INTERVIEW
DU GÉNÉRAL CR MIRZA ASLAM BAIG
ANCIEN COMMANDANT EN CHEF
DE L'ARMÉE PAKISTANAISE

Réalisé à Rawalpindi le 27 mai 2007

Général Aslam Baig

 

Alain Chevalérias : Vous êtes le général CR Mirza Aslam Baig, pouvez-vous vous présenter ?

Général Aslam Baig : J'ai commandé l'armée pakistanaise de 1988 à 1991. Le 17 août 1988, le général Zia, les officiers du haut commandement de l'armée, l'ambassadeur américain et le secrétaire à la défense sont morts dans une catastrophe aérienne (1). En tant qu'officier le plus ancien dans le grade le plus élevé, j'aurais pu prendre en charge la présidence de la République du Pakistan comme administrateur en chef de la loi martiale. Je n'ai pas voulu.

A.C. : Pourquoi ?

A.B. : J'ai décidé d'appliquer la Constitution. Le président du Sénat, M. Ghulam Ishaq Khan a été appelé à prendre la relève et à préparer les élections qui ont eu lieu dans les 90 jours. Le pouvoir est revenu au parti de la majorité, le PPP de Benazir Bhutto (2) et cette dernière est devenue Premier ministre d'un Etat islamique à 36 ans. J'ai continué à servir pendant trois ans, jusqu'à la fin de mon mandat, en août 1991. Je n'ai pas demandé de prolongation et je suis parti à la retraite. J'ai alors fondé un " think tank " dans un petit local mais je suis fier de cette organisation la seule du genre, au Pakistan, à avoir préservé son indépendance et son autonomie. J'ai payé le prix fort de cette liberté et, jusqu'à aujourd'hui, mes articles sont interdits dans les principaux quotidiens du pays.

A.C. : Qui a donné cet ordre ?

A.B. : Le gouvernement pakistanais bien sûr. Mais je jouis d'une certaine réputation à l'extérieur et à l'intérieur du pays. De plus, j'ai créé un parti politique en 1996, actif jusqu'à la prise de pouvoir du général Pervez Moucharraf. J'ai alors adopté un profil bas, pour éviter de m'engager sur un terrain où les règles du jeu ne sont pas définies. " Il ne faut pas gaspiller son pain ", dit-on (3). Aujourd'hui je réactive mon parti parce que si demain des élections honnêtes doivent prendre place, alors j'y participerai.

A.C. : Quel est le nom de votre parti ?

A.B. : " Awami Qaiyadat Party ", ce qui veut dire parti des leaders des classes populaires. Il n'y a pas de place pour les élites dans mon parti.

A.C. : Beaucoup d'officiers de l'armée et de l'ISI partagent-ils l'opinion du général Hamid Gul (4)?

A.B. : Je dirai oui, parce qu'il a servi longtemps dans l'armée et a été le directeur général de l'ISI, a été le directeur général des renseignements militaires et a commandé une division. Il jouit en outre d'une très grande estime auprès des Pakistanais, des forces armées du Pakistan, et même des unités en poste à la frontière avec l'Afghanistan. Il est considéré comme un ami du peuple afghan, en raison de son action en faveur de la résistance du temps de l'occupation soviétique. Laissez-moi un peu m'étendre sur ce sujet pour mieux répondre à votre question, car je crois que c'est quelque chose qui est mal compris. Ce phénomène de résistance que nous observons aujourd'hui en Irak, en Afghanistan, en Palestine, au Cachemire et ailleurs, comment cela a-t-il débuté ?
Je reviens à l'année 1957, quand les Américains sont arrivés au Pakistan pour la première fois. Ayoub Khan (5) a signé un pacte de défense avec eux. Ils nous ont fourni une assistance militaire et une aide économique. Un soutien qui semblait modeste mais jouait en réalité un rôle important. Ils ont alors installé un centre d'entraînement près de Peshawar, avec des centaines d'hommes de la CIA et des Marines.

A.C. : En 1957 ?

