GUERRE DE POSITIONS EN UKRAINE

mars 2014

Sur l’Ukraine, inutile de vous redire ce qui a été répété à longueur de colonnes dans vos journaux. Ils reprennent sans beaucoup de nuance la position des États-Unis et des gouvernements européens.

On ne peut guère plus prendre pour argent comptant les affirmations du camp russe et de son leader, Vladimir Poutine. Nous avons détecté trop d’éléments de propagande dans ces propos pour adhérer à leur discours.

Un point, à titre d’exemple : quand les Russes parlent d’un coup d’État en Ukraine, ils ont tort pour deux raisons : d’une part parce que, même s’ils ne représentent qu’une partie du pays, les manifestants de Maïdan sont des citoyens ukrainiens contestataires. Les héritiers russes de 1917 sont du reste mal placés pour confondre les mots révolution et coup d’État.

D’autre part en raison de la forme : conformément au pouvoir que lui donne la Constitution, le Parlement ukrainien a destitué le Président Ianoukovitch.

On peut ne pas être d’accord avec la décision des députés, mais on ne peut contester la légalité du processus. Mais alors à qui donner raison ? Sans doute les aspirations des uns et des autres sont elles légitimes.

Celles des Ukrainiens qu’ils souhaitent intégrer l’Union européenne ou au contraire rester sous le parapluie de Moscou.
Celles des Russes, quand ils désirent garder un lien avec l’Ukraine, berceau de leurs origines, et veulent défendre leurs intérêts stratégiques.
L’Union européenne a moins de motifs fondés pour étendre ses frontières si loin à l’est. Mais si un peuple réclame son association à Bruxelles, l’Europe a le droit d’accéder à sa demande, fût-elle sollicitée. Encore faut-il que ce soit la majorité du peuple concerné, ce qui supposerait un référendum, plus, pour éviter toute contestation, que cette majorité dépasse très largement la barre des 50%

Ces prémisses posées, nous avons choisi, outre la page historique sur la Crimée, d’évoquer des points passés sous silence dans la presse ou, pour les aspects concernant la présence maritime russe en Méditerranée, peu relatés dans nos médias.

Le cas Timochenko

Nous avons déjà parlé de Ioulia Timochenko et de ses actions, assimilables à des escroqueries, qui l’ont conduite en prison. Le 22 février, résultat de la victoire politique des manifestants de Maïdan et du soutien dont elle bénéficie de la part de l’Occident, elle a retrouvé la liberté. Elle pourrait cependant avoir à son actif plus qu’un problème d’argent mal acquis.

Franck Schumann a publié récemment une biographie de Timochenko sous le titre « La Princesse du gaz » (1). Certes, né en 1961 en RFA, Schumann professe des opinions de gauche qui en font quelqu’un de proche des Russes. Son enquête est néanmoins bien conduite et ses éléments de preuve tiennent la route.

Restituant la période où au pouvoir Timochenko s’enrichissait en magouillant dans le domaine du gaz, il interview un certain Kouzmine Renat Raveliiovitch, premier substitut du procureur général de l’Ukraine.

Kouzmine dit : « Ioulia Timochenko avait commencé à diriger la compagnie énergétique UESU, en 1995 . Tout le réseau gagnait des fortunes en achetant à bas prix du gaz à la Russie, et en le revendant trois fois plus cher aux Ukrainiens, grâce à des intermédiaires basés à Chypre et en Grande-Bretagne, sous forme de sociétés qui appartenaient majoritairement à Madame Timochenko. C’est ce que révéleront les investigations ». Ces informations sont vérifiables auprès d’autres sources.

Kouzmine poursuit : « Parmi les plus gros clients, on trouvait des entreprises de l’Est de l’Ukraine qui avaient refusé de payer les 83 dollars demandés au lieu des 25 dollars le mètre cube, pratiqués habituellement. Ces hommes, de Donetsk (2), firent alliance contre Timochenko et Lazarenko (3). Les chefs d’entreprises, Momot, Scwedchenko et Chtcherban, chef du groupe parlementaire le plus puissant, organisèrent la résistance ».

Schumann reprend alors la parole : « Momot, Scwedchenko et Chtcherban furent assassinés ; la lutte de concurrence et de pouvoir fut ainsi réglée. Les chefs d’entreprises d’Ukraine de l’Est, effrayés, payèrent à partir de là les prix réclamés par l’UESU jusqu’à ce que Lazarenko soit relevé de ses fonctions... »

Le journaliste demande alors à Kouzmine s’il dispose d’autre chose que de suspicions contre Timochenko. Celui-ci répond : « Il y a des preuves de virements à partir de comptes qu’elle contrôlait, et nous disposons, en outre, de témoignages qui la désignent comme instigatrice des meurtres qu’elle a également financés ».

