L’AMÈRE VICTOIRE LIBYENNE

octobre 2011

Depuis le 21 août 2011, les opposants au régime sont dans Tripoli et ont pris les centres névralgiques. Kadhafi a perdu. Nous ne serons pas de ceux, très rares, qui pleurent sa fin. En revanche, les moyens utilisés pour y parvenir nous laissent dubitatifs. Nous sommes en particulier choqués par le détournement des Résolutions des Nations Unies par les intervenants européens, Nicolas Sarkozy en tête.

La Résolution 1970 ordonnait de prendre des mesures pour interdire l’entrée de mercenaires en Libye. Rien n’a été fait dans ce sens du côté du CNT (Conseil national de transition). Au contraire. Quant à la 1973, votée sous la pression de notre gouvernement, elle autorisait les pays intervenants à prendre toutes les dispositions nécessaires afin de protéger les populations civiles tout en interdisant une intervention au sol. Nous avons violé cette Résolution au moins sur ces deux points. D’une part, en transformant notre armée de l’air en force supplétive de la rébellion, et non pas en nous contentant du rôle de protecteur des civils. D’autre part, en dépêchant des forces spéciales pour guider les combattants du CNT lors de l’attaque de Tripoli. La fin justifie-t-elle les moyens ? Non, car à ne pas respecter les principes essentiels on retombe dans la barbarie. Or la soumission aux règles édictées par les Nations Unies est l’un de ces principes que les pays à prétention civilisatrice devraient suivre sans barguigner pour ne pas passer pour des hypocrites.

Nous avons une autre raison de nous interroger. Le 12 juillet, nos députés votaient, presque comme un seul homme, la poursuite de l’intervention militaire française en Libye : sur 516 votants, 482 ont voté pour. Le destin de Kadhafi n’était pas encore scellé. Sa résistance pouvait laisser présager des combats interminables. Des négociations, pour obtenir un cessez-le-feu, conformément à la Résolution 1973, apparaissaient encore comme le meilleur moyen de sortir du bourbier et de limiter les souffrances liées à la guerre pour la population.

Certes, d’un autre côté, il convient, quand notre armée est au feu, de la soutenir. De ne pas l’abandonner en rase campagne ou de lui ordonner le repli à la première récrimination de l’opinion. Car les choses de la guerre fonctionnent selon des logiques peu compatibles avec les discours de salon.

Mais comment, moralement, soutenir une action décidée par Sarkozy, et frappée, comme nous l’avons vu plus haut, du vice du détournement des Résolutions des Nations Unies ?

A notre sens, il n’y avait qu’un seul moyen de résoudre le dilemme : s’abstenir. Car, répondant de cette manière à la question posée par le gouvernement, les députés, au moins ceux de l’opposition, auraient fait part de leur réserve tout en n’empêchant pas la poursuite de l’opération. Mieux, ils auraient pu demander un amendement, exigeant du gouvernement d’entreprendre des démarches diplomatiques en marge de l’action militaire.

L’approche diplomatique était induite, non écrite mais dite, par les féaux de Sarkozy, nous opposera-t-on. C’est vrai. Cela a même fait partie du subterfuge imaginé pour obtenir un vote aussi massif. Les émissaires de l’Élysée y ont beaucoup travaillé, faisant circuler le bruit de négociations en cours avec des envoyés de Kadhafi. Ce dernier, lui-même, s’est laissé prendre au piège et, pendant la première quinzaine d’août, avons-nous appris, a mis un bémol à ses activités de désinformation destinées à l’Occident. Il croyait les Français décidés à négocier.

À la guerre, le mensonge et la dissimulation font partie du jeu. Mais en politique, quand le chef de l’État et ses collaborateurs déguisent la vérité devant le Parlement, cela s’appelle de la félonie.

On comprend mieux la soudaine chute de Tripoli. Même la presse aux ordres faisait état de l’inconsistance de l’armée du CNT, réduite au sens de rassemblement d’hommes. Depuis des mois, elle piétinait devant les positions des Kadhafistes. La prise de la capitale est l’effet d’une opération conjointe par mer, avec débarquement de nuit, pénétration par voie terrestre et appui aérien assuré par l’OTAN. À cela s’ajoute, ce qui n’est plus qu’un secret de polichinelle, l’intervention des forces spéciales françaises et britanniques pour guider les rebelles.

Si Kadhafi s’était maintenu au pouvoir, dans quatre mois, conformément à la Constitution, le Parlement aurait dû à nouveau se prononcer sur le prolongement de notre intervention. Des députés pouvaient demander des comptes et interroger le gouvernement sur l’insuccès des négociations. Pour Sarkozy, il fallait une conclusion rapide : la chute du maître de Tripoli par les armes, puisqu’il ne voulait pas se contenter d’une victoire politique. Pour ce faire, il n’a pas craint de violer un peu plus la Résolution 1973 en envoyant des soldats au sol.

Voilà pourquoi cette victoire a un goût amer. Mais elle pourrait être plus amère encore si, comme il faut le craindre, la Libye sombre dans les luttes fratricides, alimentées par le tribalisme et la montée de l’islamisme. Or, sur ce dernier point, il faut savoir des hommes proches d’Al-Qaïda siégeant au CNT.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
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