MANIPULATION AMÉRICAINE AU DARFOUR?

janvier 2007

Le 4 décembre 2006, l'Américain George Clooney, vedette de l'écran, se rendait au Caire pour défendre les populations du Darfour auprès du gouvernement égyptien. En septembre, Elie Wiesel, mieux connu pour ses prises de position militantes sur le génocide juif, lançait un appel passionné pour ces Soudanais du bout du monde.

Quant au gouvernement des États-Unis, depuis deux ans, il n'a de cesse d'inviter le reste du monde, via les Nations unies, à dépêcher une force militaire au Darfour. Pourquoi cet intérêt des Américains pour ce coin perdu de la planète ? (1)

Le 14 septembre 2006, George Clooney et Elie Wiesel parlent du drame du Darfour aux Nations unies à l'invite de John Bolton

Depuis quelques temps, la rumeur se répandait dans les milieux financiers de la présence de réserves d'or, de fer, d'argent et de pétrole non répertoriées dans le Darfour. Le 21 octobre 2003, une société suisse, Cliveden Petroleum, signait un contrat d'exploration pétrolier dans cette région.

Mais en février 2004, pour répondre à l'émergence d'un mouvement de guérilla au Darfour, le gouvernement soudanais dépêchait des milices sur place. On allait parler d'un génocide, avec plus de 200 000 morts, et de 2,4 millions de réfugiés.

Ces deux événements pourraient n'avoir en commun que la proximité dans le temps. Des aspects troublants apparaissent néanmoins à l'analyse.

Cliveden Petroleum est certes déclaré en Suisse, mais appartient en réalité à cette époque à un certain Friedhelm Eronat. Celui-ci, né en 1954 en Bavière, a poursuivi ses études aux États-Unis, en Louisiane, et obtenu la nationalité américaine. Il s'est enrichi sur les marchés pétroliers, bâtissant une fortune de plus de 100 millions de dollars.

Les Janjaweed (Djandjaweed)

Malgré sa discrétion, son nom émerge dans la presse en 1997, quand un homme d'affaires jordanien le poursuit en Justice à Londres. Il accuse Eronat et deux autres personnes travaillant alors avec lui chez le pétrolier Mobil, d'avoir corrompu le président du Kazakhstan, Noursultan Nazarbayev, pour obtenir un accès au champ pétrolier situé dans son pays à Tengiz.

Premier problème, la corruption d'un responsable politique, fût-il étranger, est punie par la loi américaine. Deuxième problème, l'un des trois accusés, James H. Giffen, fait profession d'intermédiaire entre les autorités américaines et les pays étrangers. En clair, il participe à des opérations confidentielles en relation avec les services de renseignement.

Au Soudan, la difficulté est autre : il est interdit aux citoyens américains de conclure un contrat avec le gouvernement de Khartoum. On voit à ce propos une chose étrange se produire. En 2003, juste avant de signer le contrat d'exploration pétrolier du Darfour, Eronat abandonne sa citoyenneté américaine et devient sujet britannique.

Un membre conservateur du Parlement britannique, John Bercow, s'est étonné de la facilité avec laquelle Eronat a pu ainsi changer de nationalité. " Quelles discussions ont eu lieu entre les administrations britannique et américaine à propos de ses activités dans le business du pétrole ? " s'est-il interrogé devant un enquêteur de " Sudan Watch (2). "

Le 19 avril 2005, la télévision arabe Al-Jazeera annonçait : " Le ministre de l'Energie et des Mines, Awad Ahmed Al-Jazz, a dit que le nouveau champ de pétrole découvert au Darfour devrait produire 500000 barils par jour de pétrole. "

On comprend l'importance du gisement du Darfour pour le Soudan. Aujourd'hui, grâce au pétrole recueilli dans le sud du pays, Khartoum a triplé son produit intérieur brut en l'espace de huit ans. Or, les puits du Sud ne produisent que 300 000 barils jour d'or noir.

Mais l'affaire ne s'arrête pas là. Le 29 avril 2005, le " Los Angeles Times " rapportait le voyage aux États-Unis de Salah Abdallah Gosh. Un avion de la CIA était venu le chercher au Soudan. Or cet homme n'est pas n'importe qui. Chef des services de renseignements soudanais, il fait partie des 51 responsables de son pays suspectés de crimes contre l'humanité par la Cour pénale internationale.

Pourtant, les Anglo-Saxons se prétendent en position de faiblesse sur le marché pétrolier soudanais. Par exemple, on entendait le 27 octobre dernier sur la BBC : " Les États-Unis sont très inquiets à propos du monopole des Français, des Chinois et autres Asiatiques sur le pétrole soudanais... ",

Étonnant ? Pas tant que ça. Certes, la BBC faisait allusion à la présence des Français et des Chinois dans le Sud. Néanmoins, Eronat semble bien avoir joué le rôle de Cheval de Troie pour Pékin.

En effet, le 18 décembre 2003, dans sa luxueuse demeure du quartier chic de Chelsea, à Londres, Eronat donnait un banquet en présence d'officiels de Pékin et du puissant Wang Jun, président de Citic, une compagnie d'État chinoise, qui pèse 60 milliards de dollars sur le marché. Les agapes célébraient l'achat par Citic et la société pétrolière chinoise CNPC de 50% des parts de Cliveden, l'entreprise d'Eronat.

Cette association allait porter ses fruits. D'abord, elle permettait aux Chinois de prendre pied sur les champs de pétrole du Darfour. Ensuite, fort de ses intérêts au Tchad, Eronat a introduit Pékin dans ce pays, au détriment de Taiwan et des concurrents canadiens.

Eronat pour arrondir sa fortune a-t-il utilisé les Américains pour les trahir ensuite à l'avantage des Chinois ? Dans ce cas, la rencontre entre Gosh, le patron des renseignements soudanais, et les responsables de la CIA, comme dit plus haut, n'aurait été qu'une manoeuvre de Washington pour tenter de reprendre le contrôle du jeu.

Possible. Ceci expliquerait en tout cas l'insistance des autorités américaines et de leurs relais dans l'opinion à provoquer une offensive militaire pour couper le Darfour du reste du Soudan. Nous assisterions alors à une réédition du scénario du Kosovo, quand l'OTAN en prenait le contrôle. Au Darfour, comme ils l'ont fait pour d'autres en Irak, après l'offensive, les Américains n'auraient plus qu'à annuler les contrats, chasser les Chinois et s'approprier les richesses minières du pays.

A moins que les pétroliers américains ne jouent une partie plus subtile encore. Peut-être même contre les intérêts stratégiques des Etats-Unis. Une affaire à suivre.

Notes

(1) voir " Tchad-Soudan, à la croisée des désirs. "
(2) " Sudan Watch " est une organisation britannique à vocation humanitaire faisant un travail d'information sur la situation au Soudan.
Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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