TYRANNIE
CONTRE ANARCHIE

juin 2009

Il est des moments de la vie publique qui, portant à rire ou passant quasi inaperçus, annoncent pourtant des mutations importantes ou des troubles graves. Deux épisodes ont retenu notre attention : l’amende requise contre ce professeur de philosophie, pour « bruit et tapage injurieux diurnes », et l’entretien avec Julien Coupat, publié dans « Le Monde » du 26 mai 2009. Entre la tyrannie qui s’installe et l’anarchie qui cherche à s’imposer, c’est la guerre.

Il y a un an, en pleine gare Saint Charles, à Marseille, se dressant devant un contrôle policier, Patrick L. se mettait à hurler à plusieurs reprises « Sarkozy, je te vois », accompagnant ses cris d’une posture théâtrale.

Le 19 mai, pour asseoir son accusation de « bruit et tapage injurieux diurnes troublant la tranquillité d’autrui », le ministère public a dû remonter à une jurisprudence de 1875. Sa rigueur, peut-on imaginer, n’aurait pas atteint ces sommets si le nom du Président de la République n’avait pas été prononcé.

On voit là un événement grave à deux titres. D’une part parce que le ministère public flatte servilement la vanité du « prince ». D’autre part, doit-on le rappeler, en raison de la suppression programmée des juges d’instruction et de leur substitution par le même ministère public. Quand on voit à quelles bassesses ce dernier peut se laisser aller pour plaire à l’exécutif, on s’achemine, comprenons-nous, vers un peu moins d’indépendance de la Justice.

Le 20 mai, une autre affaire de Justice, si l’on peut dire, éclatait. Le magazine « Choc » était retiré des ventes sur décision du juge des référés. Sur sa couverture, il avait publié une photographie d’Ilan Halimi, prise par ses ravisseurs pendant sa séquestration en janvier 2006.

Motif invoqué, « l’atteinte exceptionnelle » aux sentiments de la famille et à la « dignité humaine » de la victime. Nous ne contestons pas le caractère odieux de l’agression perpétrée. Mais, comme l’a dit Me Claire Chaillou, avocate du magazine : « Cela pose la question de la légitimité de l’information... C’est une pente dangereuse ».

La Justice n’est pas seule concernée. Xavier Darcos, le ministre de l’Éducation nationale, parle de transformer les chefs d’établissements en officiers de police judiciaire assermentés. Il évoque même la possibilité de créer « une force mobile d’agents » dans ces mêmes établissements et d’y installer des détecteurs de métaux à l’entrée. Il est intéressant de constater, que les Français sont favorables à cette dernière mesure à 81%, d’après « Le Parisien ».

Il faut relire « La République » de Platon. Socrate y dit à son élève : « La liberté... Le désir insatiable de celle-ci et l’indifférence à l’égard de tout le reste, c’est cela qui fait changer ce régime et le prépare à la tyrannie ». Pourquoi ? Parce qu’explique Socrate à son élève, l’anarchie se développe dans la démocratie en raison de ce désir insatiable de liberté. Le désordre devient alors tel que les citoyens, ayant perdu leurs valeurs, acceptent de vivre sous la coupe d’un tyran pour que l’ordre revienne.

Mais à quoi voit-on que l’on est entré en anarchie ? Lisez encore Platon : « Le fils, dit Socrate, se croit l’égal de son père, il n’a plus honte de rien... Le métèque * s’estime l’égal du citoyen... Les élèves n’ont cure de leurs professeurs... Les anciens s’abaissant au niveau des jeunes, se gavent de bouffonneries et de plaisanteries, imitant ces derniers pour ne pas paraître désagréables et despotiques... » C’est l’inversement des valeurs, entrepris depuis 1968 et accentué sous Sarkozy.

Mais le tyran, pour être accepté par le peuple, a besoin d’un faire-valoir, d’un perturbateur en somme. Julien Coupat se prête bien à ce jeu.

Dans son interview au Monde, il dit : « Le prince n’a plus d’autre soutien que la peur qu’il inspire quand sa vue n’excite plus dans le peuple que la haine et le mépris... » Il désigne par le « prince », Sarkozy dans « toutes ses pompes ».

Plus haut, il disait : « L’antiterrorisme est une technique de gouvernement... c’est la méthode par quoi l’on produit, positivement, l’ennemi politique en tant que terroriste. Il s’agit, par tout un luxe de provocations, d’infiltrations, de surveillance, d’intimidation et de propagande, par toute une science de la manipulation médiatique, de l’«action psychologique », de la fabrication de preuves et de crimes, par la fusion aussi du policier et du judiciaire, d’anéantir la « menace subversive» en associant, au sein de la population, l’ennemi intérieur, l’ennemi politique, à l’affect de la terreur »

Coupat a-t-il compris l’anarchie nécessaire à la mise en place de la tyrannie ? On pourrait le croire payé pour servir « d’ennemi intérieur » à Sarkozy. En fait, nous le croyons s’inscrivant inconsciemment dans la complémentarité des rôles entre l’anarchiste et le tyran. A nous, spectateurs avertis de cette répétition de la Comédie humaine, de savoir nous garder des deux camps.

 

Note

* Sans connotation péjorative, étranger vivant dans une société de la Grèce antique.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

Retour Menu
Retour Page Accueil