UN PRESIDENT POUR LE LIBAN

Septembre 2014

Pour qui connaît, le Liban n’est pas compliqué. Il est difficile. Difficile parce que les parades de violences des Libanais donnent souvent des sueurs froides, faisant penser le pays prêt à s’abandonner au chaos. Mais, depuis la fin de la guerre civile, il y a bientôt vingt cinq ans, une règle non écrite est appliquée par tous les décideurs politiques. En dépit de leur divergences, et Dieu sait qu’elles sont nombreuses, ils préservent d’un commun accord la légitimité de l’Etat et le fonctionnement des institutions politiques. C’est une manière libanaise du « vouloir vivre ensemble » quand les mêmes oppositions engendrent la guerre chez les voisins.

Samir Geagea et sa femme Sethrida le 26 juillet 2005
samir geagea et sa femme sethrida, le jour de sa libération-Dans ce contexte, aujourd’hui, deux grands courants s’opposent. D’une part celui dit du 14 mars (1), inspiré par l’action du défunt Rafic Hariri, qui regroupe principalement les sunnites dirigés Saad Hariri et les chrétiens de la ligne de Samir Geagea. D’autre part le mouvement du 8 mars (2) qui, lui, suit aveuglément l’Iran et, derrière le Hezbollah, a rallié Michel Aoun et la maigre foule de ses partisans.

Nasrallah, le chef du Hezbollah, et Aoun,
Nasrallh et Aoun concluent un pacte d'ententeLe conflit syrien a ajouté à la tension entre les deux courants, le Hezbollah ayant pris fait et cause pour le régime de Damas, jusqu’à s’impliquer militairement à ses côtés. Quand les sunnites, pour leur part, sont hostiles à la Syrie officielle et soutiennent les rebelles modérés opposés au même régime.

Les élections présidentielles libanaises sont, bien entendu, gouvernées par cette bipolarité. Certes, le Président de la République, conformément aux Accords de Taëf et reprenant le Pacte national (3), ne peut qu’être chrétien, plus précisément maronite (4). Néanmoins, comme on l’a vu, des chrétiens sont associés au Hezbollah. Le choix du futur Président apparaît donc déterminant puisqu’il orientera, pour une large mesure, la politique du Liban à l’égard de la Syrie. Ni le camp du 14 mars, ni celui du 8 mars ne peuvent rester indifférents à ce choix stratégique.

Quasiment candidats naturels des deux mouvances, en raison de leur leadership sur les chrétiens, Samir Geagea et Michel Aoun se font face. La décision doit-être prise par le Parlement, l’élection étant au suffrage indirect. Mais, ni Geagea, ni Aoun, ne peuvent prétendre obtenir une majorité suffisante de députés pour accéder à la magistrature suprême. De plus, d’autres candidats s’avancent ou laissent entendre qu’ils aimeraient tenter leur chance.

Résultat, tout le monde hésite et les députés ne parvenant pas à se décider, depuis fin mai ils multiplient les atermoiements. Il faut donc une forme de négociation avant le vote final. Tout le monde en est conscient. Or le temps presse. Le pays, menacé par les prolongements de la guerre civile syrienne, malgré tout divisé entre deux projets politiques opposés, a besoin d’un chef d’Etat ferme et décidé pour prendre le gouvernail.

Ferme mais ouvert au compromis. Ce qui ailleurs pourrait paraître contradictoire mais ne l’est pas au Liban. Car s’il s’agit de préserver la sécurité du pays, il faut aussi concilier des aspirations divergentes pour, comme dit plus haut : « préserver la légitimité de l’Etat et le fonctionnement des institutions politiques ».

Ceci pour dire qu’il faut pour Président du Liban une personnalité qui ne soit pas inscrite dans l’un des deux camps, celui du 14 mars ou celui du 8 mars. L’Arabie Saoudite comme la France l’ont bien compris. Attentifs aux événements du Liban et d’une certaine manière garants de sa sécurité dans le cadre de la région, ces deux pays ont transmis le message.

Geagea l’a admis. Faisant passer l’intérêt supérieur du pays devant ses ambitions légitimes, il s’est dit prêt à retirer sa candidature. Il ne met à cela qu’une condition : que le candidat qu’il soutiendra soit véritablement neutre. Voilà pourquoi il s’oppose à la candidature de Jean Obeid (5), un sous-marin du mouvement du 8 mars et de Damas.

Geagea en sort grandi aux yeux des sunnites et reste le seul chef chrétien jouissant d’une réelle popularité dans cette communauté. Quand on sait que quinze ans de guerre civile l’ont souvent opposé à elle, on mesure les progrès accomplis. Certes Geagea a fait le pas nécessaire, mais il faut le dire aussi, la majorité des sunnites du Liban, en avant-garde du monde arabe, a opté pour une vision ouverte de l’islam et de la société, faisant d’eux les meilleurs alliés contre le jihadisme et l’extrémisme. Ce que Geagea a intégré dans sa stratégie de défense des chrétiens d’Orient.


Alain Chevalérias

Notes

(1) Ainsi baptisé en raison de la manifestation du 14 mars 2005, faisant écho à l’assassinat de Rafic Hariri pour demander le départ des troupes syriennes du Liban.
(2) Il tire son nom de la manifestation organisée le 8 mars 2005, cherchant à dépasser celle du 14 mars alors en préparation. Elle était organisée pour « remercier » les troupes syriennes et rendre hommages à « leurs sacrifices sur le sol libanais ».
(3) Le Pacte national est un accord non écrit ayant valeur de loi fondamentale, qui a été adopté en 1943 par le Président et le Premier ministre d’alors.
(4) Les maronites, chrétiens de rite araméen rattachés à Rome, forment la majorité des chrétiens du Liban. Il existe néanmoins de nombreuses autres Eglises présentes au Liban, dont les plus importantes sont les orthodoxe, les Grecs-catholiques, eux aussi rattachés à Rome, et les Arméniens.
(5) Voir nos articles sur le sujet. Jean Obeid est-il un naïf ou un agent de Bachar al Assad? et S'il vous plaït Monsieur Jean Obeid, répondez!

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
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Lire aussi: Pourquoi le général Michel Aoun s'est-il allié au Hezbollah?

 

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