LE PAKISTAN
SOUS LA MENACE AMÉRICAINE

décembre 2009

Selon les journalistes du « Washington Times », Mollah Omar aurait été déplacé de la ville pakistanaise de Quetta, où il s’abritait, vers la ville de Karachi, plus grande agglomération du pays avec une population de 18 millions d’habitants. « L’exfiltration » du chef des Taliban afghans aurait été organisée par des officiers de l’ISI, le principal service de
renseignements pakistanais. Deux officiers de renseignement américains et un collègue de la CIA à la retraite auraient fait ces confidences au journal. Nous nous interrogeons sur la réalité de ces faits, mais aussi sur la maladresse que constitue ces révélations émanant d’officiels américains. Dans un
article publié au mois de novembre, nous avons évoqué la responsabilité des États-Unis dans l’émergence de l’islamisme au Pakistan, dès les années 60, et plus tard, dans la montée en puissance des Taliban. Surtout, nous replacions la problématique régionale dans la perspective pakistanaise d’un pays pris entre l’animosité indienne, l’inquiétude de voir prospérer un Afghanistan qui lui serait hostile et la peur de la guerre civile.

Dans le contexte régional, les États-Unis ont besoin du soutien, sinon au moins de la neutralité, du Pakistan. Aussi ne sommes-nous pas convaincus que la méthode consistant à régler ses comptes avec ce pays par le truchement de la presse soit, pour les États-Unis, le meilleur moyen d’entretenir de bonnes relations avec lui.

Certaines informations, voire rumeurs, méritent de demeurer confinées dans le secret des États. Car, évoquées au moment souhaitable au cours de tête-à-tête, elles servent de moyens de négociation, voire de pression. En revanche, divulguées dans la presse, elles deviennent des causes de conflit. Si les journalistes tiennent leur rôle, diffusant ce qu’ils savent, les responsables politiques ne sont pas dans le leur, divulguant des informations sensibles ou, pire, se livrant à la pratique de la désinformation contre un allié, fût-il rétif.

En effet, dépendant du Pakistan pour approvisionner leurs troupes en Afghanistan, à partir du port de Karachi, les États-Unis auraient tout à perdre si Islamabad durcissait sa position à leur égard. Plus grave encore, si son gouvernement se retrouvait déstabilisé.

Or, aujourd’hui, le Pakistan se voit acculé dans une situation dramatique. Presque quotidiens, les attentats ensanglantent le pays. L’armée est mobilisée dans la zone tribale du FATA, pour partie aux mains des Taliban pakistanais, alliés de ceux de l’Afghanistan. Des deux côtés de la frontière, ces organisations ont engendré un continuum de guerre nécessitant la coopération des Américains et des autres troupes étrangères avec le pouvoir pakistanais. Tout propos, toute action, affaiblissant la volonté de coopérer d’Islamabad menace de transformer les deux pays en un seul espace de guerre. En d’autres termes, à augmenter le nombre des ennemis des forces occidentales en Afghanistan au lieu de le réduire.

Aussi, si les Américains peuvent estimer la coopération du Pakistan insuffisante, ils devraient aussi tenir compte de ses fragilités. Autrement dit, savoir se contenter de ce qu’il peut donner et ne pas lui demander l’impossible.

La situation aurait pu dicter plus de savoir-faire à Washington. Selon un rapport publié par la télévision pakistanaise le 12 novembre 2009, au cours des six dernières années, 7004 civils et 2 637 membres des forces de sécurité ont été tués au Pakistan. Du côté des insurgés, on compte 12 487 morts.

On constate en outre une progression quasi géométrique du nombre d’attaques suicides depuis 2005. Quand on n’en comptait « que » sept cette année-là et quatre la suivante, elles montaient à 56 en 2007. Début novembre 2009, elles atteignaient déjà le nombre 58.
Même chose pour les décès liés au terrorisme. Pour la période allant de janvier à début novembre 2009, le nombre de morts s’élevait à 1780 civils, 780 membres des forces de sécurité et 5 972 insurgés.

Pendant la seule année 2009, on a compté la moitié des Taliban et assimilés tués par l’armée depuis 2005. Ce constat seul suffit à prouver sa détermination. Or, affaiblissant les Taliban côté Pakistan, elle affaiblit aussi ceux d’Afghanistan, qui perdent ainsi une zone de repli. Aussi, plutôt que de lancer de dangereuses rodomontades à Islamabad afin de dissimuler son demi-échec en Afghanistan, Washington devrait plutôt se demander comment aider le Pakistan à surmonter les difficultés auxquelles il est confronté.

Centre de Recherches sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001
 www.recherches-sur-le-terrorisme.com

 

 
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