Voilà sans doute ce qui explique le refus de Timochenko de participer au nouveau gouvernement de l’Ukraine. Elle a plutôt intérêt de se faire oublier, voire de disparaître vers un pays accueillant, pour elle et sa fortune, plutôt que s’exposer aux affaires. À moins, comme elle l’a fait par le passé, qu’elle n’effectue un rapprochement avec Moscou (4) en échange du classement de son dossier.

L’affaire des « snipers »

« Snipers », cela fait plus exotique, il faudrait dire tireurs isolés. Cette parenthèse ne retire rien à la gravité de l’information si elle était confirmée. Elle a en tout cas été considérée comme assez crédible et importante pour être rapportée par le « Guardian », quotidien britannique d’une grande rigueur, le 5 de ce mois.

Un échange téléphonique a eu lieu entre Urmas Paet, le ministre estonien des Affaires étrangères, et Catherine Ashton, qui dirige la politique étrangère de l’Union européenne. Cette communication se promène aujourd’hui sur Internet.

Paet affirme au cours de son échange que les tireurs embusqués sur les toits de la place Maïdan (5) ont tué des gens des deux camps au cours du dernier mois. Pour lui, c’étaient des provocateurs issus du mouvement de contestation. Cela voudrait dire ces tireurs ayant cherché à exacerber les passions pour faire tomber le pouvoir.

L’information mérite d’être retenue, mais avec prudence. En effet, que la la conversation se soit retrouvée sur Internet invite à penser qu’il peut y avoir manipulation. D’autre part, si pour certains commentateurs Ashton a abondé dans le sens de Paet, en réalité, elle a eu une réponse polie, sans mettre en doute la parole du ministre estonien, mais sans approuver non plus ses propos.

Intervention israélienne

Un ancien officier de l’armée israélienne, à la tête d’une vingtaine de militants « ultra-violents », se serait fait remarquer sur la place Maïdan aux côtés des « révolutionnaires » d’après plusieurs journaux ukrainiens repris par le monde des commentateurs professionnels et semi-professionnels allant jusqu’à parler d’un détachement envoyé par Israël pour soutenir le soulèvement.

Nul ne saurait nous accuser de faiblesse à l’endroit des Israéliens, néanmoins, il faut savoir, en 1939, l’Ukraine comptait un million et demi de juifs, formant 5% de la population totale. La ville d’Odessa était surnommée la seconde Jérusalem en raison de leur forte présence. Qu’un émigrant juif installé en Israël soit venu se joindre au soulèvement n’a rien d’extraordinaire. Quant à y voir une opération israélienne il y a de la marge. Nous trouvons beaucoup plus significatif et important le rôle de Soros (6). Mais au service d’une stratégie mondialiste.

Face à ces rumeurs, voire ces tentatives de manipulations, il convient d’être extrêmement prudent.

Continuité politique russe

On le sait, Sébastopol est le centre de la Flotte russe de la mer Noire depuis 1783. Inscrit dans le territoire de la Crimée et donc de l’Ukraine, Moscou bénéficiait sur lui d’un bail jusqu’en 2042. Le 6 mars, la décision du Parlement de la péninsule de proposer en référendum son rattachement à la Russie pourrait régler le problème en faveur de Moscou. Avec l’activisme russe en Syrie aux côtés de Bachar Al-Assad, entre autres pour s’assurer l’usage du port de Tartous, on comprend Vladimir Poutine décidé à renforcer la présence navale, par conséquent politique, de son pays dans la Méditerranée.

D’autres indices. Commentant la construction de six sous-marins non nucléaires, l’amiral Viktor Tchirkov, patron de la marine russe, a dit le 20 février que ces submersibles renforceraient « le potentiel et la capacité de l’unité opérationnelle permanente de la marine russe en Méditerranée ». Le 27 février, le porte-avion russe Amiral Kouznetsov faisait une escale de ravitaillement à Limasol (Chypre).

Associé au renversement d’alliance de l’Égypte en faveur de la Russie qui se prépare, c’est bien d’un retour en force de Moscou en Méditerranée qu’il faut parler. Le conflit ukrainien se décrypte aussi de cette manière. Il apparaît comme la ligne de front entre deux impérialismes : celui de la Russie et celui de l’Union européenne au service de l’OTAN.

Notes

(1) Aux Éditions du Moment.
(2) Principale ville à l’est de l’Ukraine.
(3) Pavlo Lazarenko était alors Premier ministre. Pour les faits évoqués plus hauts, il a été jugé et condamné aux États-Unis, où il avait eu la mauvaise idée de se réfugier. Voir «
L’Ukraine, les bas calculs de l’Union européenne »
(4) Démentie depuis, une rumeur la disait devant se rendre à Moscou pour rencontrer le maître du Kremlin.
(5) En fait, il s’agit de la place de l’Indépendance ou « maïdan Nezalezhnosti ». En persan, en arabe, mais aussi en turc, maïdan signifie place. On comprend à cela que l’Ukraine n’a pas toujours échappé à l’influence de l’Empire ottoman.
(6) Lire «
Ukraine, notre analyse se confirme»

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

 
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