A.B. : Oui en 1957, dans un lieu appelé Cherat (6) à quelques kilomètres de Peshawar. Des officiers et des hommes choisis parmi les forces armées du Pakistan s'y retrouvaient pour suivre un entraînement sous la responsabilité d'une soixantaine d'experts américains.

A.C. : Mais pourquoi à Peshawar ?

A.B. : Parce que nous faisions partie d'un pacte contre la menace communiste. Nos hommes étaient entraînés en tant que partie d'une structure clandestine chargée d'organiser le soulèvement contre les forces soviétiques en cas d'invasion. J'en faisais partie et ai servi en son sein de 1957 à 1962.

A.C. : Quel était alors votre grade ?

A.B. : J'y suis entré comme capitaine et j'ai quitté avec le grade de commandant.

A.C. : Dans quel corps serviez-vous ?

A.B. : Je servais dans l'infanterie. Des centaines d'hommes et d'officiers étaient mobilisés dans cette organisation. Aussi, quand les Soviétiques sont arrivés en Afghanistan, en 1979, les Pakistanais et les Américains ont collaboré pour les chasser de chez nos voisins. La CIA, l'ISI, l'armée pakistanaise, le gouvernement pakistanais et général Zia Ul Haqq ont travaillé ensemble dans le même but.

A.C. : Avec l'argent des Saoudiens.

A.B. : Oui, bien sûr, avec de l'argent saoudien. Connus sous le nom de " Special service group ", les formateurs de l'armée pakistanaise ont entraîné des hommes originaires de 70 pays du monde. Ces hommes venaient des USA, des pays européens, d'Afrique, d'Asie du Sud-est. De plus, à partir de 1981, on comptait 30000 à 35000 moujahidine pakistanais qui, dans les madrasas, s'entraînaient au maniement des armes. Cela a duré jusqu'à ce que les Soviétiques quittent l'Afghanistan. Si vous entrez dans l'intimité de l'organisation, vous voyez que si les experts venaient de la CIA et des Marines, les vrais moniteurs étaient les forces armées pakistanaises. Pendant huit années, à partir de 1981, ce sont 50 000 personnes venues de l'étranger et 30 à 35 000 du Pakistan qui ont été formées. Vous pouvez imaginez l'importance du noyau dur des combattants après le retrait des Soviétiques d'Afghanistan en 1988-1989. Beaucoup sont rentrés chez eux. Les seuls à être restés sur place sont ceux auxquels on avait retiré la nationalité, les partisans saoudiens de Ben Laden, certains éléments des pays du Golfe, d'Ouzbékistan, du Tadjikistan, des Chinois qui étaient venus du Xinjiang, des Tchétchènes.

A.C. : Que sont-ils devenus après ?

A.B. : Sans passeports, devenus apatrides, ils ne savaient où aller. Alors, ils sont restés en Afghanistan. Leur nombre n'excédait pas 2000 individus. Ils aspiraient à une nouvelle vie mais ils n'étaient pas les bienvenus. Alors, en 1994, quand les Taliban apparurent, ils ont vu cela comme une bénédiction. Maintenant, pourquoi Oussama Ben Laden et ses partisans, un petit nombre d'hommes, ont-ils retourné leurs armes contre les USA ? Parce qu'ils se sont sentis trahis. Trahis la première fois quand les Américains les ont laissé tomber au moment du départ des Soviétiques d'Afghanistan et ont suscité des conditions pour les amener à se battre entre eux. Trahis une seconde fois quand les gouvernements de leurs pays d'origine leur ont retiré la citoyenneté. Trahis une troisième fois quand ils ont vu la façon dont les Palestiniens se faisaient massacrer par les Israéliens qui utilisent des avions américains et des armes américaines. Si vous étiez à leur place que, ressentiriez-vous ? Vous atteignez un stade de désespoir et de haine tel, que vous tombez dans un état psychique connu sous le nom d'anomie. La mort et la vie n'ont alors plus de sens. Vous n'avez plus qu'une obsession, la vengeance. Voilà comment Oussama Ben Laden est devenu l'ennemi public numéro un des Etats-Unis.

