Ces Guerres qui abattent une civilisation

Général Pierre Marie GALLOIS

Juin 2005

 

 Le siècle précédent a légué au monde trois formes d'hostilités qui sont menées quasi simultanément et qui vont meurtrir l'humanité pendant une longue période.

Il s'agit de manœuvres de toutes sortes, politiques, diplomatiques, économiques, militaires, voire de guerre pour l'hégémonie. Et aussi de combats pour l'appropriation de l'énergie indispensable au développement, et enfin, de lutte contre un nouvel instrument de coercition, le terrorisme qui contourne à la fois le nucléaire et les armements traditionnels pour imposer sa loi.

Ces hostilités se chevauchent, visent parfois les mêmes objectifs, impliquent les mêmes peuples, si elles différent par les moyens utilisés de part et d'autre. Toutefois, elles ont un trait commun alors que, jadis, les Etats européens étaient acteurs dans les grands conflits mondiaux, ils n'en sont plus que les victimes ou que les spectateurs.

 1° L'hégémonie et les réactions qu'elle provoque

Après la dislocation de l'Union soviétique et l'élimination de l'économie planifiée, les Etats-Unis sont devenus l'unique superpuissance et ils s'efforcent de le demeurer aussi longtemps que possible. Ils réalisent ce grand dessein par leurs efforts endogènes (scientifique, économique, militaire) et par la volonté d'intervenir à l'extérieur afin d'y étendre les doctrines politiques, sociales, économiques dont se réclame Washington: démocratie, libéralisme, conceptions sociales et culturelles, ou encore way of life.
Tout naturellement, la politique extérieure des Etats-Unis tire parti des atouts qu'ils détiennent : puissance scientifique, économique, financière, attraits de leur réussite socio-économique, domination d'un appareil militaire sans égal.

  • En Europe, ils font triompher les lois du marché, bien que le libéralisme intégral qu'ils professent leur joue le mauvais tour d'ouvrir le marché européen à la production sino-indienne. Démontrant l'état de dépendance de la " construction européenne " et la faiblesse de la Russie d'Eltsine tenue de " laisser faire ", ils sont intervenus militairement dans les Balkans, réglant à leur convenance à la fois la guerre, la paix, et l'après-guerre.

 

  • Au Proche-Orient, les Etats-Unis conduisent cahin-caha les tristes péripéties du conflit israélo-palestinien. Ils ont utilisé massivement la force des armes pour s'installer en Afghanistan et en Irak, encerclant l'Iran, qu'ils ont situé sur l'axe du mal, en occupant des positions avantageuses à proximité des principales sources d'énergie fossile.

 

  • Ces guerres ont fourni aux Etats-Unis de précieux emplacements stratégiques puisqu'ils leur permettent à la fois d'affaiblir la Russie (sur laquelle il leur importe de disposer de moyens de pression en raison des richesses qu'elle détient en Sibérie) et d'investir la Chine superpuissance potentielle, donc rivale redoutée.

 

  • L'OTAN place les Etats-Unis aux frontières des pays Baltes avec la Russie. Et aussi, au sud, avec la Roumanie et la Bulgarie demain membres de l'Union et, naturellement, de l'OTAN.

 

  • L'intervention alliée en Ukraine (celle de la Pologne et de l'Union) a détaché Kiev de la Russie, Washington cherchant manifestement à créer une chaîne d'Etats séparant la Russie de l'Europe des " riches ". Pour y parvenir il reste à faire basculer le maillon manquant et que constitue la Biélorussie, afin que, de la Baltique à la mer Noire Moscou soit évincé de ses provinces occidentales. Les deux mers devenant le domaine de l'OTAN alors qu'elles étaient celui de l'URSS. Lors de sa récente tournée en Europe, Mme Rice s'est rendue à Moscou mais également en Lituanie où elle a rencontré des membres de l'opposition de Biélorussie afin de les encourager à prendre leurs distances vis-à-vis de Moscou et de renverser le président Loukashenko qu'elle tient pour un dictateur soutenu par Moscou.

