scènes d’apocalypse.

A ceux qui doutent de l’existence d’Al-Qaïda, l’étude des comptes rendus des audiences des procès, quand ils ont eu lieu aux États-Unis, révèlent les liens entre les exécutants et l’organisation de Ben Laden. J’en ai lu certains qui sont accessibles au public. Or, l’on n’était pas encore à l’époque de l’administration de George W. Bush et des méthodes illégales, basées sur la torture, pour obtenir des aveux.

Le 15 octobre 1999, avec la distance et le temps de réflexion nécessaires au consensus, pour une organisation internationale, ce qui vaut garantie, par la résolution 1267, le Conseil de sécurité des Nations Unies créa un Comité chargé de promouvoir la lutte contre Al-Qaïda.

Puis, le 12 octobre 2000, au Yémen, une attaque suicide des hommes de Ben Laden contre un destroyer américain, tua 17 militaires. Enfin, le 11 septembre 2001, date fixée dans les mémoires de toute l’humanité, avait lieu le plus spectaculaire carnage terroriste de l’histoire.

Nourrissant le soupçon, des dissonances apparaissaient néanmoins entre les informations et certains faits. Dans notre rapport publié sur l’Afghanistan (1), nous avons évoqué les questions qui se posent à propos du 11 septembre. Nous avons aussi présenté des preuves que les attaques sont le fait d’Al-Qaïda. Il est possible que, sans en prévoir l’ampleur, certains éléments de la sécurité américaine et israélienne aient décidé de « laisser faire » pour disposer d’une sorte de Pearl Harbour anti-islamiste. Mais croire la CIA capable de monter une telle supercherie sur plusieurs années, relève, à notre avis, du délire.

Il serait vain, en quelques lignes, de vouloir prouver qu’Al-Qaïda est bien l’auteur des attaques du 11 septembre 2001. Rappelons néanmoins quelques éléments de preuve sur lesquels nous avons travaillé et largement argumenté dans notre rapport (1).

Premier point : Oussama Ben Laden a lui-même reconnu sa responsabilité des faits et décrit la préparation des attentats dans une cassette vidéo publiée le 13 décembre 2001.

Deuxième point : Avant de passer à l’acte, les auteurs des attentats ont annoncé leurs intentions devant des caméras. Leurs confessions ont été diffusées à partir d’avril 2002.

Troisième point : Un collègue journaliste, Badih Karhani, était dans les locaux d’Al-Qaïda à Kandahar (Afghanistan) le jour du 11 septembre 2001. Les gens de Ben Laden présents n’ont manifesté aucune surprise à l’annonce des attaques. Ils se sont immédiatement dispersés vers la montagne pour éviter une attaque américaine, appliquant un plan préparé à l’avance. Visiblement, Karhani n’avait pas été invité par hasard à réaliser une interview.

Quant aux nombreux commentaires accessibles sur Internet, tendant à démontrer que le 11 septembre est le fruit d’un complot mené de bout en bout par les Américains, ils ne tiennent pas la route. S’ils soulèvent en effet des questions réelles et mettent en évidence les contradictions du discours officiel, ils sont partiels et utilisent des informations non vérifiées. Il ne suffit pas de faire une compilation de ragots pour monter un dossier.

En outre, aujourd’hui, la nuisance d’Al-Qaïda apparaît bien réelle, même si on en exagère l’importance. Le réseau lui-même n’est constitué que de 200 à 300 hommes concentrés au Pakistan et en Afghanistan, auxquels s’ajoutent quelques centaines de personnes au statut de tâcherons. Il est en état de survie, subissant le matraquage de l’OTAN et en particulier des « drones » (2).

Cependant, d’une part, Al-Qaïda dispose du soutien de ses alliés, en particulier des Taliban. D’autre part, elle envoie des chargés de mission en Arabie Saoudite, en Irak, au Yémen et ailleurs pour assurer la liaison avec des groupes islamistes locaux. On se trouve dans une autre situation quand une structure, comme l’AQMI, dans la région sahélienne en Afrique, se réclame d’Al-Qaïda.

L’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb) est le prolongement des GIA, né en 1992 dans le contexte du soulèvement contre le pouvoir algérien. Il prit le nom de GSPC en 1998, puis d’AQMI en 2007. Il est en partie pénétré par les services algériens qui le manipulent à leurs propres fins (3).

C’est d’abord l’AQMI, en 2007, qui a revendiqué son appartenance à Al-Qaïda. Après coup, un message audio supposé émaner de Ben Laden a avalisé. Cela fait-il pour autant de l’AQMI et d’Al-Qaïda une même structure obéissant au même chef et cherchant à atteindre les mêmes objectifs ?

Tout nous permet de dire non. D’abord parce que les liaisons sont difficiles entre les maquis pakistano-afghans et la région sahélienne. Mais aussi en raison de l’indépendance de fonctionnement des Algériens, de l’histoire de leur mouvement et de sa pénétration par les renseignements de leur pays.

Quant aux services algériens, pratiquant un double jeu, ils se donnent de l’ampleur, en se présentant aux yeux des crédules comme la cible d’une organisation terroriste aux ramifications internationales tout en instrumentalisant son capital de terreur.

Abdelmalek Droukdal
Dans cette perspective, les récents événements confirment notre analyse. Ainsi, le 27 octobre 2010, un message attribué à Ben Laden affirmait à propos des otages enlevés au Niger le 16 septembre 2010 : « Je voudrais vous dire que vos experts au Niger (...) ont été enlevés en réponse à vos pratiques injustes envers notre peuple musulman ». Un communiqué du chef de l’AQMI, Abdelmalek Droukdal alias Abou Moussab Abdel Wadoud, publié le 18 novembre 2010 par Al-Jazeera, lui faisait écho : « Toute forme de négociation sur ce sujet ne sera conduite avec personne d’autre que notre Cheikh Oussama Ben Laden ». Tout cela pour pousser les Français à se désengager d’Afghanistan et, comme le voudraient les services algériens, de la région sahélienne où se trouvent, pour la France, les indispensables réserves d’uranium d’Arlit.

Si on ne peut douter de la réalité d’Al-Qaïda, il existe aussi une récupération du mythe à des fins de manipulations de tous bords. Ceci, ajouté aux théories fumeuses émises par des experts de salon, complique la compréhension des faits. Cependant, malgré les erreurs de Washington, il ne faut pas se tromper d’ennemi !

Note

(1)Comment sortir du conflit afghan: Un dossier de 70 pages, " pour expliquer pourquoi l'occupation s'enlise et, surtout, tenter de donner des solutions pour, un jour, le plus proche possible, sortir d'Afghanistan ". Ce document est le résultat de plusieurs années de travail d'Alain Chevalérias. De retour d'un nouveau voyage en Afghanistan, il connaît bien ce pays pour y a voir vécu plus de trois ans aux côtés de la résistance, pendant l'occupation soviétique.
Vous pouvez obtenir ce dossier contre un chèque de 200 € libellé au nom du "
Centre de Recherches sur le Terrorisme depuis le 11 septembre 2001 "
(2) Avions sans pilote.
(3) Lire: «
Michel Germaneau, rien ne vaut la mort d’un homme ». Et in « La manipulation de l’AQMI par les Algériens ».

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

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