A.C. : Une nouvelle erreur ne s'est-elle alors pas introduite dans la réponse américaine à l'agression du 11 septembre 2001 ?

A.B. : Si, parce ce que Washington ne s'est pas posé de question sur les véritables coupables. Etait-ce le peuple afghan ? Aucun Afghan n'avait participé à cette attaque. Etaient-ce les Irakiens ? Aucun irakien non plus. Tous les attaquants des Etats-Unis étaient des partisans d'Oussama Ben Laden. Lui et Al Qaïda sont devenus une telle obsession pour les Américains qu'aujourd'hui ils assimilent tous les soulèvements contre l'oppression au terrorisme, que ce soit en Tchétchénie, en Palestine ou au Cachemire. Les médias occidentaux ont eux-mêmes véhiculé cette image tronquée.

A.C. : Disons certains médias...

A.B. : Peut-être, mais quand votre perception ne colle plus à la réalité, c'est là que vous commettez des erreurs. C'est un fait qu'une résistance de dimension mondiale a été créée en Afghanistan et que sa base était au Pakistan, au Waziristan et dans le Baloutchistan. C'est vrai aussi que le noyau dur appartenait à l'armée pakistanaise qui entraînait les combattants, les motivait, les envoyait à la guerre. C'est aussi la genèse des Taliban.

A.C. : Les Taliban viennent plus tard, même si l'on voit de fait se mettre en place un dispositif identique avec un feu vert américain, un soutien logistique pakistanais et une aide financière de l'Arabie saoudite.

A.B. : C'est vrai. Mais je vais vous raconter une histoire qui illustre bien l'engrenage des événements. En 2003, trois mois après l'occupation de l'Irak, j'ai parlé à un Pakistanais en vacances à Karachi, qui travaillait comme chauffeur de taxi en Arabie Saoudite. Il se disait heureux là-bas. Je lui ai demandé pourquoi. " Parce que, chaque soir, en Arabie Saoudite, m'a-t-il répondu, je remplis mon taxi avec des moujahidine et je les dépose sur les frontières de l'Irak. Ce sont des gens merveilleux. Quand ils descendent, ils mettent la main à la poche et me donnent tout ce qu'ils ont en argent. Je leur ai demandé d'où ils venaient. Ils sont de toutes les nationalités ". J'ai pensé, que Dieu vienne en aide aux Etats-Unis ! Ces gens qui avaient participé au jihad contre les soviétiques se dirigent maintenant vers l'Irak et l'Afghanistan.

A.C. : Comment reprendre le contrôle de ce phénomène ?

A.B. : C'est très simple, il faut calmer tous ces jihadistes. L'occupation étrangère doit cesser en Irak et en Afghanistan. Il faut résoudre le problème palestinien et celui du Cachemire. Mais, regardez ce que font les américains. Ils blâment les Iraniens quand eux-mêmes envoient des armes dans le Golfe. Ils veulent combattre, ils ne cherchent pas à résoudre le problème.

A.C. : Quelle est la situation dans le FATA(7)?

A.B. : L'armée pakistanaise a perdu la bataille au Waziristan. Des négociations ont commencé et l'armée pakistanaise s'est retirée de tous les endroits où elle s'était déployée. A l'exception des frontières, pour dire que nos 80 000 soldats en ligne font du bon travail. Mais ils ne font pas du bon travail, ils sont juste là pour faire acte de présence.

A.C. : A propos des relations entre l'Afghanistan et le Pakistan. Pourquoi cette agressivité entre ces deux pays ?

A.B. : Ce que l'OTAN et les forces afghanes ne peuvent pas faire, ils veulent que le Pakistan le fasse. Les Pakistanais sont déjà défaits au Waziristan, il faut réaliser que le Pakistan a ses propres limites. Il a fait ce qu'il pouvait, perdant même 700 hommes, soldats et officiers.

A.C. : ll y a eu, à la fin de l'été 2006, deux tentatives pour résoudre le différend entre le Pakistan et l'Afghanistan. Pourquoi cela n'a-t-il pas marché ?