 

  • Afin de consacrer par des actes politiques communs le succès de cette stratégie de démantèlement de la Communauté des Etats Indépendants (CEI) qui avait succédé à l'Union soviétique, Washington a mis sur pied une organisation comportant des peuples qui furent sujets soviétiques et que les Etats-Unis ont intérêt à émanciper. Afin d'en faire un sigle lisible, le GUOAM crée en 1997, associe la Géorgie, l'Ukraine, l'Ouzbékistan, l'Azerbaïdjan et la Moldavie. L'association devrait être renforcée pas d'autres ex-provinces de l'URSS et orienter ses échanges bien davantage avec l'Union européenne et avec les " dragons " d'Asie qu'avec la Russie.

 

  • Les Talibans d'Afghanistan ont permis aux Etats-Unis de prendre position dans ce pays et d'y installer un gouvernement prêt à collaborer avec le vainqueur. Non seulement voici l'Iran encerclé, mais des bases aériennes ont reçu des formations de l'US Air Force en Ouzbékistan, au Tadjikistan et au Kirghizstan et des ONG s'y sont installées qui ont entrepris une campagne " pour la démocratie " afin de mettre en place des régimes favorables aux Etats-Unis.

 

  • D'où un formidable bouleversement stratégique. Durant la guerre froide le rideau de fer passait, grosso modo par le méridien de Berlin. Aujourd'hui, le rideau de l' " avance démocratique " frôle la frontière occidentale de la Chine. Le déplacement vers l'est est considérable puisqu'il compte plus de 4000 kilomètres. Et c'est l'ensemble de la masse asiatique qui est visée.

 

  • A cette stratégie d'encerclement s'ajoute une vaste campagne de dénigrement visant l'autoritarisme, le nationalisme du pouvoir russe et du pouvoir chinois, l'argument " démocratie " étant brandi.
    Ainsi tout se passe comme si à l'implosion de l'URSS devait succéder, dans un premier temps, la dislocation de la CEI suivie de la désagrégation de la Russie elle-même avec la mainmise sur une large fraction des richesses naturelles qu'elle détient sur son vaste territoire. Si cet objectif était, un jour, atteint les Etats-Unis seraient alors, avec l'Europe et l'Afrique à leurs côtés, en bonne position pour affronter les masses de la zone Asie-Pacifique, Chine et Inde en tête.
    Face à cette offensive, aux multiples facettes, les gouvernements qui s'en savent les objectifs, réagissent, d'ailleurs, plus ou moins efficacement en fonction des circonstances.

 

  • Au GUOAM Pékin et Moscou opposent l'Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS) que comprend non seulement la Chine et la Russie, mais l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan, ces derniers Etats également attirés par l'Occident.

 

  • Un autre organisme a été mis sur pied, à l'initiative de la diplomatie russe, cette fois en n'associant que les capitales de grandes puissances effectives, ou potentielles, puisqu'il s'agit du Brésil, de la Russie,de l'Inde et de la Chine, cette coalition étant désignée par le sigle BRIC. Ces quatre " Grands " rassemblent près de la moitié de la population mondiale. L'adhésion du Brésil est d'autant plus significative que le gouvernement de Brasilia offre à celui de Pékin son importante production agricole et ses réserves en minerais qui sont considérables, si en échange, la Chine et la Russie peuvent l'aider à développer son programme énergétique nucléaire et Moscou l'exploitation de ses gisements de pétrole et de gaz naturel. Et voici entamé par les puissances d'Asie un domaine que les Etats-Unis s'étaient réservé.
    L'Inde, à son tour, entend satisfaire une part de ses importants besoins en concluant des accords économiques avec l'Union douanière sud-américaine, tandis que le président du Venezuela se rendait à Pékin y inaugurer une statue du général Bolivar et y signer des contrats relatifs à la fourniture de pétrole.
    Ainsi, par un faisceau d'ententes inattendues, s'organise une résistance aux ambitieuses démarches de la politique des Etats-Unis et prend forme un autre monde.

