AFGHANISTAN,
LA RÉALITÉ EN FACE

septembre 2008

L'attaque du 18 août 2008, contre une patrouille franco-afghane, n'était pas imprévisible. Au contraire, elle s'inscrit dans une logique stratégique, de la part des Taliban et de leurs alliés. Aussi le manque de réactivité de la base arrière de l'ISAF, le corps expéditionnaire étranger, est-il incompréhensible.

 

Toute l'affaire s'est déroulée dans la région de Saroubi, petite agglomération installée sur les berges du lac de retenue d'un barrage hydro-électrique, construit par les Soviétiques dans les années 60.

Le site se trouve sur la route principale conduisant du Pakistan à Kaboul et à une cinquantaine de km à l'est de cette ville. Par là passe le cordon ombilical de l'alliance. Tous ses besoins lourds débarquent en effet au port de Karachi et sont apportés par cet itinéraire. Or la région est accidentée et propice aux embuscades. Des patrouilles, sur les pistes transversales, sont donc justifiées, pour en assurer la sécurité.

En septembre 2007, lors d'un voyage en Afghanistan, j'ai parcouru cette route dans les deux sens en taxi me faisant passer pour un Afghan. J'ai remarqué le peu de présence militaire visible et la facilité avec laquelle on pouvait entrer dans Kaboul.

De plus, il y a des raisons circonstancielles connues de tous, invitant à prendre des précautions. Le 27 février dernier (2008), quittant la capitale avec un important convoi, le ministre de l'Intérieur, Zarar Ahmad Muqbil, avait été attaqué à côté de Sarobi, à la hauteur de l'usine hydro-électrique. Les échanges de coups de feu avaient duré une quinzaine de minutes. Les attaquants étant néanmoins trop loin, l'escarmouche n'avait pas fait de victimes.

Je sais en outre, par mes collègues afghans, que dans le secteur de Tagab, situé à 20 km au nord de Sarobi, une concentration d'insurgés s'abrite dans les montagnes.

D'autre part, la région de Tagab sert de point de chute aux déserteurs de l'armée afghane. Comme le leur conseillent les Taliban, de nombreux jeunes Afghans quittent l'armée après avoir fait leurs classes. Le taux de désertion serait de 30% et les trois quarts rejoignent les Taliban.

On m'a aussi signalé l'existence de centres de formation pour les commandos suicides dans cette même région de Tagab. Les artificiers des Taliban y ouvrent les bombes et les roquettes de l'alliance qui n'ont pas fonctionné, pour en récupérer l'explosif.

Pour toutes ces raisons, on comprend la région de Tagab, dont se rapprochait la patrouille, très sensible.

Mais qui l'a attaqué ? Le 24 août, Claude Guéant, secrétaire général de l'Élysée, déclarait au journal " Le Parisien " que la " majorité des assaillants (...) n'étaient pas afghans ". Nous ne savons pas ce qui lui permet de tenir de tels propos et nous les craignons destinés à fausser les pistes. Il évoquait en effet " une sorte d'internationale du terrorisme islamiste " dont les membres " se déplacent d'un pays à l'autre ".

Démentant les propos de Guéant, un journaliste afghan travaillant avec le Centre de recherches, Mamur Yusuf, a déclaré à partir d'informations collectées sur le terrain : " Tous les deux ou trois jours, les troupes de l'Alliance font des patrouilles dans le district de Sarobi. La population locale dit que, dans la nuit précédant l'attaque, environ 70 hommes du Hezb-i-Islami, le parti d'Hekmatyar, se sont rassemblés dans un jardin à côté de l'école de Lataband. Ils ont ensuite fait mouvement vers la vallée d'Ouzbin, où se sont déroulés les combats. Sur le chemin, des policiers locaux les ont vus se déplacer et, craignant pour leur vie, ont abandonné leur poste pour se réfugier à Sarobi. Ils n'ont pas prévenu les soldats français pour les mettre en garde ".

Je n'ai pas pu vérifier ces informations d'un journaliste avec lequel j'ai cependant l'habitude de travailler. En outre, elles corroborent celles d'autres sources concernant l'implantation insurgée dans la province de Kapisa où s'est déroulé l'accrochage.

Le chef des Taliban, s'y appelle Hamedullah. Son adjoint, Qari Mujahid. Étrangement, ce dernier serait aussi le porte-parole du parti d'Hekmatyar, le Hezb-i-Islami. Ceci tendrait à prouver, dans cette région, une bonne intégration des forces de cette organisation et des Taliban. On y signale aussi la présence du commandant Abdul Hadi Al-Iraqi, un commandant d'Al-Qaïda.

On est loin de la déclaration de Guéant. Si l'on ne peut nier une internationalisation de la cause islamiste radicale, faire croire que les ennemis de nos soldats en Afghanistan seraient tous des Arabes tend à déformer les faits et à nous affranchir de nos responsabilités.

N'oublions pas. Au début de l'année 2002, les Taliban étaient vaincus. Ils ont ressurgi et se révèlent, d'année en année, plus forts en raison de nos erreurs politiques et tactiques. Il faut regarder la réalité en face.

Alain Chevalérias

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

Lire aussi:

 

Retour Menu
Retour Page Accueil