A.B. : Le Pakistan n'ayant pas la capacité de faire ce que l'on attend de lui, en terme d'effort de guerre, cela ne peut pas marcher.

A.C. : Croyez-vous que les Taliban soient des interlocuteurs crédibles ?

A.B. : Il suffit pour savoir d'avoir lu l'histoire. Avec la venue de l'Islam dans cette région, Iran, Pakistan, Asie centrale et une partie de l'Inde, une chaîne de madrasas s'est installée pour assurer une formation religieuse aux convertis. En particulier les madrasas d'Asie centrale et d'Afghanistan ont ensuite joué un rôle différent, servant de réservoirs de soldats aux envahisseurs. Il y a plusieurs exemples. Bâber arrive dans le sous-continent au XVIème siècle (8). Il est parti de Fergana (9), passant par l'Afghanistan où il est resté pendant quinze ans. Puis il a sélectionné ses soldats dans les madrasas. Dans ces lieux de formation religieuse on ne reçoit pas d'entraînement militaire, mais l'on s'imprègne de l'idéologie du jihad. Cela a été comme cela pendant des siècles. Mes ancêtres étaient des étudiants de l'époque, des " taliban " dans nos langues. Ils ont rejoint Bâber au moment du recrutement dans la vallée de Fergana et ont fait partie des troupes mongoles. Ils ont reçu les titres de Mirza et Baig.

A.C. : Voilà l'explication de votre nom, Mirza Aslam Baig.

A.B. : En arrivant dans la péninsule indienne, les Mongols de Bâber ont installé des avant-postes, aux limites de leur empire, et donné la terre aux commandants qui assuraient la sécurité des frontières. Mais pour revenir aux madrasas, leur condition a évolué avec le temps. En Asie Centrale, elles ont été presque totalement détruites par les Russes. Dans la péninsule indienne, les Britanniques ont confisqué leurs terres pour les rendre dépendantes de la charité de la population. Mais il y a deux pays où elles ont préservé leur statut ancien jusqu'à nos jours : c'est l'Iran et l'Afghanistan. En Iran quand le Shah, avec le soutien des Américains, a détruit les partis politiques, les madrasas sont restées les dernières organisations indépendantes et tout naturellement, ont pris la tête de la révolution iranienne profitant du vide politique.

A.C. : Et en Afghanistan ?

A.B. : Quand les communistes, soutenus par l'Union Soviétique, se sont emparés du pouvoir, les gens comme Hekmatyar, Rabbani, Mojadedi, Khalis, Sayyaf (10) et d'autres, se sont enfuis vers le Pakistan. C'était en 1975, sous la présidence d'Ali Bhutto (11). Ils ont été aidés par les mêmes éléments que ceux de la base de Cherat. Des officiers pakistanais les ont accueilli et entraînés, dès 1975. Cela a dégénéré avec le résultat que nous connaissons. Quand la génération suivante des madrasas, avec Mollah Omar, s'est rendue compte de la dégénérescence du mouvement, elle a décidé de prendre le contrôle de l'Afghanistan (12). Allant à Kaboul, sur la route vous trouverez une grande arche portant l'inscription " Madrasa al Ouloum Haqqani " (13). C'est un endroit très respecté. Cette madrasa a beaucoup de terres et est indépendante du gouvernement. Il n'y a pas une, mais des centaines de madrasas de ce type en Afghanistan, y compris chez les Tadjiks, les Ouzbeks ou les Turkmènes. Voilà d'où viennent les Taliban. Ils sont l'esprit du peuple afghan et une composante sociale qui a joué un rôle essentiel dans l'équation géopolitique de la région, de l'Asie Centrale à la péninsule indienne. Si l'on ne s'adresse pas à eux, nous n'avons aucune chance d'obtenir la paix.

A.C. : Al Qaïda est-elle toujours opérationnelle à l'intérieur de l'Afghanistan?