 

 2° Combats pour l'appropriation de l'énergie indispensable au développement

Tous les peuples, à des degrés divers en fonction de leur développement spécifique, ont soif d'énergie. Or, cette quête générale d'énergie se heurte à de formelles contradictions :

  • La sauvegarde de l'environnement exige le recours à des énergies non polluantes. La plus importante d'entre elles est l'énergie nucléaire. Non seulement son utilisation a des limites mais, pour des raisons politiques et sociales, elle est mise à l'index.

 

  • Source d'énergie encore majeure dans certains pays, le charbon est à l'origine d'émissions de gaz à effets de serre. De surcroît, son acheminement sur les lieux de consommation est onéreux.

 

  • Le recours au pétrole et au gaz naturel ne devrait guère dépasser le prochain demi-siècle. (Les réserves sont l'objet de controverses, car elles sont parfois sous-évaluées, parfois sur-évaluées). Mais il est des faits sur lesquels l'on s'accorde généralement :

 

      • On découvre de moins en moins de gisements.
      • On investit moins dans la prospection, les profits étant de moins en moins certains.
      • La demande excède la production (actuellement de l'ordre de 85 millions de barils/jour), le développement de la Chine, de l'Inde et des autres grands pays émergents exigeant une consommation de plus de 125 millions de barils/jour d'ici à une vingtaine d'années. Si les Etats-Unis consommeront environ 25 millions barils/jour en 2005 il est vraisemblable, qu'à la même époque, la Chine en consommera au moins la moitié.
        Résultats de ces impasses énergétiques : une énergie fossile relativement chère et, surtout, une lutte acharnée pour s'assurer, jusqu'à l'épuisement des approvisionnements d'autant plus disputés que les ressources sont très inégalement réparties : quinze à vingt fois plus importantes au Moyen-Orient où les populations se comptent en millions, qu'en Extrême-Orient, où elles s'évaluent en milliards. Les Etats-Unis dépendront à 72 % de leurs importations de pétrole, la Chine dans la même proportion, et l'Europe d'un pourcentage légèrement inférieur en raison du ralentissement de son développement.
        Ce sont les Etats-Unis qui ont été les premiers, au lendemain de la dislocation de l'URSS et disposant d'une totale liberté d'action, à vouloir s'assurer, par tous les moyens, le surcroît de ravitaillement en énergies fossiles qui, avec une production nationale déclinant, pourraient satisfaire des besoins croissants. Et aussi de disputer aux puissances rivales l'énergie nécessaire à leur développement.
  • L'un des objectifs de la 1ère guerre du Golfe (1990) avait été d'attribuer à l'allié saoudien le quota de production de l'Irak, baathiste, progressiste et, à ce titre, mal vu de ses voisins musulmans d'autant qu'il avait servi les intérêts occidentaux en guerroyant contre l'Iran.

 

  • Les interventions des Etats-Unis dans les Balkans, à partir surtout de 1994, leur avaient permis de s'installer au Kosovo et en Macédoine sur la future voie d'acheminement du pétrole de la Caspienne jusqu'au littoral de l'Adriatique (corridor n° 8). Il a aussi été question d'un gazoduc alimentant le sud de la péninsule balkanique et qui emprunterait le cour du Danube (qui passe à Belgrade).

 

  • Les camps d'entraînement des Talibans en Afghanistan ont légitimé, après les attentats du 11 septembre 2001, le bombardement de ce pays (octobre 2001), l'occupation et l'installation d'une république islamique aux dirigeants mis en place par les vainqueurs. Mais, dans le même temps, les Etats-Unis étaient présents sur la route d'un éventuel ravitaillement du Pakistan en énergies fossiles de la Caspienne. (Projet Unocal). Au sud de l'Afghanistan, sur le territoire pakistanais devrait passer le gazoduc ravitaillant en gaz naturel l'Inde et aussi la Chine, toutes deux avides d'énergie et toutes les deux prêtes à coopérer avec l'Iran, déjà allié de la Russie.

