LE PAKISTAN PRÊT À IMPLOSER

mars 2009

Jeudi 12 février, Dianne Feinstein, membre du Sénat américain, déclarait devant la commission du Renseignement que les drones (1) de l’armée de l’Oncle Sam décollaient du Pakistan, et non d’Afghanistan, comme on le croyait, pour attaquer des cibles dans la zone tribale pakistanaise (2). Étrangement, la CIA ne démentait pas l’information. Quant au Pentagone, prenant son temps, deux jours plus tard son porte-parole affirmait ne rien savoir à ce sujet. Presque un aveu ! A Washington on évalue mal la gravité de la « bourde » commise par Dianne Feinstein.


Le Pakistan, entre l'Afghanistan et l'Inde
Carte du Pakistan
Pour la seule année 2008, les drones américains ont effectué une trentaine de tirs de missiles contre des membres d’Al Qaïda, repliés dans la zone tribale, ou leurs alliés pakistanais. Ils ont fait au moins 200 morts. Le plus souvent, semble-t-il cependant, touchant principalement leurs cibles et évitant des carnages de civils
(3).

Néanmoins, le plus grand nombre des Pakistanais, même s’il désavoue les attaques terroristes menées dans ses villes par les organisations islamistes, dénonce avec colère les tirs de missiles conduits par les Américains. Savoir ces opérations partant du sol pakistanais fait encore monter la tension contre Washington, mais aussi contre le gouvernement du pays qui, en dépit de ses dénonciations répétées contre ces attaques, se voit identifié comme complice des Américains.

On a tort, en Occident, de sous-estimer la fierté nationale pakistanaise. On a aussi tort de croire le nouveau Président, Asif Ali Zardari, bien installé aux affaires, parce qu’arrivé au pouvoir à la suite d’un processus démocratique. Il ne doit en effet sa place qu’à l’émotion suscitée par la mort tragique de sa femme, Benazir Bhutto (4).

En outre, le PPP, son parti, est divisé, la moitié le soutenant et l’autre lui préférant le Premier ministre, Yousouf Gilani, qui lui manifeste une hostilité à peine déguisée. Si le pays parvient à rester aux mains d’un gouvernement civil, l’opposition, avec Nawaz Sharif, lui-même ancien chef du gouvernement, se postera en embuscade pour revenir au pouvoir. Mais l’armée, elle aussi attend dans l’ombre. Ayant beaucoup perdu dans l’opinion publique, en raison de quelques erreurs commises par le général Pervez Moucharraf, elle se sait le dernier recours, en situation de crise, parce que la seule institution structurée et organisée.
Et Dieu sait que les crises potentielles ne manquent pas, risquant de précipiter le pays dans le chaos.

Dans la province du NWFP (voir carte), au nord ouest, partant de la zone tribale, on assiste à une insurrection dont la demande la plus explicite est une islamisation des régions concernées.

Carte de la province du NWPFCarte de la province du NWPF avec la zone tribale

A Swat, vallée touristique autrefois prospère du NWFP, l’armée est intervenue et les combats ont fait plus de 2000 morts en l’espace de vingt mois. Le 15 février, le Président Zardari cédait et, dans l’espoir de mettre un terme aux affrontements, acceptait un amendement de la loi afin d’établir légalement la charia dans la sous région dont fait partie Swat.

A cela, il faut ajouter les difficultés économiques auxquelles se superposent les problèmes périphériques. Au nord, celui du Cachemire, qui reste une pomme de discorde avec l’Inde. Toujours avec la soeur ennemie, une vieille rancoeur remontant à la création des deux États qui, comme on l’a vu lors des attaques de Mumbai (ex Bombay), alimente un terrorisme aux commanditaires mal définis. Sans oublier l’activisme de l’Iran auprès des chiites, qui représentent 20% de la population.

À tout cela, il faut ajouter un voisin en guerre, l’Afghanistan. Or, des deux cotés de la frontière, on retrouve la même ethnie pachtoune, de plus en plus sous l’influence des Taliban.

Le Pakistan apparaît comme « l’homme malade du sous-continent ». Les États-Unis, agissant sans précautions, le fragilisent un peu plus. La situation si elle s’envenime encore, risque d’échapper à tout contrôle. Scénario catastrophe de plus en plus possible, le Pakistan tombant dans l’anarchie de la guerre civile, les forces occidentales présentes en Afghanistan seraient confrontées à une extension du conflit, dans un bassin de 200 millions d’habitants et sur une étendue grande comme trois fois la France .

Alain Chevalérias

de retour du Pakistan

 

Notes

(1) Les drones sont des avions sans pilote, dirigés à distance.
(2) Appelé aussi FATA, bénéficiant d’une large autonomie, ce secteur jouxte l’Afghanistan et est habité par des tribus pachtounes.
(3) D’après un correspondant.
(4) Benazir Bhutto a été assassinée le 27 décembre 2007. Issue d’un clan politique familial créé par son père, précédée dans la mort par ses deux frères, disparus dans des conditions tragiques non élucidées, elle a laissé derrière elle, comme héritier, un garçon âgé de vingt ans.
Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

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