A.B. : Je dirai non. Ils ne représentent au plus que quelques hommes armés. Ce sont les Moujahidine, sur l'ordre des Américains qui avaient donné une place aux Arabes comme Oussama Ben Laden. Les Talibans les ont honorés en invités (14). Je veux dire par là qu'Al Qaïda ne joue pas de rôle politique en Afghanistan. Ce sont les Taliban qui sont les porteurs de l'esprit de leur peuple. Je vais vous donner un exemple. Six mois après l'occupation de l'Afghanistan par les Américains et les forces d'occupation, d'anciens chefs de la résistance contre les Soviétiques sont venus au Pakistan. Parmi eux, Jalaluddine Haqqani (15), que je connaissais. Il m'a dit qu'il allait s'allier aux Taliban pour entrer en résistance contre les forces d'occupation. Je lui ai suggéré d'éviter une nouvelle guerre après bientôt trente années de combats et d'épreuves pour son pays. " Pourquoi, lui ai-je dit, ne travaillez-vous pas dans le cadre démocratique américain, avec un gouvernement élu. En tant que majorité vous formerez le gouvernement. Si ce n'est pas cette année, ce sera la suivante sans guerre ". Il m'a écouté avec patience puis m'a dit qu'il allait en parler à Mollah Omar. Je n'ai reçu la réponse que cinq mois plus tard. " Nous avons décidé de nous battre, jusqu'à ce que l'occupation cesse, m'ont-ils dit. Quand nous serons libres, alors seulement nous appellerons à nos côtés ceux qui se battent contre nous maintenant. Suivre le programme américain n'est pas conforme à notre fierté nationale, notre tradition et la dignité du peuple afghan. Nous nous battrons jusqu'à ce que nous soyons libres ". C'est ça la nation afghane. Ils se battront jusqu'à ce qu'ils soient libres. Et c'est exactement ce qu'ils ont fait. Tout le monde sait que les forces d'occupation ne peuvent pas rester longtemps dans ce pays. Alors il faut décider. Si les Américains et leurs alliés estiment qu'ils doivent rester en Afghanistan pour préserver leurs intérêts en Asie Centrale, leur politique est d'associer leurs efforts à l'Inde pour contenir et limiter la force grandissante des mouvements islamistes, pour contenir et limiter la force militaire et économique de la Chine . Dans ce contexte, l'Afghanistan est le seul endroit où les Américains et leurs alliés ont pris pied. Quittant ce pays, ils se retrouveront dans le Golfe.
Une autre histoire. Pendant l'occupation soviétique, je me suis rendu dans un village. J'ai vu qu'il n'y avait pas de jeunes hommes, mais seulement des vieillards, des femmes et des enfants. J'ai demandé où étaient passés les jeunes gens. Les habitants m'ont répondu : " Ils sont partis combattre pour offrir plus des chahids (16)". J'ai demandé pourquoi, ils m'ont répondu que le village d'à côté avait eu 170 "chahids" et eux, seulement 110. Il voulait dépasser le score de l'autre village. Dans ce but, les femmes et les parents envoyaient à la guerre tous les hommes en âge de combattre.

A.C. : Imaginez que le Pakistan sombre dans le chaos, la situation devenant comparable à celle de la Somalie. Ne craignez-vous pas alors que les Etats-Unis n'utilisent l'Inde comme un réservoir de soldats pour essayer de contrôler la situation au Pakistan ?

A.B. : Je ne suis pas d'accord avec vous. Le Pakistan ne s'achemine pas vers une situation comparable à celle de la Somalie. Pas du tout. Le pays est très stable et la prise de conscience des gens favorise l'émergence de la démocratie. La force de l'armée se voit défiée, le pouvoir judiciaire retrouve la place qui lui est due. C'est un virage dans l'histoire du Pakistan.

A.C. : Vous êtes donc optimiste.

A.B. : Oui. Je l'ai toujours dit, pour aider le Pakistan, les Américains doivent agir de manière à ce que Moucharraf organise les élections. Il faut qu'il les laisse libres et contrôlées par une commission indépendante. Les responsables des partis modérés, comme le PPP, devraient être autorisés à rentrer au Pakistan, afin de réorganiser leurs forces et de participer aux élections pour qu'une démocratie stable puisse émerger.

