LA VARIABLE
DU KURDISTAN

UNE HISTOIRE D'ALLIANCES CONTRE NATURE

novembre 2017

Le 25 septembre dernier, répondant à l’appel du GRK (Gouvernement régional du Kurdistan d’Irak), dirigé par Massoud Barzani, se tenait un référendum dans les territoires réputés kurdes du nord irakien. Le oui l’emportait pour l’indépendance
à une majorité écrasante. Mais, dans la nuit du 16 au 17 septembre, la situation basculait. Les forces irakiennes loyales à Bagdad entraient dans Kirkouk et occupaient les sites étatiques. Les forces kurdes se repliaient sans combattre, suivies par une grosse partie de la population. C’est la moitié de leurs revenus du pétrole qui échappaient aux Kurdes. Du même coup, les dissensions éclataient au grand jour entre les deux principales factions du Kurdistan irakien : d’une part, implanté à l’ouest de la province, le PDK, dirigé par Barzani, d’autre part l’UPK, à l’est, aux mains de Jalal Talabani, jusqu’à sa mort le 3 octobre dernier. On peut se demander la raison de l’effondrement du rêve kurde quand, quelques semaines plus tôt, les grandes puissances, au premier chef les Occidentaux, soutenaient encore avec une quasi ferveur les « courageux peshmergas » qui combattaient Deach. Les Kurdes seraient-ils frappés d’une malédiction ?

Les Kurdes sont une ethnie vivant dans l’insularité de leurs montagnes situées au carrefour du nord de l’Irak, du nord-ouest de l’Iran, de l’est de la Turquie et de l’est de la Syrie. De langue indo-européenne, d’une variation de ce groupe d’idiomes très proche du perse, ils se disent descendant des Mèdes, un ancien empire soumis par les Achéménides (1) au VIe siècle av. J.-C..

Depuis, les Kurdes n’ont fait que s’illustrer en marge des puissances tenant la Mésopotamie et le Moyen-Orient. Mercenaires des Arabes, jusqu’à leur donner un chef prestigieux, Saladin, puis des Ottomans et des Turcs, qu’ils aidèrent à exterminer les Arméniens et autres chrétiens en 1915, ils n’ont jamais formé d’État.

Cependant, rétifs à la soumission, attachés à leurs coutumes et à leur langue, ils ont su résister à l’assimilation qu’elle vînt de leurs cousins perses, devenus Iraniens, des Turcs, qui ont l’audace de les prendre pour une de leurs tribus, ou des Arabes, toujours prompts à imposer leur langue au nom de l’islam.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, ils crurent un moment pouvoir créer leur propre État dans les ruines de l’Empire ottoman. C’était oublier la coalition d’intérêts contraires :
tous les pays sur lesquels s’étend leur territoire, mais aussi la Grande-Bretagne qui, déjà, lorgnait sur le pétrole de Mossoul, au coeur du Kurdistan, et s’attribua pour cette raison le nord de l’Irak actuel.

Cependant, le traité de Sèvres, signé le 10 août 1920, dans l’esprit de l’accord Sykes-Picot (2), n’a laissé à la Turquie que 420 000 km2, quand aujourd’hui son territoire s’étend sur 783 500 km2. Cette première ébauche des frontières prévoit en effet la création d’un État arménien et celle d’un micro Kurdistan indépendant. En toute insolence, mais non sans fierté, pour un pays vaincu, Mustafa Kemal Atatürk lance une guerre pour annexer ces deux territoires à la nouvelle Turquie.

Elle va durer trois ans, bousculer les troupes françaises et forcer les alliés à signer un nouveau traité, celui de Lausanne, le 24 juillet 1923. Si une République d’Arménie naît sous la férule soviétique, il n’y aura pas d’État kurde.

EN IRAN : LA RÉPUBLIQUE DE MAHABAD

Dans chacun des pays où ils vivent, les Kurdes s’organisent, créant des partis politiques et se cherchant des alliés au-delà des frontières. C’est une stratégie d’opportunités. Ainsi, pendant la Seconde Guerre mondiale, on voit les Kurdes d’Iran fonder la République de Mahabad avec le soutien des Soviétiques qui comptent bien transformer le pays en glacis protecteur de leur Empire. Mais, à peine la guerre finie, Moscou signe un accord pétrolier avec Téhéran et abandonne Mahabad dont les Iraniens reprennent le contrôle.

L’épopée du clan Barzani s’insère dans cette aventure. Né en 1903 dans le nord de l’Irak, Mustafa Barzani se rebelle d’abord contre les Britanniques alors maîtres du pays. Capturé, il est gardé prisonnier. Mais en 1943, il parvient à s’échapper et à rejoindre l’Iran où il deviendra ministre de la Défense de la République de Mahabad. Après l’effondrement de celle-ci, en 1946, il obtient l’asile en Union soviétique pour lui et un millier de ses hommes.

LE KURDISTAN IRAKIEN

Quand un régime socialiste s’instaurant en Irak, avec le coup d’État d’Abdul Karim Qasim en 1958, Barzani rentre au pays et réorganise son parti, le PDK. Mais rien ne va comme il veut. Les pouvoirs successifs siégeant à Bagdad refusent l’autonomie aux Kurdes. Des affrontements armés prennent place. Le Kurdistan échappe cependant au contrôle du gouvernement irakien. En 1974, une guerre éclate sous Saddam Hussein. Barzani obtient des soutiens de tous horizons : des États-Unis, d’Israël et de l’Iran, tous ligués contre l’Irak. Mais il est défait quand l’Iran s’entend sur son dos avec Saddam aux accords d’Alger, en 1975, et que les autres pays le lâchent. Après un court exil à Téhéran, il ira mourir en 1979 aux États-Unis, conscient de n’avoir été qu’un jouet aux mains des puissances.