 

  • L'ambiguïté du comportement de l'Arabie saoudite distendant les liens qui l'unissaient aux Etats-Unis (après les attentats du World Trate Center en 1993, jusqu'à celui du 11 septembre 2001 en passant par ceux de Dharan, d'Afrique orientale, du Yémen) a conduit Washington à souhaiter exploiter directement d'importants gisements pétroliers et l'Irak, affaibli par dix ans d'embargo et de continuels bombardements, était tout indiqué pour atteindre cet objectif. D'où la seconde guerre du Golfe, le libre accès à d'imposantes sources d'énergie fossile étant un des buts majeurs de l'opération.

 

  •  Mais l'intervention en Afghanistan avait permis, on l'a vu, l'installation de forces aériennes des Etats-Unis sur les territoires de deux Etats ayant des frontières communes avec la Chine, non loin des voies d'acheminement du pétrole et du gaz vers la côte du Pacifique (ce qui conduit à contourner par le nord le Kazakhstan pour atteindre la côte chinoise en passant par la Mongolie. Grâce à cet itinéraire les projets de ravitaillement du Japon et de la Chine se réaliseraient en terre russe par Omsk, Angarsk et Irkoutsk).
    Ce n'est pas sans difficultés qu'une décision a finalement été arrêtée, les entreprises russes, comme les destinataires, Chine et Japon, souhaitant des tracés différents. Le Kremlin l'a emporté en fixant son choix sur un oléoduc partant de la zone d'extraction de Taïchet, au nord-ouest d'Irkoutsk, contournant à distance le lac Baïkal et, en territoire russe, atteignant Khabarovsk et le littoral du Pacifique face à l'archipel japonais. Pour obtenir cette déviation Tokyo a financé la prospection et l'acheminement du pétrole russe jusqu'à concurrence de 5 milliards de dollars, mais Pékin entend obtenir un embranchement irriguant la zone de la capitale chinoise et, éventuellement, desservant aussi la Corée du sud. Ces projets ne doivent guère convenir à Washington mais les itinéraires arrêtés échappent à son contrôle et c'est là un atout entre les mains du Kremlin que de contribuer à satisfaire les besoins en énergie de la superpuissance potentielle qu'est la Chine.
    L'espace géographique européen est couvert par des réseaux d'oléoducs et de gazoducs répartissant pétrole et gaz naturel provenant, pour l'essentiel, de l'extérieur.

 En ce qui concerne le pétrole, les principales zones d'extraction situées en zone européenne se trouvent :

          • en mer du nord, à l'est des côtes britanniques et, plus au nord, à l'ouest du littoral norvégien
          • sur les territoires de l'ex URSS, à l'est de Moscou dans le triangle Samara, Orembourg, Perm
          • au sud de Minsk, en Biélorussie.
          • sur le littoral de la mer Caspienne.

 Les principales réserves de gaz naturel se trouvent en Russie :

          • sur les rivages de le mer de Kara, à l'extrême nord,(région de Tyumen - Yamalo - Nenetsk
          • au nord de l'Ukraine, entre Kiev et Kharkov
          • (pour mémoire, au Turkménistan et en Ouzbékistan)
          • au Sahara à Hassi R'mel d'où des gazoducs livrent le gaz sur le littoral (à Arzew, pour l'exportation).
            Les principaux réseaux de gazoducs et d'oléoducs traversant l'isthme européen convergent d'abord vers la Pologne méridionale, la Slovénie, la Tchéquie, le nord de l'Ukraine avant de diverger vers l'Allemagne, la France et les pays méditerranéens.