A.C. : Seriez-vous candidat ?

A.B. : Si je vois qu'il y aura des élections justes et libres, je m'investirai.

A.C. : Vous présenterez-vous ?

A.B. : Bien sûr que oui, non pas comme pour obtenir le siège de Premier ministre du Pakistan mais pour entrer à l'Assemblée nationale.

A.C. : Pour revenir à l'Inde. Ne craignez-vous qu'elle ne profite de la situation pour porter préjudice au Pakistan ?

A.B. : Je dirai non. Elle n'en a pas la capacité. J'ai dit aux Pakistanais, en 2002, quand l'Inde a déployé toute sa force militaire à notre frontière de ne pas avoir peur. Parce que l'Inde n'a ni le courage, ni les ressources pour gagner une guerre contre le Pakistan. Ceci pour deux raisons. L'une est très simple : l'Inde n'a pas assez de fantassins pour mener une offensive. Sur ses 370 000 fantassins, 210 000 sont bloqués au Cachemire (17). Elle n'a donc pas la force nécessaire pour attaquer et occuper le territoire. Elle dispose juste d'une force défensive suffisante pour protéger ses frontières. De fait, pendant dix mois, leurs soldats sont restés l'arme au pied sur la frontière sans rien pouvoir faire. La deuxième raison est liée à l'existence du facteur islamiste. Son noyau dur étant au Pakistan, l'Inde si elle parvenait à s'emparer d'une partie du Pakistan, devrait faire face à une telle vague d'attaques provenant de tous côtés, qu'elle ne pourrait plus contrôler la situation.

A.C. : N'est-ce pas aussi jouer avec le feu que de compter sur une telle force pour protéger le pays ?

A.B. : Non, c'est un atout supplémentaire pour la sécurité de notre pays. Je mets au défi quiconque d'occuper le Pakistan.

 

NOTES

(1)Il s'agissait en réalité d'un attentat.
(2) La fille de l'ancien Premier ministre destitué, Ali Bhutto.
(3) Nous dirions plutôt "ses munitions".
(4) Le général Hamid Gul, interviewé le 7 octobre 2004, par le Centre de Recherches sur le Terrorisme, affirme des positions très tranchées.
(5) Le général Ayoub Khan a gouverné le Pakistan de 1958 à 1969.
(6) Cherat se trouve à 40 kilomètres au sud-est de Peshawar.
(7) Région tribale jouxtant l'Afghanistan.
(8) Bâber (1483-1530) est né dans le Fergana (actuel Ouzbékistan). Descendant de Tamerlan par son père et de Gengis Khan par sa mère, après avoir conquis Kaboul, il parvient à s'emparer de l'Inde. C'est le début de l'empire mongol des Indes.
(9) Vallée excentrée par rapport au reste du territoire ouzbek, la Fergana s'avance profondément dans le territoire du Kirghizistan. C'est encore un lieu de forte concentration fondamentaliste.
(10) Ce sont les chefs de la résistance contre les Soviétiques dans les années 80.
(11) Ancien Premier ministre pakistanais.
(12) Cette version des faits, un peu édulcorée, ne tient pas compte du rôle du Pakistan et des Etats-Unis dans l'entraînement et l'armement des Taliban.
(13) C'est une école religieuse influente qui a formé nombre de futurs Taliban.
(14) Il faut tenir compte de la notion d'hospitalité, fondamentale dans le code tribal des Pachtouns dont sont issus les Taliban. L'honneur leur enjoint de protéger toute personne dont ils ont accepté la présence sur leur terre.
(15) Jalaluddine Haqqani est un responsable politique et religieux très influent. Rallié aux Taliban, il a aussi été le parrain de guerre de Ben Laden.
(16) Le "chahid", traduit par le mot martyr, est un homme mort en combattant au "jihad".
(17) Depuis l'indépendance de l'Inde et du Pakistan (1947), une dispute, cause de plusieurs guerres, oppose les deux pays à propos de la domination du Cachemire qui, jusqu'à ce jour, est divisée en deux parties, l'une pakistanaise, l'autre indienne.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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