Son fils, Massoud Barzani, lui succède à la tête du PDK. Il a cependant un concurrent, Jalal Talabani, qui a fait sécession au lendemain de la défaite pour créer son propre mouvement, l’UPK. Le PDK et l’UPK vont aller jusqu’à se combattre, le PDK se rapprochant de l’Occident, et surtout d’Israël, et l’UPK de l’Iran. La chute de Saddam, en 2003, permet néanmoins l’émergence d’une véritable autonomie du Kurdistan irakien sous Talabani et Barzani forcés à cohabiter.

LES KURDES EN IRAN

Depuis l’effondrement de la République de Mahabad, l’arrestation et l’exécution de son Président, Qazi Muhammad, le parti indépendantiste kurde, le PDKI, n’est jamais parvenu à réémerger. D’une part parce que le conflit culturel apparaît moins fort avec les Perses qu’avec les Arabes, d’autre part en raison de l’efficacité des services de renseignements, que ce soit sous le chah ou sous les ayatollahs.

Ces services infiltrent et corrompent le PDKI à tous les niveaux. Celui-ci en est souvent réduit à servir de passeur aux gens qui s’exfiltrent d’Iran par la Turquie, illégalement mais avec l’accord de Téhéran. Le PDKI joue le rôle de gardien occulte de la frontière (3).

LES KURDES DE TURQUIE ET DE SYRIE

Au Kurdistan turc, l’Union soviétique a eu plus de chance avec son pion kurde, le PKK. Créé en 1978, ouvertement sous la bannière marxiste-léniniste, il lance une guérilla sanglante contre la Turquie sous les ordres d’Abdullah Öcalan, un ancien agitateur politique. La réponse des autorités turques est elle-même d’une dureté effroyable, l’armée allant jusqu’à massacrer les populations qui refusent de s’engager dans ses milices anti-guérilla.

Le Président turc, Turgut Özal, entame des négociations et obtient un premier cessez-le-feu en mars 1993. Mais sa mort et l’exécution par le PKK de 30 soldats turcs désarmés y mettent un terme. Öcalan, pour, sa part, avait établi ses quartiers à Damas où il bénéficiait de la protection du régime syrien. On voit là encore comment les pays de la région, eux-mêmes exposés à l’irrédentisme kurde, instrumentalisent les Kurdes de leurs voisins pour affaiblir ces derniers.

En 1998, cependant, pressés par les autorités turques qui menacent d’une guerre, ses hôtes syriens poussent Öcalan vers la sortie. Il se voit refoulé de Grèce et d’Italie. Paria, en février 1999, il finit capturé au Kenya par des agents turcs aidés entre autres par les services israéliens.

Une accalmie relative prévaut quelques années au Kurdistan turc. Mais, le 15 décembre 2015, Ankara déclenche une vaste offensive, pour éliminer le PKK et les autres organisations pro-Kurdes. Nous supposons dans cette affaire une volonté du Président Recep Tayyip Erdogan de focaliser l’opinion turque sur un conflit, jouant sur le nationalisme virulent de son peuple pour renforcer son pouvoir.

En 2003, un nouveau parti kurde apparaît en Syrie, le PYD. Émanation du PKK, déclarant lui aussi sa flamme marxiste, il est dirigé par Salih Muslim. D’abord peu actif, il commence à se faire connaître créant les YPG, ses unités de combat, en 2011, au déclenchement de la Révolution syrienne.

L’ALIBI DE DAECH

Tout change avec l’émergence de Daech en Syrie, après l’Irak, en 2013, et la proclamation du califat en 2014. Profitant du départ des forces syriennes de la région kurde, les YPG se focalisent contre les groupes islamistes puis plus particulièrement contre Daech. Les forces alliées, principalement les Américains, saisissent cette chance : les YPG jouent pour eux le rôle d’infanterie et deviennent le fer de lance de la contre-offensive contre Daech qui tient l’est de la Syrie.

On assiste à un processus identique dans le nord de l’Irak où les Kurdes sont utilisés pour prendre Daech en tenailles avec l’armée irakienne. Résultat, dans ce pays, l’organisation islamiste perd ses dernières positions le 11 octobre 2017. En Syrie, Raqqah, la capitale de Daech, tombe aux mains des YPG, renforcés par des Arabes, le 17.

Les Kurdes, singulièrement le clan Barzani en Irak, se sont sentis forts de la dette contractée par le reste du monde à leur égard. Mieux, ils se savent soutenus par Israël qui convoite leur pétrole. Depuis l’attaque anglo-saxonne de mars 2003, et le renversement de Saddam Hussein, le Mossad a renforcé ses liens avec les Barzani, allant jusqu’à assurer la formation de leurs troupes d’élite (4). Quant aux réseaux d’influence inféodés à Israël, ils font une active propagande en faveur de l’indépendance des Kurdes d’Irak.

Mais, une fois de plus, la logique des États l’a emporté. Il existe entre eux une solidarité instinctive contre les mouvements sécessionnistes. Dans ce contexte, une fois de plus, les Kurdes ont été utilisés comme une variable de la politique des puissances. Ils ont beau changé de parrains et d’idéologie, aux yeux des autres, ils restent des mercenaires.

Notes

(1) Nom de la dynastie fondatrice du premier Empire perse, né au VIe siècle av. J.-C. et vaincu par Alexandre le Grand deux siècles plus tard.
(2) Lire «
Les étranges paradoxes de Sykes-Picot »
(3) Jalal Talabani est décédé le 3 octobre 2017.
(3) Ceci repose sur les observations d’Alain Chevalérias.
(4) Lire «
Visées israéliennes sur le Kurdistan »

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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