Sommaire, cette description des conditions d'alimentation de l'Europe en pétrole et en gaz naturel suscite les remarques suivantes :

  • Disposant de leurs propres ressources énergétiques, la Grande-Bretagne et la Norvège n'entendent pas les mettre à la disposition d'une autorité supranationale européenne.

 

  • Compréhensible est l'intérêt des Etats-Unis pour les Etats formant la " jeune Europe ". Non seulement ils isolent la Russie de l'Europe industrialisée, mais ils contrôlent physiquement l'énergie que consomme cette Europe.(Et ils perçoivent des " droits de passage " dont bénéficient leurs économies).

 

  • Au cours du prochain demi siècle le coût de cette énergie va pénaliser les pays qui sont dépendants de sources étrangères (France, Allemagne, Italie, Espagne, sans parler des nations en voie de développement dépourvues de gisements nationaux). En revanche, le pétrole et le gaz chers " arrangent " les producteurs, monarchies pétrolières et Russie. Les guerres conduites par les Etats-Unis ont contribué à ce renchérissement, avantageant Moscou, ce qui n'était pas l'objectif visé et imposant à la Chine une politique d'accords pétroliers que Washington redoute.

 

  • La quête d'énergie fossile décide de nouvelles combinaisons politico-commerciales :

 

    • La Chine conclut des accords avec le Canada (riche des sables bitumineux à la coûteuse exploitation). Et avec l'Iran, pour être ravitaillée en gaz naturel tandis qu'une entreprise chinoise construit un oléoduc évacuant vers la mer rouge le pétrole du sud du Soudan (d'où, sans doute, la condamnation du Soudan par la Maison-Blanche à propos des exactions commises au Darfour et les troubles fomentés au Venezuela pour tenter de chasser Hugo Chavez coupable de négocier avec Pékin.
    • L'Inde recherche les matières premières du Brésil et s'entend avec l'Iran et la Russie pour être ravitaillée en pétrole. A l'initiative de la Nouvelle-Dehli les ministres de l'énergie du Golfe, d'Indonésie, de Chine, d'Iran et de Russie ont été réunis en vue de créer une zone asiatique de coopération énergétique, qui s'opposerait aux producteurs du camp américano-britannique.
    • Pékin et Moscou procèdent, maintenant, à des manœuvres militaires communes.
    • Enfin, il n'est pas exclu que la compétition pour l'approvisionnement d'une denrée de moins en moins abondante, soit à l'origine de nouvelles tensions internationales qui s'ajouteront, dangereusement, à celles que provoquent les combats pour l'hégémonie.

 

3° Guerre au terrorisme

Lutter contre le terrorisme, répandre la démocratie sont deux démarches ralliant, à coup sûr, les opinions publiques, et même un certain nombre de gouvernements qui ont à y gagner. Il est davantage question de combattre les terroristes que de chercher à tarir les causes de leur comportement. Politiquement le combat est plus rémunérateur que les mesures nécessaires à en détruire les racines.

Superposé aux armements traditionnels déployés grâce à une puissante industrie lourde, le nucléaire militaire à verrouillé, vers le haut, les effets de la coercition par la violence. Le terroriste, l'homme devenant lui-même un projectile dévastateur, contourne aisément le blocage scientifico-industriel qui caractérise, désormais, le contemporain. Ainsi, se trouve neutralisé l'un des privilèges de l'industrialisation, les populations dites " émergentes " ayant, à leur tour, le privilège de disposer d'une arme d'autant plus redoutable qu'elle est invulnérable.
L'unique superpuissance a tardé à prendre en considération ce contournement des instruments de sa propre invulnérabilité. On l'a vu précédemment, les attentats se sont d'abord succédé, depuis celui du World Trade Center en 1993, sans provoquer de réaction. Et cela jusqu'à ce que le nombre de victimes et l'ampleur des destructions lors des explosions provoquées en Afrique orientale légitiment une première riposte.
En revanche, le 11 septembre 2001 a déclenché des hostilités dont nous ne voyons pas la fin, les stratégies d'hégémonie et d'appropriation des sources d'énergie entretenant le phénomène que, de toute manière, l'antagonisme israélo-palestinien tend à perpétrer.

Seule arme dont disposent les populations des pays non industrialisés, le terrorisme - et les périls qu'il implique - sont aussi utilisés par les Etats scientifiquement et militairement nantis afin de justifier leur agressivité. C'est ainsi que non seulement, Saddam Hussein était un dictateur, mais il possédait des armes de destruction massive et il entretenait des commandos terroristes en liaison avec El Qaeda, ces deux dernières accusations s'étant révélées sans fondement. Mais elles aidèrent à rallier l'opinion publique au recours à la force des armes contre l'Irak.

L'on se trouve devant un enchaînement de faits qui s'auto-entretiennent dans la mesure où la course à l'hégémonie et la quête d'énergies fossiles suscitent la réaction terroriste, réaction contre laquelle, à leur tour sont entretenues et accentuées les manifestations de ces deux stratégies.

Aussi ce monde se révèle-t-il durablement et dangereusement belliqueux. Les pays européens n'ont pas intérêt à placer leurs forces armées sous l'autorité d'un ministre des affaires étrangères et de la sécurité qui devrait pratiquer une " politique compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre ". (celui de l'organisation du traité de l'Atlantique nord) Article I-41, par 2 du projet de traité constitutionnel. C'est la faire dépendre des ambitions de Madame Rice qui veut attribuer à l'OTAN de nouvelles missions. Et aussi parce que la stratégie d'hégémonie, tout autant que celle de la captation des matières premières, se heurtent au gigantesque potentiel de puissance de la Chine et de l'Inde.

 

 4° L'heure des Etats milliardaires en vies humaines

Tandis que l'Europe, celle de l'ouest essentiellement, était le siège d'une révolution scientifique (16ème et 17ème siècle), puis d'une révolution industrielle (18ème et 19ème siècle) le reste du monde s'en tenait aux millénaires spéculations de l'esprit dont l'humanité s'était longtemps satisfaite.

La Seconde Guerre mondiale a secoué cette grande torpeur et sonné le réveil. L'Occident a étalé la puissance de ses techniques d'armement y compris celle de la fission de la matière. Depuis, cette partie du monde est en marche, ainsi que l'aurait dit Alfred Sauvy. A grandes enjambées il rejoint, et s'apprête à dépasser, les pays industrialisés. Avec un unique avantage, le nombre, les masses, à la technicité rapidement croissante.

Nous assistons à une inversion politico-économique : hier le quête de nouveaux marchés par les pays européens devenus surproducteurs se transformait en conquête politique et administrative par la colonisation. Ce fut le cas des comptoirs de l'Inde aboutissant à l'occupation et à la vice royauté la reine Victoria étant proclamée impératrice des Indes (1877). De même, France et Grande-Bretagne firent campagne en Chine afin qu'elle s'ouvre à leur commerce jusqu'à ce que l'éveil national des années 1910 se manifeste par la révolution et l'établissement d'un régime communiste. Aujourd'hui et surtout demain, l'inversion sera patente, les peuples milliardaires en vies humaines, à leur tour, saisis par la surproduction - et les bas prix - devraient investir économiquement le reste du monde, Occident compris, avant de lui imposer leur loi. Comme l'Occident lui imposa la sienne.

Chronologiquement, la Chine précéderait l'Inde dans cette forme de suprématie mondiale. Celle-ci est caractérisée par les traits suivants :

  • Une volonté générale de croissance par l'innovation, la production, l'équipement accéléré du vaste marché intérieur, l'exportation préparant le rayonnement politique futur.
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  • Un fort potentiel scientifique, la sélection s'exerçant sur près d'un milliard d'individus, héritiers d'une vieille et grande culture.
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  • Une politique volontariste de production servie par une main d'œuvre qui se compte en centaine de millions, actifs, industrieux avides de croissance économique. Ce potentiel de travail attaché à transformer les matières premières en énergie et en produit d'équipement et de consommation, exige des approvisionnements excédant de beaucoup les ressources locales. D'où cette rafle permanente de matières premières qui augmentent leur coût, favorise les pays fournisseurs en les associant à la montée en puissance de la Chine et défavorise les Etats anciennement industrialisés privés de matières premières ou tenus de s'accommoder de leur renchérissement comme des basses rémunérations salariales pratiquées par la Chine et l'Inde.
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  • Ces deux puissances ayant encore plusieurs centaines de millions de travailleurs de la terre vivant en dessous du seuil de pauvreté (en pouvoir d'achat) défini pour la région, disposent d'un régulateur de salaires pour leurs appareils industriels respectifs, l'afflux aux centres de production étant contrôlés en fonction de l'évolution du coût de la main d'œuvre.
  • Ces traits spécifiques placent les pays anciennement industrialisés devant une alternative : ou bien il s'en tiennent au libre échange intégral, et ils devront voir s'étioler leur production dans la mesure où ses coûts seront, comparativement, prohibitifs, ou bien ils protègent leur production par un retour à une politique semi protectionniste, ou tout au moins dite des " quotas ", avec l'effondrement d'une Organisation mondiale du commerce qui devait favoriser leurs entreprises et qui, aujourd'hui, les condamne au dépérissement. En imposant aux partenaires européens leur conception de l'Organisation mondiale du commerce les Etats-Unis n'avaient pas imaginé qu'à leur tour ils en seraient les victimes, les produits " bon marché " se substituant aux leurs, partout dans le monde, la " liberté des échanges " le permettant. En revanche, pénalisés par l'augmentation du coût des matières premières, les pays du Tiers-monde se rattrapent sur les équipements et les produits de consommation à bas prix fournis par la Chine.

    Mais que faire : aucun recours contre la production de masse, à bas prix, de peuples s'adjugeant le plus pacifiquement du monde la part du lion du marché mondial. Lorsque les puissances anciennement industrialisées leur disputent cette prééminence, c'est à la guerre qu'elles ont recours. Œuvre de paix contre manifestations guerrières, il n'est pas difficile de savoir qui l'emportera.

    En se tournant vers les techniques de la communication les puissances anciennement industrialisées avaient cru développer une nouvelle activité en remplacement partiel de leurs industries lourdes respectives que menaçait la concurrence exercée par des pays industriellement émergents.

    La Chine et l'Inde ont pris les devants et accaparé le marché correspondant. La puissante IBM américaine, comme Thomson français, ont dû s'incliner, Thomson devenant minoritaire dans une firme chinoise. L'affaire des textiles est significative des carences de l'OMC et des méfaits de la Commission de Bruxelles gouvernant l'Union au profit de la concurrence étrangère. Mais ce ne sont là que les prémisses de bien d'autres faillites.

    Après les techniques de la communication, l'électronique en général, la prédominance chinoise s'affirmera aussi dans l'industrie de la machine-outil, les constructions navales, le matériel ferroviaire, l'automobile, l'aéronautique, le nucléaire, l'espace, les anciens maîtres du monde scientifico-industriel se limitant peu à peu à la distribution et aux services avant de n'être plus que consommateurs. Renonçant à produire, les ex puissances industrielles, ne seront même plus en mesure de distribuer, les deux nouvelles superpuissances s'en chargeant et ne laissant à l'Occident que les services locaux, tourisme et restauration, avec le statut de dépendance correspondant. Comme les peuples qu'ils colonisèrent.

    L'Extrême-Orient, enrichi, viendra s'y reposer et s'y distraire.Visitant les ruines d'une civilisation éteinte, bien en peine, faute de ressources suffisantes, d'acquérir aux peuples producteurs les biens d'équipement et de consommation courante dont-elle avait, jadis, le monopole.

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